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Un modèle économique remis en question par des usages nouveaux et une diversification des acteurs

Dans le document et développement durable en France (Page 139-143)

Les acteurs «  physiques  », acteurs historiques du tourisme (agences de voyage, tour-operators, et plus généralement l’ensemble des intermédiaires classiques entre le produit et le client) souffrent de la désintermédiation rendue possible par l’usage d’internet.

Émancipé par l’outil, le client final achète directement son billet, sa chambre d’hôtel, réserve ses prestations en se passant du service des voyagistes dont il était jadis captif. D’où l’importance, pour l’ensemble des professionnels, qu’ils soient publics ou privés, de présenter leurs offres sur la toile, soit par le biais de sites propres, soit en se faisant référencer par le biais de nouveaux intermédiaires (ou le plus souvent les deux), participant ainsi au fleurissement des «  pure-players  » dont le britannique LastMinute et l’américain Expédia175 furent les pionniers. Ces entreprises nées du net, ne développant que des produits qui lui sont liés, devancent désormais les acteurs traditionnels, lesquels se sont impliqués plus tardivement dans le numérique.

« L’accord historique entre les hôteliers et les distributeurs a disparu et les hôtels se sont mis à privilégier la vente directe  »176, tendance amplifiée par la montée en puissance des compagnies low-cost qui, dès leur création, ont imposé la vente directe afin de proposer les prix les plus bas. Confrontées à ces nouveaux entrants, les compagnies aériennes n’ont eu d’autre choix que de supprimer les traditionnelles commissions de 9 % versées aux agences de voyage, accentuant la commercialisation sans intermédiaire177.

En moins d’une dizaine d’années, ces acteurs dématérialisés se sont imposés, représentant la première activité du e-commerce. Leur réussite repose sur un triptyque prix/

réactivité/séduction. Illustrant les bouleversements ayant impacté fortement la distribution par l’exemple de Go voyages178, le nouvel économiste résume en 2011 : « Go voyage facture aujourd’hui un milliard d’euros de vols à prix cassés. Sa recette  : une réactualisation des prix quasiment chaque nuit et un système de réservation automatisé au maximum grâce à une équipe de 50 développeurs informatiques au sein même de l’entreprise. Résultat, le distributeur parvient à un seuil de rentabilité avec une commission 2 fois moins élevée que les agences traditionnelles : 5 % pour une disponibilité 24h/24. Et pour ceux qui ont quelques appréhensions à acheter un voyage coûteux sans interlocuteur, une « hot line » et un bureau de retrait des billets permettent d’établir un lien physique ».

Les nouveaux usages induits par le net ne cessent de progresser, ce qui a une incidence forte sur la chaîne de valeurs et ses acteurs :

– Le do-it-yourself ou « dépackaging  » : le client organise ses vacances à la carte.

Il choisit les horaires les plus confortables, le type d’hébergement le plus approprié à ses souhaits, segmentant ainsi le voyage, parfois dans des formules

« transport+hôtel » permettant une individualisation du produit tout en permettant un discount lié au package. Cet assemblage sur-mesure est rendu possible par

175 Après 17 ans d’existence, Expédia est le 1er vendeur de voyages dans le monde avec 34 Md$ de CA.

176 Jean-Pierre Nadir, fondateur du site de conseil aux consommateurs Easyvoyage.com cité in « Ondes de choc, le web a dynamité les agences de voyage et tour-operators », article de Franck Bouaziz publié dans la revue Le Nouvel économiste du 24/06/2011.

177 « Ondes de choc, le web a dynamité les agences de voyage et tour-operators » article de Franck Bouaziz publié dans la revue Le Nouvel économiste du 24/06/2011.

178 « Ondes de choc, le web a dynamité les agences de voyage et tour-operators » article de Franck Bouaziz publié dans la revue Le Nouvel économiste du 24/06/2011.

la puissance informatique et les capacités de calcul sans cesse grandissantes du web : « La technologie est là : les systèmes arrivent à faire tourner en quelques minutes et pour quelques centaines d’euros des recherches qui prenaient auparavant plusieurs jours et plusieurs milliers d’euros  »179. Jadis réservé aux professionnels, cet accès direct aux offres consultables et comparables au client final bouleverse l’infomédiation180 entre l’offre et la demande. Avant d’effectuer physiquement son voyage, le touriste le teste virtuellement. Les tour-operators, assembleurs de voyages, en sont les premières victimes puisque désormais, le client peut organiser tout seul son séjour.

– Les ventes flash : internet est souvent associé aux bonnes affaires, à la dernière minute, même s’il s’agit moins de trouver le prix le plus bas qu’une offre présentant le meilleur rapport qualité-prix. C’est d’ailleurs sur des prix attractifs de dernière minute que les premiers « pure-players » ont construit leur notoriété (ex. LastMinute.com). Ces ventes flash basées sur le système mis en œuvre par le soldeur vente-privée.com connaissent un vif succès. Il s’agit de proposer des offres à très bas prix dans un laps de temps limité. Cette possibilité repose sur une technologie permettant de rechercher des surcapacités ponctuelles dans le marché et de les associer à une demande instantanée. Le directeur marketing d’Opodo, Frédéric Pilloud, s’interroge toutefois sur la pérennité du système économique induit par ces ventes flash : « Le modèle de vente de dernière minute court à sa perte. Il ne permet plus d’amortir les achats massifs de prestations. Le secteur aérien l’a arrêté. Aujourd’hui, pour réserver un vol bon marché, il faut s’y prendre neuf mois avant. Beaucoup plus logique, le vendeur oblige le client à acheter à l’avance.

C’est un modèle économique qui favorise la trésorerie »181.

– Le C-to-C182  : il s’agit d’une forme de commerce collaboratif entre particuliers.

Appliqué au tourisme, il revêt différentes formes : le troc, marginal, ne représente que 5 % des échanges ; le covoiturage ; la location via des plateformes comme l’américain AirBnB. Ce dernier est leader mondial d’un marché, aujourd’hui encore assez marginal par rapport à l’offre hôtelière globale mais en très fort développement183. Avec plus de 300  000 logements dans 40  000  villes et 192 pays, la plateforme touche une commission sur le loyer perçu par le loueur qui propose son bien (commission qui s’élève entre 3 et 12 % selon la qualité du loueur, propriétaire, locataire ou même, de plus en plus, professionnels référencés sur le site). Ainsi une partie de la richesse créée échappe aux professionnels

179 Hervé Couturier, vice-président en charge de la R&D chez Amadeux, principal fournisseur de solutions informatiques dédiées à l’industrie du voyage, cité in « e-tourisme acte III : de la désintermédiation à la sur-intermédiation » article publié le 14/08/2013 par Le nouvel économiste.

180 Voir définition infra.

181 Cité in : « e-tourisme acte III : de la désintermédiation à la sur-intermédiation », article publié le 14/08/2013 par Le nouvel économiste.

182 Le C-to-C est un service d’échange entre consommateurs facilité par l’internet  : petites annonces, sites d’échanges, de troc, de rencontre etc. Derrière le C-to-C se cache toutefois souvent le B (business) qui sert d’intermédiaire.

183 Lancé en 2008, AirBnB a fêté son 1er million de nuitées en octobre 2012. Aujourd’hui, il a dépassé le seuil des 10 millions, ce qui fait dire à certains observateurs que son développement est actuellement exponentiel et qu’il devrait franchir le milliard de nuitées dans… 5 ans. Avec près de 300 000 nuitées commandées dans le monde entier, la France est un des marchés les plus dynamiques avec une hausse de plus 400 % par an du nombre de réservations sur la plateforme. AirBnB compte actuellement 17 millions d’utilisateurs. L’entreprise vaut aujourd’hui 7,5 Md€, soit presqu’autant que le groupe Accor.

du tourisme et est engrangé par l’entreprise américaine184. C’est pourquoi les acteurs du tourisme regardent de près cette nouvelle offre dont le succès réside autant dans son originalité (immersion dans la culture locale via le séjour chez l’habitant, convivialité, partage de valeurs etc.), la simplicité (avec un paiement en ligne qui facilite grandement la transaction entre les acteurs, pas de caution versée etc.) que par l’attractivité des prix, de 2 à 4 fois moins chers qu’un hôtel de moyenne gamme et, pour le loueur, la perception d’un revenu. Devant le manque à gagner, les professionnels dénoncent des détournements de la règlementation185, une inégalité fiscale et, plus globalement, une concurrence déloyale (absence de normes, taxes non imputées aux loueurs occasionnels...).

Certaines grandes municipalités ont également réagi : la ville de New-York a interdit à ses résidents de louer des appartements entiers, n’autorisant donc en principe que la location des chambres (…) ; San Fransisco réclame le paiement de la taxe hôtelière des hôtes d’AirBnB ; Paris a signifié que, selon la réglementation en vigueur, seules les résidences principales pouvaient faire l’objet de locations occasionnelles. Des procès initiés par des collectivités ou des particuliers ont montré une certaine instabilité juridique de ce système qui, toutefois, s’adapte à mesure que se précise la législation (après une condamnation de la plateforme suite à la dégradation d’un logement, le bien loué est désormais automatiquement assuré par ses soins par la Loyd à hauteur de 700 000 €).

« Avec l’explosion du nombre de sites de location entre particuliers, plusieurs municipalités, dont Paris, se sont même inquiétées de voir les appartements loués à des touristes au mois »186. Le risque est en effet de voir certains quartiers vidés de leur population, les logements étant captés par des investisseurs qui en tirent un gros profit par le biais de locations permanentes187. Ainsi, en 3 ans, 10  % des appartements locatifs parisiens auraient changé d’affectation sans déclaration préalable. Toutefois, une étude financée par le site démontrerait que les

«  AirBnBistes  » dépensent davantage que les clients d’hôtels lors de leur séjour à Paris : 865 € contre 439 €, contribuant ainsi à l’activité économique de la capitale à hauteur de 185M€ soit 1 100 emplois induits dans la restauration, le transport, la culture etc. A New-York en 2012, la société aurait engendré 470 M€ d’activité économique188. Un juste milieu est donc à trouver pour ne pas décourager la location collaborative dans les grandes villes tout en l’encadrant pour éviter tout type de débordements.

Parmi les autres pratiques du C-to-C qui se développent dans ce même état d’esprit d’échange, de partage et de rencontres via une communauté, le couchsurfing propose à des voyageurs de séjourner gratuitement chez des hôtes. Le site HomeExchange permet pour sa part la mise en relation entre propriétaires souhaitant échanger temporairement leurs lieux de vie afin de se loger gratuitement pendant un séjour. 55 000 membres dans 155 pays pratiquent le troc de maisons via cette plateforme. D’autres sites de mise en relation fleurissent sur la toile. Pour se différencier, certains se spécialisent sur des niches (hébergement des familles, cyclo-randonneurs, « Camp in my garden  », échanges de villas haut de gamme etc.). Enfin, internet permet le partage d’adresses entre utilisateurs

184 Voir infra.

185 Le directeur de l’UMIH estime à 150 000 le nombre de chambres louées « au noir » en France.

186 « e-tourisme acte III : de la désintermédiation à la sur-intermédiation », article publié le 14/08/2013 par Le nouvel économiste.

187 30 000 appartements échapperaient ainsi à la location pour les parisiens.

188 « AirBnB, Uber, Lyft : de l’économie collaborative au business partagé » par Philippe Boulet-Gercourt, publié sur le site du Nouvel observateur le 16/08/2014.

et la découverte authentique des grandes villes grâce à des habitants qui se proposent bénévolement de faire visiter leur quartier (réseau des « greeters ») ou encore de goûter les saveurs locales en fuyant les restaurants à touristes via le « foodsurfing ».

Enfin les réseaux sociaux représentent une réelle opportunité. 75 % des 18-34 ans les utiliseraient pour trouver des idées de vacances. « Tous les acteurs du tourisme cherchent aujourd’hui à savoir comment améliorer leur « community managment  » sur les réseaux sociaux. L’enjeu est notamment de capitaliser sur les recommandations de leurs clients au fort taux de conversion  »189Les acteurs de l’e-tourisme travaillent déjà avec Facebook et Twitter et aussi des plateformes spécialisées comme Instagram ou Vide pour le partage de photos et vidéos. Plus de la moitié des français serait influencée par les photos de vacances de leurs amis pour choisir une destination. Selon Yves Tyrode, DG du numérique à la SNCF,

« Recruter des clients par les réseaux sociaux est une opportunité économique majeure ».

L’infomédiation 

Participant du développement du e-commerce, l’infomédiation190 permet la mise en relation entre vendeurs et acheteurs, la plupart du temps via une plateforme d’échanges permettant des comparaisons de tarifs et de services proposés. Les infomédiaires permettent un accès organisé pour les internautes aux informations dont ils peuvent avoir besoin face à un volume exponentiel d’informations diffusées par les différents producteurs de services. Ils se placent donc comme des intermédiaires entre producteurs d’informations et internautes sans pour autant bénéficier, la plupart du temps, de droits quelconques sur les sites qu’ils recommandent. Evaluateurs, ils sont souvent eux-mêmes évalués pour la pertinence de leurs observations, devenant membres-référents des sites d’information ou de mise en relation.

Les portails web faisant de l’infomédiation proposent de fournir un contenu informatif pertinent en renvoyant sur les sites marchands recommandés. Il existe 5 grandes familles d’infomédiation : les sites de contenu à caractère éditorial comme EasyVoyage, Le Routard.

com ou Lonelyplanet ; les comparateurs comme Kelkoo Voyage ou Voyagemoincher.com ; les sites d’opinion ou forums comme Tripadvisor ; les sites dénicheurs de bons plans comme Travelzoo et enfin les sites communautaires. En 2010, 30 % des transactions étaient générées par ces sites, soit 16 Md€191.

D’aucuns dénoncent l’existence d’officines de « e-réputation » qui proposeraient, contre rémunération, des packs de bonnes ou mauvaises notes à leurs clients, fabriquant des appréciations laudatives ou dépréciatives à l’égard d’hôtels, de locations de vacances, de restaurants, d’attractions etc. Bien qu’évidemment illégale, cette pratique se développerait, entraînant des hausses ou des baisses artificielles des fréquentations au regard du référencement « ranking » d’un établissement.192

189 Alexis Gardy de Roland Berger cité dans « e-tourisme acte III : de la désintermédiation à la sur-intermédiation » article publié le 14/08/2013 par Le nouvel économiste.

190 Le terme infomédiation est né de la contraction entre les mots « information » et « intermédiaire ». On peut l’assimiler au fonctionnement d’un marché économique puisqu’il permet la rencontre de l’offre et de la demande.

191 Les sites d’informations touristiques plus fréquentés que les sites marchands  par Laury-Anne Cholez in tourmag.com, mai 2010.

192 Rapport d’information « développement et modernisation des services touristiques » rapporté par MM. Luc Carvounas, Louis Nègre et Jean-Jacques Lasserre au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle et l’application des lois daté du 08/10/2013.

Dans le document et développement durable en France (Page 139-143)

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