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La mobilité secondaire : changer (à nouveau) de milieu de vie

Chapitre 4 : Les stratégies d’intégration : réseaux sociaux et autres avenues, les femmes immigrantes en tant

4.3 Les stratégies d’intégration : y a-t-il d’autres possibilités que les réseaux sociaux?

4.3.3 La mobilité secondaire : changer (à nouveau) de milieu de vie

Les déménagements sont parfois une stratégie employée par les familles immigrantes pour augmenter ou faciliter leurs chances au niveau des perspectives d’emploi, de scolarité ou encore pour se rapprocher de réseaux existants (famille ou amis) (Dion 2010). Par contre, ce qui m’intéresse ici, ce n’est pas tellement la

transition entre une résidence temporaire vers un logement jugé plus convenable, dans les limites d’un même quartier ou d’une même ville, mais plutôt un déplacement important, un déménagement d’une ville à l’autre.

Ajoutons que les migrations ici à l’étude sont des migrations que nous qualifions d’internes, c’est-à-dire confinées aux limites des frontières nationales, et de secondaires, en ce sens qu’elles font suite à un premier mouvement migratoire, plus important celui-là, soit l’immigration au Canada. […] Un tel mouvement représente le plus souvent davantage qu’un simple ajustement locatif et implique généralement une volonté de changer d’environnement ou la recherche de quelque chose de précis. De même, un changement de région implique aussi normalement un changement d’emploi, ou dans le statut d’emploi. (Dion 2010 : 249)

Afin d’éviter la confusion, j’opterai pour l’expression « mobilité secondaire », plutôt que celle de « migration secondaire » telle que proposée par Dion, tout en référant quand même à sa proposition générale. Ainsi, dans cette perspective la mobilité secondaire s’observe chez trois femmes de mon échantillon : Flavie, Magda et Izza.

Après être arrivée dans la région montréalaise, la famille de Magda s’est rapidement déplacée en Montérégie. Magda et son mari étaient infirmiers au Brésil et ils souhaitaient poursuivre dans ce domaine au Québec. Ils ont été contactés par une organisation pour les inciter à aller vers la Montérégie, leur indiquant qu’il y avait un besoin important en infirmiers dans la région. De plus, elle a indiqué « Je voulais habiter à Montréal, parce que

je viens d’une grande ville. Mais Montréal, il y a des choses de violence, de drogue. Je voulais partir [du Brésil] à cause de ça, pourquoi [retourner dans ce milieu?]. Alors, oui, j’ai préféré une petite ville pour recommencer. » (Magda).

Par contre, six mois après leur installation, les choses se sont gâtées pour la famille : l’adaptation scolaire de leur fils était très difficile (sans ami, malade à répétition, encadrement scolaire limité) et Magda ne réussit pas le test de français international requis pour commencer son cours d’intégration professionnelle. Après avoir contacté l’Ordre des infirmiers et infirmiers et échangé avec des connaissances brésiliennes sur un groupe de discussion (dont la majorité des membres est installée à Québec, selon Madga), elle a commencé à considérer la Ville de Québec. Le Cégep de Limoilou offrait la même formation d’intégration professionnelle dont elle et son mari avaient besoin. Rapidement, moins de deux mois plus tard, toute la famille était installée dans le quartier, grâce à un logement trouvé sur internet, permettant à tous de reprendre leur cheminement scolaire.

L’histoire de Magda démontre bien que la famille est au cœur des décisions et que les stratégies d’intégration ont été envisagées et sélectionnées en fonction de l’ensemble de ses membres. Malheureusement, il ne semble pas que ce soit toujours le cas. Si les perspectives de Magda étaient positives lors de notre entretien

par rapport aux résultats de leur mobilité secondaire, l’expérience de Flavie et de sa famille semble être à l’opposé.

L’installation de Flavie au Québec a été un peu chaotique. Elle arrive au Québec alors qu’elle est enceinte et accompagnée de ses deux enfants, pour retrouver son mari parti de la France un an et demi plus tôt. Le mari de Flavie a décidé de quitter de nombreuses années de chômage en France, inspiré par son frère qui avait rapidement réussi à se placer à Québec. La région montréalaise est un milieu scolaire difficile pour son fils aîné, qui tombe rapidement en dépression. Flavie se sent isolée, mais commence à s’impliquer dans différents organismes communautaires, puisque ses filles ont des places en garderie. La transition de la région montréalaise vers Québec s’est opérée avec un préavis de trois mois, le mari de Flavie ayant décroché un poste dans la fonction publique. La réinstallation de la famille se fait dans un logement trouvé trois jours avant le début de l’année scolaire; chanceux, il reste encore de la place dans l’école du quartier. Selon Flavie, la réalisation et l’épanouissement de ses enfants passera par la stabilité. Même si c’est ce qu’elle souhaite leur offrir par-dessus tout, elle constate que son mari a des ambitions professionnelles et monétaires qu’il met au- devant. La difficulté de composer avec des objectifs de vie antagonistes avait déjà été présentée dans le chapitre 3 comme l’un des obstacles rencontrés dans leur quotidien par les femmes immigrantes. L’exemple de Flavie expose davantage comment, dans la perspective de la mobilité secondaire, les stratégies employées par la famille peuvent parfois avantager certains membres par rapport à d’autres : le père suit ses aspirations professionnelles, mais le fils souffre du manque de constance de son milieu pour s’épanouir.

[En restant à Québec, est-ce que vous prévoyez rester dans le quartier pour un certain temps?] Moi oui. Mon mari, non. C’est là où je dis qu’on a vraiment des points de vue divergents. Pour moi, oui, parce que moi je sais que l’équilibre de mon fils passe par la stabilité et qu’il se sentirait bien que le jour où on pourra lui dire «on reste». Moi, c’est le discours que je tiens, on reste. Moi oui, je reste. (Flavie)

De son côté, la famille d’Izza a elle aussi connue la mobilité secondaire. La famille s’est installée en Estrie car Izza avait eu l’occasion d’y faire un stage d’étude de quelques mois l’année précédent leur migration.

On est arrivés parce que je connaissais [cette région], donc pour moi c’était plus facile d’aller [là], c’était un choix pratique. Ce n’est pas un choix de connaissance, je ne connaissais rien : ni Québec, ni Montréal, rien du tout. Seulement, je savais comment prendre l’autobus [dans cette région]. Donc c’est pour ça, pour chercher un appartement, c’est déjà bien. (Izza)

Izza et son mari ont poursuivi leurs études dans une université en région. Le temps d’acquérir son diplôme, quelques années plus tard, le mari d’Izza a été le premier à décrocher un emploi, à Québec. La famille l’a donc suivi, temporairement dans un quartier central où ils avaient loué un appartement, puis ils ont acheté une maison au nord de la ville de Québec, car les prix étaient plus abordables. Izza et son mari y sont demeurés

plus d’une dizaine d’années, avant de se déplacer vers le quartier de la recherche. Ainsi, la mobilité secondaire vécue par Izza, entre une région et Québec, a été motivée principalement par des raisons professionnelles (le travail de son mari).

Telle que définie par Dion (2010), la mobilité secondaire est habituellement soutenue par des incitatifs professionnels ou scolaires, dans la perspective d’améliorer sa situation. Ce type de stratégie a été utilisé par trois familles de mon échantillon. Par contre, force est d’admettre que cette stratégie n’a pas toujours bénéficié à l’ensemble des membres de ces mêmes familles. Ainsi, même si j’ai clairement établi la logique d’adéquation entre les stratégies familiales et individuelles, dans la réalité des femmes immigrantes rencontrées, ce n’est pas toujours le cas.

À travers les propos de mes informatrices, j’ai pu recenser différentes stratégies que celles-ci mettent en place pour surmonter les difficultés du quotidien (abordées dans le chapitre 2), de même que pour leur permettre d’atteindre leurs objectifs d’intégration. J’ai constaté que certaines des femmes rencontrées envisageaient l’implication sociale comme un moyen pour développer un sentiment d’appartenance à leur société d’accueil. La majorité des participantes à ma recherche optaient pour le retour aux études, afin d’atteindre leurs buts, et quelque unes ont envisagé la mobilité secondaire. En définitive, à travers ces stratégies, il est possible constater que les immigrantes interrogées utilisent différents moyens pour combler leurs objectifs d’intégration. Il importe maintenant de revenir sur le troisième volet de ma question de recherche initiale, à savoir est-ce que les réseaux sociaux sont, pour les femmes de mon échantillon, un moyen ou une fin de leur intégration.