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Développer de nouveaux liens d’amitié dans la société d’accueil, plus facile à dire qu’à faire

Chapitre 4 : Les stratégies d’intégration : réseaux sociaux et autres avenues, les femmes immigrantes en tant

4.1 L’appui émotionnel des réseaux sociaux dans l’intégration : crucial, mais restreint

4.1.2 Développer de nouveaux liens d’amitié dans la société d’accueil, plus facile à dire qu’à faire

Différents facteurs peuvent influencer la rapidité de développement de liens d’amitié, donc de nouveaux réseaux sociaux, à la suite d'une installation dans une nouvelle société d’accueil. Évidemment, le hasard y est pour quelque chose, il faut croiser les bonnes personnes au bon moment. Le caractère personnel, ainsi que les notions de temps et de proximité culturelle y jouent aussi un rôle.

Dans cette perspective, on ne peut pas passer à côté du partage d’une langue commune. Comme l’expose Olivia, en parlant des hispanophones : « Mais je trouve que, comme ils parlent espagnol, il y a beaucoup de

monde qui parle espagnol ici, c’est plus facile pour eux. Pour nous, c’est plus difficile, il n’y a presque pas personne qui parle portugais » (Olivia). Comme je l’ai déjà mentionné, même si l’espagnol n’est pas l’une des

langues officielles au Canada, il s’agit quand même de la troisième langue la plus fréquemment enseignée dans les écoles québécoises. Il est probable que cet élément influence le développement des réseaux chez les Sud-Américaines, comme Elina, Reanna et Teresa, même si aucune d’entre elles n’a mentionné cet élément.

4.1.2.1 Développer des amitiés prend du temps : l’importance de la variable temporelle

Il semble difficile de recréer des liens aussi intenses en quelques mois que ceux qui se sont développés pendant des années, voire sur des décennies avec les cousins, les voisins, les collègues de classe avec qui l'on a grandi ou les collègues de travail rencontrés au fil des ans. La majorité des femmes ont quitté leurs pays dans la trentaine et, même si certaines d’entre elles avaient connu des changements de lieu de résidence à l’intérieur de leur pays d’origine, en raison des études ou du travail, notamment, le temps passé au Québec au moment de les rencontrer était loin de faire le poids et n’avait pas encore permis de se refaire un réseau d’amies ou d’amis, surtout d’origine québécoise.

En outre, selon Salma, les liens créés ici ne pourront pas remplacer ceux qui ont été bâtis dans son pays d’origine. Une complicité qui s’est construite pendant dix, vingt ou trente ans ne peut pas être dupliquée en deux ans seulement et tend à disparaître graduellement avec la distance et le temps.

Moi, avec ma famille je n’ai pas de problème, mais c’est avec les amis que ça s’affaiblit. Ça, ça fait mal au cœur, là. C’est comme là, bien au début tu es encore très là, tu es très présente. Mais ça s’affaiblit au fur et à mesure avec le temps et ça, ça me fait mal au cœur. Parce que quand même tu te fais ici des amis, mais c’est, c’est incomparable avec les amis d’enfance et les amis d’école et tout. Ok, les amis ici, tu te fais des amis, mais, avec un chapeau, avec le titre de connaissance. (Salma)

Les femmes qui sont au Québec depuis plus de cinq ans sont en mesure de constater la manière dont leurs réseaux sociaux locaux se sont constitués et transformés dans le temps. Dans le cas d’Izza, c’est le temps et des parcours de vie différents qui l’ont éloignée de sa cousine.

J’ai une cousine à Québec, mais je n’ai pas de contact avec elle, à cause de la mentalité qui a complètement… on n’a pas de sujet [de discussion en commun], aucun. Lorsqu’on s’était connues, on était cousines proches à l’adolescence. [Mais maintenant] c’est fini. On n’a pas eu le même suivi, le même parcours. Donc il y a plein de choses qui me [souffle coupé] sidèrent et elle est sidérée elle aussi par ma façon d’être et de penser. (Izza)

Il s’agit d’une situation qui démontre que la temporalité influence la création des liens sociaux, mais aussi leur pérennité. De son côté, Olivia a démontré que le rapprochement avec certaines personnes pouvait être contextuel. Elle indique qu’à son arrivée à Québec, elle s’était rapprochée d’un couple de Brésiliens parce qu’ils partageaient une langue commune, et non pas parce que leurs champs d'intérêt étaient semblables, ce qui fait qu’avec le temps, la relation n’a pas été maintenue.

Au début, quand on est arrivés, je ne connaissais pas de Brésilien ici. J’ai connu un couple, mais tu sais parfois, on connait des gens qui ne seraient pas nécessairement tes amis au Brésil, mais ils le deviennent parce que tu parles la même langue, c’est juste ça. Mais, ce ne sont pas des gens que tu aimes vraiment, tu n’as pas les mêmes intérêts qu’eux, ils ne pensent pas de la même façon que toi... Alors, je dirais, entre guillemets, que oui, c’était mes amis, mais pas beaucoup. (Olivia)

Olivia fréquente maintenant différentes connaissances, dont des Québécois. Même si la langue commune peut rapprocher des gens au départ, l’existence d’affinités peut influencer la durabilité d’une relation. Ainsi, plus on rencontre d’autres personnes, plus il est possible de sélectionner ses relations, et les choix effectués ne seront pas nécessairement guidés par une langue ou une origine nationale commune. De son côté, les fréquentations de Salma ont beaucoup changé depuis qu’elle réside dans le quartier, d’autant plus qu’elle est devenue mère de deux enfants :

C’est sûr quand j’étais étudiante en résidence, les contacts n’étaient pas les mêmes, là, c’étaient des étudiants ou mes compatriotes. Mais depuis que je suis ici [installée dans le quartier], c’est rendu plus varié, c’est des familles qui se connaissent et des amis qu’on voit. Mais pas nécessairement… mais ça s’élargit oui, ça s’approfondit des fois, des fois ça coupe aussi. Donc, les relations, ça varie… dépendamment des disponibilités des autres. (Salma)

Celles qui sont arrivées depuis moins longtemps sont encore en train de bâtir les premiers contacts : « Parce

que là je n’ai pas réussi à passer suffisamment de temps pour pouvoir laisser mes branches, on va dire, s’épanouir, là » (Flavie). Ainsi, il faut laisser au temps le temps de faire les choses : plus on croisera de

nouvelles personnes, plus il sera possible de trouver des gens avec qui l’on partage certaines affinités. Mais cette attente peut être plus ou moins longue et pour la majorité des femmes rencontrées, après une moyenne de deux ans d’installation au Québec, celles-ci pouvaient toujours compter leurs liens significatifs (hormis ceux avec les membres de leur famille nucléaire ou élargie, et ceux avec les amies et amis restés dans le pays d’origine) sur les doigts d’une seule main.

4.1.2.2 La proximité culturelle

En voisinant les parents des élèves du quartier, Flavie a rencontré une autre femme d’origine française qui a elle aussi des enfants, auprès de laquelle elle constate « qu’on se retrouve avec un répondant culturel,

vraiment. Là, il y a un côté culturel qui existe, on se sent plus proche... dans nos valeurs » (Flavie). Elle ne

semblait pas (encore) la considérer comme une amie puisqu’elle ajoute « J’ai une amie québécoise [mariée

avec un Français] [qui habite] à [dans la région montréalaise] qui est la seule amie que j’ai pu me faire au Québec depuis que je suis arrivée, mais à laquelle je tiens énormément » (Flavie, emphase ajoutée). Cette

« connaissance » est néanmoins une personne importante dans le réseau de Flavie (qui est aussi maman à la maison) puisqu’elles se voient de façon quasi quotidienne, soit chez une ou chez l’autre.

Le partage d’une langue maternelle commune permet aux femmes d’origine brésilienne, dont Lanna et Olivia, d’échanger plus librement sur des sujets émotifs ou de maintenir des liens avec leur culture d’origine.

Mais je pense que les amis brésiliens sont très importants, parce que je pense qu’il faut garder la culture, il faut garder notre façon de vivre aussi. Je pense que c’est, si je n’avais pas des amis brésiliens, ça m’éloignerait plus du Brésil. Je pense qu’on se comprend. Parce qu’il y a des petites différences de culture, de façons de vivre, de façons de voir les choses. Par exemple, les brésiliens, ils aiment beaucoup faire des blagues et si tu les fais à un Québécois, il ne va pas comprendre, il va penser que c’est la vérité. (Lanna)

Par contre, on peut le voir comme une arme à double tranchant, comme l’expose Olivia, car la discussion peut avoir une tendance à agir comme soupape face au découragement, mais aussi à un entraînement de groupe vers ce même découragement.

Ça, c’est une chose plate que je trouve parce que quand on est réunis, on est ensemble et on parle beaucoup de choses qui nous dérangent ici. Je trouve, et on a déjà parlé entre nous à propos de ça, on ne trouve pas que ça soit sain pour nous, pour notre santé mentale. Parce que on se réunit et on commence à parler « Ah! C’est parce que ici c’est comme ça. Ici, c’est comme ça. », les choses qui nous dérangent. Et ça, ce n’est pas bon! Même pour nos enfants qui sont en train d’écouter ça, la conservation, on essaie de changer, mais parfois c’est plus fort que nous. (Olivia)

Sous un autre angle, Olivia se demande aussi si c’est la langue ou certaines habitudes culturelles qui l’éloignent des femmes québécoises qu’elle a rencontrées.

J’aime beaucoup mes amies québécoises, mais je dirais que c’est… peut-être à cause de la barrière de la langue aussi. Je les aime beaucoup, elles sont de très bonnes personnes, mais ici « C’est l’heure du souper, il est 6 heures, bye! Je ferme ma maison et je vais souper avec mes enfants. Et je ne parle pas de mes sujets très personnels ». C’est différent. Alors, oui, j’avais ces amis québécois. (Olivia)

Olivia constate que ses fréquentations québécoises n’abordent pas de sujets très personnels avec elle. De plus, les habitudes de vie qui sont très culturellement influencées, comme le rythme ou le partage des repas, sont différentes des siennes comme Brésilienne. La commensalité n’est pas très développée au Québec, car au lieu de s’ouvrir et d’inviter à l’heure des repas, on se replie sur soi, sur son noyau familial. Comme l’indique Fischler « [c]ommensality is both inclusive and exclusive: it creates and/or sanctions inclusion (even transient inclusion) in a group or community, as well as exclusion of those not taking part. […] Commensality produces bonding. […] Sharing food has been shown to signify (or create) intimacy » (Fischler 2011 : 533). Puisque la commensalité est davantage présente en Amérique du Sud, Olivia a l’impression d’être maintenue à l’écart de la sphère privée de ses connaissances québécoises. Cet exemple témoigne bien des « barrières » culturelles qui peuvent être rencontrées, et potentiellement qui doivent être surmontées, par les femmes immigrantes de mon échantillon dans leur quête d’un réseau social.