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Chapitre 4 : Les stratégies d’intégration : réseaux sociaux et autres avenues, les femmes immigrantes en tant

4.1 L’appui émotionnel des réseaux sociaux dans l’intégration : crucial, mais restreint

4.1.3 Le maintien des liens transnationaux

À l’arrivée dans un nouveau milieu, on a tendance à s’appuyer sur ce que l’on connaît déjà. À cet égard, les réseaux transnationaux, principalement de type familial, sont une source de support, de réconfort et de stabilité devant les écueils d’un quotidien qui semble parfois décousu.

Je me permets de rappeler que le transnationalisme peut être défini « as the processes by which immigrants build social fields that link together their country of origin and their country of settlement » (Glick Schiller, Bash et Blanc-Szanton 1992 :1). Dans cette perspective, des liens sociaux sont maintenus par les personnes immigrantes, depuis leur nouvel endroit d’installation, avec leur société d’origine, malgré la distance. Évidemment, ces relations peuvent être de type familial, mais aussi, notamment, économique (échange de biens et d’argent), politique (influence politique de la diaspora dans le pays d’origine) ou religieux (maintien de la pratique religieuse et parfois sa revitalisation dans une quête de légitimisation (Capone 2010 : 241)). À travers ces réseaux, les décisions, les actions et même le développement de la nouvelle identité des immigrants sont influencés et influencent en retour les gens (principalement parents, familles et amis) qui sont inclus dans ces réseaux transnationaux (Glick Schiller, Bash et Blanc-Szanton 1992 :1).

Pour plusieurs femmes, la technologie joue un rôle primordial dans le maintien des liens avec leurs proches qui sont restés au pays. Il existe des logiciels de téléphonie gratuits qui permettent d’avoir des échanges à travers le monde grâce à une connexion internet et ainsi éviter des frais d’interurbains. Certains de ces logiciels permettent aussi d’utiliser les caméras et donc d’ajouter l’image à la voix; c’est un outil qui était utilisé quotidiennement pour certaines des femmes rencontrées.

Le développement de nouvelles technologies (Internet, Skype, cartes téléphoniques prépayées, téléphones mobiles, etc.) et la démocratisation des voyages (compagnies à bas prix) jouent un rôle important dans la structuration, le maintien et le développement des réseaux transnationaux des migrants. En effet, les premières permettent une communication régulière à distance, alors que les seconds facilitent une reprise directe des contacts relativement constante. À travers les nouvelles technologies, les migrants sont constamment présents dans les vies de leurs proches, même si leur présence est virtuelle. Ainsi, leur absence peut être compensée par des modes de communication directs et instantanés qui leur permettent de prendre part à distance à la vie de leurs proches. (Vatz Laaroussi et Bolzman, 2010 :11)

C’est aussi un moyen pour permettre aux grands-parents des interactions avec leurs petits-enfants et de les voir grandir, à distance. Khaira a même mentionné qu’elle et sa mère pouvaient se montrer leurs repas du soir de façon quotidienne.

4.1.3.1 Des contacts avec la famille, à tous les jours ou presque

Mon objectif, ici, n’est pas de me lancer dans une analyse transnationale de l’ensemble des rapports entretenus par les femmes de mon échantillon24, mais davantage de porter l’attention sur le maintien de liens familiaux transnationaux. Ainsi, lorsqu’on parle d’une famille transnationale, cela fait référence à une famille caractérisée « par la dispersion géographique d’un groupe familial suite à la migration d’un ou plusieurs de ses membres et par la continuité de liens étroits à travers les frontières » (Le Gall 2005 : 30). Les liens quotidiens avec la famille restée à l’étranger sont fréquents chez l’ensemble des femmes rencontrées; pour certaines, on peut même parler de plusieurs contacts chaque jour. « Quelques études nous renseignent d’ailleurs sur le rôle actif des femmes dans la constitution quotidienne des liens » (Le Gall 2005 : 36). Pour Elina, par exemple, les communications avec sa famille, dont sa mère qui est venue les visiter l’année précédent notre entretien, se fait par téléphone et par le biais d’internet, trois à quatre fois par semaine. Mais pour Izza, au Québec depuis plus longtemps que la moyenne des autres femmes, c’est différent. Les relations avec sa famille immédiate ont été maintenues, mais la distance lui a « permis » d’être plus sélective par rapport à certains autres proches. Ce phénomène de sélection des liens qui sont maintenus ou non dans une situation de famille transnationale est aussi relevé par Le Gall dans son tour d’horizon des études portant sur cette thématique.

Bryceson et Vuorela (2002) utilisent le terme «relativizing» pour décrire la façon dont les individus établissent, maintiennent ou évitent certains liens avec des membres de leurs familles. Selon leurs besoins spécifiques, ils poursuivent activement, négligent passivement des liens de sang, ou inventent des liens de parenté, «strategically choosing which connections to emphasize and which to led slide during particular periods» (Bryceson et Vuorela, 2002 : 7). Les liens sont mobilisés en fonction des circonstances et étapes du cycle de vie (Levitt et Waters, 2002). Se pose donc également la question du choix de poursuivre ou non les contacts et celle des motifs qui président au maintien des liens. (Le Gall 2005 : 36)

4.1.3.2 Amis et collègues, un maintien plus ardu

Pour plusieurs des femmes, les amis et collègues de travail qui partageaient leur quotidien avant leur migration font maintenant partie du passé.

Oui, [je garde contact] avec des amis aussi. Mais, ce n’est pas la même chose. Je pense que les gens pensent que quand tu vas habiter dans un autre pays, tu vas oublier les choses du Brésil, tu vas oublier les amis. Et, ce n’est pas moi, ce n’est pas ma famille, ce n’est pas mes amis ici, mais ce sont les gens au Brésil qui s’éloignent, qui s’éloignent oui. Et moi, je ressens ça un peu. Je suis un peu triste parfois parce que je pense « Ah! Mes amis, ils vont m’oublier. » (Lanna)

24 Ce type d’analyse a déjà été effectué par Garant (2010) qui s’était intéressée aux immigrants récemment arrivés au

Reanna est en contact fréquemment avec sa famille ainsi qu’une amie. Elle souligne aussi que certaines relations sont difficiles à maintenir : « [ils] me manquent beaucoup mes amis du travail, oui, c’est surtout des

personnes que je voyais tous les jours » (Reanna). Ainsi, selon certaines femmes, comme Flavie, il est plus

difficile de maintenir des liens avec certains amis et les collègues laissés derrière qu’avec la famille, compte tenu des liens de filiation. De plus, la vie continue d’évoluer pour chacune, de son côté. Salma a quitté son pays sous le statut de « fille libre, célibataire », mais a maintenant un mari et deux enfants; sa situation personnelle a beaucoup changé. « Probablement que si j’étais en Tunisie, une mère, ça aurait affaibli [les

liens quand même]. Donc c’est sûr que le contact, il n’est pas comme dix ans en arrière. Tout le monde change » (Salma).

L’exemple de Flavie, qui conserve un lien très fort avec une amie qui réside en France, diffère du vécu de la majorité des autres femmes : « […] par téléphone, ma mère, c’est hebdomadaire ou bihebdomadaire. Et j’ai

une très grande amie, c’est quotidien. Le coup de téléphone quotidien; voire trois à quatre fois par jour. Ça peut être un coup de téléphone aux trois heures » (Flavie); le tout, grâce à un forfait téléphonique illimité, bien

sûr.

Ainsi, la force des liens transnationaux qui sont maintenus par les femmes rencontrées peut varier sensiblement de l’une à l’autre. Dans le cas de la famille, pour la majorité d’entre elles, ce sont des liens qui restent forts. Par contre, pour ce qui est des amis et collègues, l’absence de proximité physique avec eux semble, pour beaucoup d’entre elles, limiter les contacts, surtout que chaque personne évolue et vit de nouvelles expériences, et ce dans des contextes différents, de surcroît.

[Je ne maintiens pas vraiment, pas beaucoup de liens.] À part la famille [dont une partie est maintenant répartie sur le globe, dont certains au Canada et au Québec], une amie, deux amies d’enfance. Eh non, c’est trop loin. Ils ont changé, j’ai changé. Chacun a évolué à sa façon. Et... les années passent... On échange des nouvelles sur nos situations familiales, sur les situations professionnelles. S’il y a un bébé qui naît là-bas, je suis au courant. J’ai une petite fille, ils sont au courant. On s’échange des photos. Il y a beaucoup de choses que je ne leur dis pas, même pas parce que je ne veux pas les inquiéter, même pas ça, [mais] c’est parce que c’est hors sujet, ce n’est pas dans leur contexte. Donc, ce n’est pas compris là-bas et ça ne donne rien. Si j’ai des difficultés quelconques dans la vie, bien, j’ai mon milieu ici. Je peux parler aux gens qui sont sous la main. (Izza)

En somme, comme le relevaient Vatz Laaroussi et Bolzman (2010) dans leur tour d’horizon des perspectives contemporaines des champs de recherche des réseaux transnationaux et des familles immigrantes :

On constate dans cet état des lieux portant à la fois sur les réseaux et sur les familles des migrants que ces deux champs conceptuels se rejoignent sur leur définition transnationale ainsi que sur certaines fonctions, comme le soutien, la continuité et la socialisation, dont ils sont ensemble et différemment porteurs. (Vatz Laaroussi et Bolzman, 2010 : 13)

Ainsi, la distance, mais surtout le temps influencent le maintien des liens sociaux transnationaux. Lorsque l’on considère l’importance de la famille, locale ou transnationale, dans le processus d’intégration des nouveaux arrivants, il est concevable de conclure « [qu’] aux yeux de ses membres, la famille apparaît comme un repère relativement stable et sécurisant, capable d’apporter non seulement un soutien matériel, mais de répondre aussi aux besoins émotifs des individus » puisque l’accès à la technologie permet de limiter ou d’éliminer la distance des frontières géographiques (Le Gall 2005 : 37). Compte tenu du fait que, chez les répondantes, le développement de nouveaux réseaux sociaux, en dehors de la famille, était de petite envergure, il sera intéressant de voir comment l’appui informatif recherché se joue concrètement et quels acteurs sont interpellés comme source d’information.

4.2 Les réseaux sociaux comme appui informatif : chercher,