• Aucun résultat trouvé

Synthèse du chapitre

Chapitre 4 : l’évolution du business model social

1.3 Mobilisation d’une approche mixte et enjeux d’évolution du BMS

Nous mobiliserons les deux approches dans ce travail pour étudier l’évolution du BM d’entreprises sociales françaises et sénégalaises. Si certains auteurs privilégient l’une ou l’autre, d’autres s’intéressent à la fois au processus et au contenu car ces deux approches sont considérées comme complémentaires (Maucuer, 2013). Elles doivent être combinées pour saisir la complexité des phénomènes d’évolution (Pettigrew, 1990) car l’une sert à renforcer la compréhension de l’autre (Van de Ven et Poole, 1990). La prise en compte simultanée des deux approches (Zott et al., 2011) montre que leur distinction est difficile (Schneider et Spieth, 2013).

Les BM complets sont souvent trop complexes et difficiles à représenter pour travailler avec, de sorte que l'analyste doit simplifier leur représentation. Il existe deux façons principales de passer du détail complet et réel à une représentation traitable du BM : l'agrégation et la décomposition.

En effet, l’agrégation permet de zoomer pour regarder le BM réel à distance, de regrouper des choix détaillés et leurs conséquences dans des constructions importantes. L’analyste doit trouver la bonne distance pour évaluer le BM d’une entreprise. En effet, en regardant de trop près chaque choix et conséquence, l'analyste manquera l'image plus large de la façon dont le BM fonctionne en général. De même, en regardant de trop loin, cela signifie que tous les détails intéressants sont perdus.

Concernant la décomposition, certains BM sont décomposables dans la mesure où les différents ensembles de choix et de conséquences n'interagissent pas entre eux et peuvent donc être analysés isolément. En fonction de la question à aborder, il est peut-être approprié de représenter quelques parties du BM d'une organisation. Ainsi, nous avons essayé de trouver le juste équilibre entre l’agrégation et la décomposition de notre modèle d’analyse du BMS.

150

1.3.1 Les enjeux et logiques d’évolution du BM

Les dirigeants ajustent progressivement le BM de leur entreprise pour le faire évoluer tout en préservant sa cohérence (Demil et Lecocq, 2010). Les BMs sont constitués de choix concrets et les conséquences de ces choix (Casadesus-Masanell et Ricart, 2010). « Les différentes conceptions suivent différentes logiques spécifiques d'exploitation et créent une valeur différente pour leurs parties prenantes » (Casadesus-Masanell et Ricart, 2010 p.197). Selon ces derniers auteurs, deux ensembles de différents éléments permettent de construire le business model.

En premier lieu, il y a les choix concrets que la direction effectue sur la manière dont l'organisation doit fonctionner. Par exemple, ces choix peuvent concerner les pratiques de rémunération, les contrats d'approvisionnement, l'emplacement des installations, les actifs employés, l'étendue de l'intégration verticale et les initiatives de vente et de marketing.

En second lieu, il s’agit des conséquences des choix effectués. Par exemple, les incitations offertes aux salariés peuvent avoir des conséquences sur la volonté des employés d'exercer des efforts ou de coopérer avec des collègues. De même, les politiques de prix ont des implications évidentes sur les volumes de ventes, qui à leur tour, affectent les économies d'échelle et le pouvoir de négociation dont jouit l'entreprise.

Ainsi, certains auteurs soulignent la nécessité de construire la cohérence interne du BM (Demil et Lecocq, 2010) afin d’obtenir des boucles vertueuses (Casadesus-Masanell et Ricart, 2007) génératrices de performance. De telles interconnexions entre les éléments du BM sont également essentielles à la vision dynamique sur laquelle les auteurs insistent sur l'interaction permanente des différentes composantes (ex. Demil et Lecocq, 2010 ; Casadesus-Masanell et Ricart, 2007). Pour Demil et Lecocq, « le rôle du manager est crucial puisqu’il lui revient de trouver cette cohérence entre composantes centrales de l’organisation et initiatives managériales » (Demil et Lecocq, 2010, p. 244).

D’autres auteurs abordent la nécessité d’adapter le BM à l’environnement dans lequel il s’insère (Moyon, 2011 ; Lecocq et Moyon, 2010 ; Maucuer, 2013). L’évolution du BM implique des changements volontaires et émergents, c’est-à-dire une réponse aux événements externes positifs ou négatifs (Demil et Lecocq, 2010). Si la cohérence interne est essentielle à l’efficacité

151

des mécanismes ainsi qu’à l’émergence de cercles vertueux entre les éléments du BM (Casadessus-Masanell et Ricart, 2007), la cohérence externe permet de s’adapter aux évolutions de l’environnement (Lecocq et Moyon, 2010). La recherche de cohérence interne et externe peut ainsi entraîner des améliorations ou des renouvellements de BM.

Demil et Lecocq (2010) montrent que le BM peut être adapté proactivement à travers deux mécanismes de changement : les mécanismes volontaires et les mécanismes émergents. Les mécanismes volontaires relèvent d’un réagencement ou d’une utilisation optimisée du système de ressources et de compétences : « les ressources ne sont jamais utilisées de manière optimale et les inefficiences persistent, offrant des opportunités pour de nouvelles propositions de valeur et pour une meilleure exploitation des ressources » (p.241). Les mécanismes émergents relèvent de la dynamique interne du BM : « les facteurs internes ne sont pas seulement le résultat des décisions des managers, mais également de la dynamique intra et inter- composantes du BM » (p.241).

En outre, la cohérence temporelle du BM est cruciale pour la survie de l’entreprise à long terme. Celle-ci doit savoir capitaliser sur son système de valeur lorsque celui-ci fonctionne en évitant tout changement d’ampleur. Lorsqu’un changement de valeur n’est pas nécessaire, la continuité permet à l’entreprise de capitaliser sur son expérience et ses apprentissages pour améliorer son BM (Garreau et al., 2015).

1.3.2 La prise en compte de la triple bottom line

dans l’évolution du BM

On constate aujourd’hui deux catégories d’enjeux, sociaux et environnementaux, que les entreprises doivent tenir compte pour assurer leur pérennité. En effet, pour atteindre une performance globale, « il souhaitable pour une entreprise d’élargir le cadre de la création de valeur en dépassant la seule valeur financière, pour intégrer la valeur environnementale et sociale » (Sempels et Hoffmann, 2013 p.56). Cependant, intégrer le développement durable

152

dans le BM génère des coûts supplémentaires voire même contradictoire33 à ses objectifs de performances financières.

Pour Sempels et Hoffmann (2013), si le business model ne permet pas d’aligner les enjeux économiques, environnementaux et sociaux, c’est qu’il est inadapté. Donc la seule solution véritable et crédible, est d’en changer. Formulé de manière plus positive, il convient d’innover en matière de BM pour se construire un avantage concurrentiel dans l’économie durable en expérimentation et en construction poursuivent ces derniers auteurs. Intégrer une approche de développement durable dans son business model permet d’éviter des coûts liés aux réglementations et aussi de s’engager dans l’innovation pour ne pas se faire distancer par la concurrence. Par exemple, pour réduire les émissions de CO2 en Europe dans le secteur de l’automobile, une directive européenne préconise des normes à savoir : atteindre l’objectif de 95 grammes de CO2 le plafond d'émissions de gaz à effet de serre des voitures particulières d'ici 202034. Une entreprise qui n’appréhenderait pas ces changements au-delà du nécessaire

besoin d’évolution de ses ressources et compétences, risque de disparaître à moyen ou long terme. Le BM permet de comprendre les processus de création et de captation de valeur au sein d’une entreprise à un moment donné (Lecocq et al., 2006).

Nous avons adopté une perspective historique pour étudier l'évolution du BM des startups sociales du lancement à la croissance. De plus, nous avons utilisé l’approche BM qui fournit une représentation précise en révélant exactement comment les différentes composantes du modèle d'entreprise ont évolué au fil du temps. Il s’agit ici de comprendre comment éviter les risques de dérives mais également construire des boucles vertueuses.

En dépit d'une littérature croissante sur l'évolution des modèles d'affaires (Demil and Lecocq, 2010 ; Sosna et al., 2010 ; Teece, 2010), on constate encore une compréhension limitée sur la planification et la manière d’introduire le changement dans le BM (Garreau et al, 2015 ; Cavalcante, 2014). Pour Garreau et al., (2015), la littérature ne permet pas d’appréhender de

33 Par exemple, un fournisseur d’énergie basant son revenu sur un volume de vente peut-il encourager la baisse de

la consommation d’énergie ou comment maintenir des activités dans un territoire pour garder des emplois, alors qu’on peut fabriquer ailleurs moins chers.

34http://www.latribune.fr/entreprisesfinance/industrie/automobile/20131004trib000788926/reduction-du-c02-

153

façon satisfaisante la logique d’évolution du BM. Ces études identifient les formes et l’ampleur du changement de BM a posteriori mais n’apportent pas aux managers un cadre leur permettant d’anticiper ou d’orienter les changements de BM nécessaires à l’évolution de leur entreprise. Ces classifications dans la littérature ont été proposées à partir d’études d’entreprises diverses et variées (grandes et petites, et de secteurs différents) mais aucune n’a étudié le cas spécifique des entreprises sociales. Pour cette raison, une de nos questions de recherche est : comment les différentes composantes du BM de startups sociales françaises et sénégalaises évoluent-elles dans le temps dans une perspective multidimensionnelle ?

Section 2 : cadre opérationnel de la recherche, le