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Synthèse du chapitre

Section 2 : Le débat conceptuel et théorique

3.1 L’entrepreneuriat social, une variété d’approches

Le concept d'entrepreneuriat social signifie différentes choses pour différentes personnes et chercheurs (Dees, 1998b). Selon Mair et Marti (2006) trois courants ou approches le caractérise. D’abord, un premier groupe de chercheurs définit l'entrepreneuriat social comme les initiatives à but non lucratif à la recherche de stratégies alternatives de financement ou des systèmes de gestion afin de créer de la valeur sociale (Austin et al., 2003 ; Boschee, 1998). Ensuite, un deuxième groupe de chercheurs définit l’entrepreneuriat social comme la pratique socialement responsable des entreprises commerciales engagées dans des partenariats intersectoriels (Sagawa et Segal, 2000 ; Waddock, 1988). Et enfin, un troisième groupe de chercheurs

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considère l'entrepreneuriat social comme un moyen d'atténuer les problèmes sociaux et de catalyser la transformation sociale (Alvord et al., 2004). Par ailleurs, Seelos et Mair (2005) considèrent l'entrepreneuriat social comme la création d'entreprises pour lutter contre la pauvreté. Ces différentes conceptions de l’entrepreneuriat social renvoient à des approches ou courants que nous détaillerons ci-après.

3.1.1 L’approche orientation marché

Selon Boschee « l’entrepreneuriat social est l’action de dirigeants à but non lucratif qui accordent l’attention aux forces du marché, sans pour autant perdre de vue leur mission », (Boschee, 1995 p.1). Cette mission consiste à équilibrer des impératifs moraux et des motivations de profit et dont la conjonction est le cœur et l’âme du mouvement. L'orientation marché peut se manifester de différentes façons et prendre différentes formes selon le contexte (Choi et Majumdar, 2014). L'orientation du marché peut être exprimée en termes d'activités commerciales, qui génèrent des revenus du travail pour assurer la pérennité des activités de l’entreprise sociale et l'autosuffisance de l'organisation. Dans un autre ordre d’idée, de l'orientation marché peut impliquer l'emploi d’activités commerciales directement liées à la mission sociale pour assurer la distribution la plus efficace et efficiente des services sociaux et des produits. C’est cet aspect de l'orientation du marché de l'entrepreneuriat social qui est valorisée positivement et qui donne à l'entrepreneuriat social une « image de l'entreprise comme

la discipline, l'innovation et la détermination » (Dees, 1998a p.1).

3.1.2 L’approche centrée sur l’entrepreneur social

porteur d’innovations sociales

Cette approche accorde une place centrale à l’innovation sociale. C’est le profil de l’entrepreneur social qui est mis en exergue, ainsi que sa créativité, son dynamisme et son leadership pour concrétiser des réponses nouvelles à des besoins sociaux » (Defourny et Nyssens, 2010). Il est considéré comme l'initiateur d'un projet social d'entreprise. Il est vu comme l'innovateur qui imagine et impulse grâce à des innovations sociales et des processus de changement social (Swedberg, 2009 ; Ziegler, 2010). L'entrepreneur social est considéré comme central dans l'entrepreneuriat social par de nombreux auteurs (Bornstein, 2004 ; Dees, 1998a; Leadbeater, 1997; Lumière 2008: 6-19; Roper et Cheney, 2005; Thompson, 2002;

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Thompson et Doherty, 2006; Waddock et Post, 1991). Néanmoins, certains chercheurs ont également noté dans certains cas qu’un collectif d'entrepreneurs sociaux peut être à l’origine du projet d’entrepreneuriat social (Bacq et Janssen, 2011).

En outre, nous remarquons que le concept d’entrepreneur social n’est lui-même pas exempt d'ambiguïté. Qui est-ce qu’un entrepreneur social ? C’est une question à laquelle il n’est pas facile de répondre, par exemple. Certaines personnes considèrent l'entrepreneur social tout simplement comme quelqu'un qui lance et exploite une organisation à but social (Bacq et Janssen, 2008). En effet, Bacq et Janssens définissent l’entrepreneur social comme « un individu visionnaire, dont l’objectif premier n’est pas de faire du profit mais de créer de la valeur sociale, capable à la fois de saisir et d’exploiter les opportunités qui se présentent à lui, de rassembler les ressources nécessaires à la conduite de sa mission sociale, et de trouver des solutions innovantes aux problèmes sociaux non traités de sa communauté par le système en place. Cela l’amènera à adopter un comportement entrepreneurial inscrit dans des pratiques de gestion traditionnelles » (Bacq et Janssens, 2008 p.8).

Pour Bornstein (1998), l’entrepreneur social Ashoka est un pionnier qui a développé une idée nouvelle et puissante ainsi qu’un mode créatif de résolution de problèmes à la fois visionnaire et pragmatique, qui a une fibre éthique solide et qui est totalement imprégné par sa vision de changement. L’ONG Ashoka, initiatrice et actrice majeure de l’entrepreneuriat social, qui compte 3300 entrepreneurs sociaux (fellows) dans plus de 85 pays en 2017, s’inscrit dans ce courant en attribuant des bourses à ces fellows (entrepreneurs boursiers). Elle définit un entrepreneur social comme « un individu qui met ses qualités entrepreneuriales au service

de la résolution d'un problème sociétal à grande échelle. Quel que soit le domaine où il s'engage, l'entrepreneur social se donne comme critère majeur de réussite l'ampleur de son impact sur la société26». Cette définition considère l'entrepreneur social comme un visionnaire, un innovateur et un change-maker preneur de risque (Bacq et Janssen, 2011). Bill Drayton, le fondateur d'Ashoka, considère l’entrepreneuriat social comme le résultat de traits personnels très spéciaux partagés par seulement un petit pourcentage de la population ; traits qui vont au- delà des motivations altruistes et refléter une détermination à changer l'ensemble de la société (Seelos et Mair, 2005). Une définition est emblématique27 de ce courant est celle de Dees selon

26 Définition du site https://www.ashoka.org/fr/activit%C3%A9/lentrepreneuriat-social consulté le 10/04/2017 27 Selon Defourny et Nyssens (2010)

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laquelle : « l’entrepreneur social joue un rôle d’agent de changement dans le secteur social en poursuivant une mission de création de valeur sociale et en exploitant de nouvelles opportunités pour soutenir cette mission. Il s’inscrit dans un processus continu d’innovation, d’adaptation et d’apprentissage, agissant avec audace sans être limité, à priori, par les ressources disponibles et en faisant preuve d’un sens aigu de l’engagement vis-à-vis de sa mission et de ses impacts sociaux » (Dees, 1998b p.4). C’est la définition de l’entrepreneur social que nous retenons dans cette recherche.

3.1.3 L’approche capitaliste de l’entrepreneuriat

social

Le social business illustré par le micro-crédit initié par Muhammad Yunus et par le modèle BOP (bottom of the pyramid) de Prahalad (2006), se propose, en effet, de développer des activités commerciales auprès des plus pauvres dans un double objectif de réduction de la pauvreté et de création de nouveaux débouchés économiques (Bon et Van der Yeught, 2015).

✓ Le concept de « social business »

En 2006, le concept de « social business » est mis au-devant de la scène avec le Prix Nobel de la Paix décerné au professeur Muhammad Yunus fondateur de la Grameen Bank. Fort de son expérience et de son succès notamment dans le microcrédit, le fondateur de la banque des pauvres a su convaincre plusieurs grandes entreprises dans la lutte contre la pauvreté au Bangladesh. Ce fut le cas de Danone (Grameen Danone pour le yaourt nutritif), de Veolia (Grameen Véolia Water pour l’eau potable à bas prix), etc. Selon Yunus et al. (2010), un social business peut être considéré comme un sous-ensemble de l’entrepreneuriat social, qui comprend à la fois des objectifs lucratifs et non lucratifs, et qui peut être distingué de l’entrepreneuriat classique à travers la priorité relative accordée à la création de richesses sociales. Le social business est souvent confondu avec le concept de BoP auquel il est pourtant bien distinct malgré une certaine complémentarité et un commun objectif de réduction de la pauvreté par le marché. L’approche « social business » peut être rangée dans le courant américain de l’approche de l’orientation marché (Defourny et Nyssens, 2010). Ce courant étend la notion d’entreprise sociale à toute organisation à but lucratif ou non qui déploie une activité marchande en vue d’une finalité sociale (Austin et al. 2006).

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✓ L’approche bottom of the pyramid (base de la pyramide) L’approche dite bottom of the pyramid (BoP) définie par Prahalad (2004) dans son ouvrage The

Fortune at the Bottom of the Pyramid, propose de s’intéresser à un segment de marché composé

de quatre milliards d’individus disposant de moins de deux dollars par jour, (la base de la pyramide) afin d’éradiquer la pauvreté. L’auteur insiste sur le fait que les pauvres sont victimes du surcoût qu’ils payent pour accéder à des biens et des services. L’auteur interpelle les dirigeants des entreprises et notamment des multinationales à surmonter ce paradoxe en évoquant les profits qu’ils pourraient réaliser en mettant en place des stratégies adaptées aux populations de la base de la pyramide. Ainsi, dans tous les secteurs économiques, les entreprises et particulièrement les multinationales, pourraient réaliser des profits considérables à condition d’adapter leurs offres aux besoins des consommateurs situés à la base de la pyramide, non pas grâce à d’importantes marges, mais par des économies d’échelle issues de la taille colossale du marché. Vu la place trop importante accordée à la consommation au lieu de la production, des auteurs comme Kocken (2004) trouvent l’approche BoP paradoxale. Pour ce dernier auteur, il paraîtrait plus logique de remédier à la pauvreté en augmentant les revenus des pauvres en leur achetant des produits plutôt qu’en leur soutirant de l’argent.

Les stratégies BoP et social business des grandes entreprises sont une sorte d’engagement dans la réduction de la pauvreté, dans leurs démarches de responsabilité sociale d’entreprise par la mise en place d’activités qui couvrent leurs coûts. La stratégie BoP a pour objectif premier d’être financièrement rentable tout en ayant un impact social positif, le contraire prévaut pour le social business qui vise avant tout à lutter contre la pauvreté (Yunus, 2011).

Les concepts de BoP et de social business sont souvent considérés comme des pratiques de RSE (responsabilité sociale d’entreprise) mises en place par les grandes entreprises (Mair et Marti, 2006). Néanmoins, dans les pays en voie de développement comme le Sénégal où certains besoins sociaux de base ne sont pas satisfaits, l’entrepreneuriat social peut être plus inclusif pour regrouper dans un ensemble immense toutes les initiatives qui bénéficient d’une manière ou d’une autre à la société (Martin et Osberg, 2007). Il peut s’appliquer à un ensemble très vaste d’initiatives allant de la responsabilité sociale de l’entreprise au volontariat (Defourny et Nyssens, 2008). Tout compte fait, nous résumons ces différentes approches en quatre dans le tableau 2 ci-après.

88 Visions de l’ES Définitions L’approche européenne

En Europe continentale, l’accent a été mis sur l’entrepreneuriat collectif et sur les spécificités organisationnelles garantissant une dynamique collective et la primauté de la mission sociale (Defourny et Nyssens, 2010 ; Huybrechts et al. 2012 ; Mair et Marti, 2006).

Orientation marché

L’accent a été mis sur la commercialisation de biens et de services par les organisations sans but lucratif et sur les initiatives privées fournissant des biens publics (Huybrechts et al. 2012). C’est une stratégie de survie du secteur associatif qui est confronté à la diminution des ressources financières provenant des dons et des subventions publiques.

L’approche de

l’innovation sociale

Dans cette vision, on porte une attention particulière sur l’importance de l’innovation sociale dans le processus d’entreprendre. Cette approche est centrée sur l’entrepreneur social qui innove socialement par sa créativité, son dynamisme et son leadership pour concrétiser des réponses nouvelles à des besoins sociaux (Bacq et Jansen, 2011 ; Defourny et Nyssens, 2010). L’approche

capitaliste de l’ES

Dans cette perspective, l’ES peut être étendu pour inclure les projets RSE de grandes entreprises qui proposent des solutions pour satisfaire des besoins sociaux de base dans les pays en voie de développement. Dans cette

dynamique, l’approche BoP développée par Prahalad (2004) peut intégrer le champ dans la perspective du social business.

Dans l’ensemble, ces différentes approches de l’entrepreneuriat social renvoient à divers modèles d’organisation qui sont associés à la notion d’organisation ou d’entreprise sociale. Nous développons ci-après différentes visions ou approches de l’entreprise sociale.