• Aucun résultat trouvé

Synthèse du chapitre

Section 1 émergence historique de l’entrepreneuriat social

Dans cette section, nous montrerons par des exemples historiques d’entreprises sociales que les pratiques d’entrepreneuriat social sont anciennes même si le concept et ses travaux sont nouveaux. De plus, cette section sera l’occasion de rappeler que le mouvement de l’entrepreneuriat social est mondialisé avec des pratiques diverses et variées mobilisant divers acteurs.

1.1 Un concept nouveau aux pratiques anciennes

Le concept est récent, seulement depuis trois décennies (Bacq et Janssen, 2011 ; Schmitt, 2008 ; Dees, 1998b). Il n’attire l’attention des chercheurs que depuis quelques années (Boschee, 1998; Dees, 1998b). Toutefois, certains chercheurs soutiennent que la pratique de l'entrepreneuriat social en tant que telle n’est pas nouvelle car les entrepreneurs sociaux ont toujours existé au sein des différentes cultures et régions du monde (Bornstein et Davis, 2010 ; Roberts et Woods, 2005; Dees, 1998b).

Par exemple, Boutillier (2009) retrace les origines de l’entrepreneuriat social en analysant l’expérience de Jean-Baptiste Godin (1817-1888), un entrepreneur du 19ème siècle. Selon cette auteure, « Jean-Baptiste André Godin (1817-1888) est à la fois un innovateur technique et social. Par exemple, il invente un nouvel appareil de chauffage et fait fortune. Il crée aussi un « familistère » en s’inspirant des idées de Charles Fourier. Les ouvriers (qui le souhaitent) sont logés dans le familistère, mais bénéficient également de soins médicaux gratuits, les enfants sont scolarisés dans l’entreprise » (Boutillier, 2009 p.115).

Florence Nightingale avec ses réalisations pionnières en soins infirmiers modernes est un exemple historique d'entrepreneuriat social (Choi et Majumdar, 2014; Bornstein, 2004; Roberts et Woods, 2005). En effet, elle a lutté pour la réforme des pratiques hospitalières lors de la guerre de Crimée au 19e siècle et a ainsi fait chuter le taux de mortalité de 40 à 2%.

Un autre exemple historique d’entrepreneuriat social est Vinoba Bhave et ses réalisations dans le Land Gift mouvement en Inde (Choi et Majumdar, 2014). Fondateur et leader du mouvement

73

de don de terre, il commanda la redistribution de plus de 7 000 000 acres20 de terres pour venir en aide aux intouchables de l'Inde.

Ces exemples montrent que les pratiques d’entrepreneuriat social sont anciennes. Dans ces exemples historiques, on constate que « les chercheurs mettent en avant l’entrepreneur social (l’individu) et l’aspect organisationnel étant, quant à lui, presque absent » (Bornstein et Davis, 2010 p.2). Ainsi, la prise en compte de la dimension organisationnelle dans la définition de l’entrepreneuriat social est une nouveauté (Choi et Majumdar, 2014). Depuis l’émergence du concept dans les années 1980, il est possible de citer quelques exemples d’entreprises sociales afin d’illustrer le concept d’entrepreneuriat social prenant en compte l’aspect organisationnel, l’entreprise sociale.

1.2 Des cas historiques d’entreprises sociales dans le monde

Seelos et Mair (2005) ont analysé trois cas de succès de l'entrepreneuriat social dans le monde entier à savoir la Grameen Bank au Bangladesh, l'Aravind Eye Hospital en Inde et Sekem en Egypte.

D’abord, l’exemple le plus cité par les auteurs21 et le plus médiatisé est la Grameen-Bank initiée

en 1976 par le professeur Muhammad Yunus qui a gagné une reconnaissance mondiale avec l'attribution du prix Nobel de la paix 2006. La Grameen Bank a changé la vie de millions de personnes en offrant des services financiers aux pauvres, en particulier les femmes (Mair et Marti, 2006). Elle a aidé ces femmes à rétablir la rentabilité de leurs activités, à lutter contre la pauvreté (Yunus, 2011). En 2003, cette banque avait prêté quatre milliards de dollars à 2,8 millions de villageois bangladais, dont 95% de femmes (Bornstein, 2005). Ce qui a permis à ces bénéficiaires de « mieux nourrir leur famille, de construire des maisons couvertes de tôle ondulée pour s’abriter de la mousson, d’envoyer leurs enfants à l’école et d’épargner pour assurer leur vieux jour » (Bornstein, 2005 p.22).

20 Mesure de surface agraire (en France, l'acre valait 52 ares selon le Larousse)

21 Entre autres Hamby et al. (2010), Lumière (2006), Mair et Martí (2006), Schieffer et Lessem (2009), Seelos et

74

Ensuite, l'Aravind Eye Hospital, créé en 1976 par le Dr Venkataswamy en Inde, a offert des services et de la chirurgie de la cataracte pour soigner la cécité à une très petite fraction du coût dans les pays développés22.

Enfin, notre troisième exemple est Sekem créé par le Dr Ibrahim Abouleish en 1977 comme une entreprise sociale, est aujourd'hui un multi-métier. Sekem crée non seulement de la valeur économique, sociale et culturelle mais a également eu un impact significatif sur la société égyptienne. L’entreprise contribue à réduire l'utilisation des pesticides dans les champs égyptiens de coton de 90% et a créé des institutions telles que des écoles, une université, un centre d'éducation des adultes et un centre médical (Seelos et Mair, 2005).

La caractéristique commune de ces trois exemples est la combinaison de façon créative des ressources qu’eux-mêmes ne possèdent souvent pas, faut-il le rappeler, pour répondre à un problème social et ainsi modifier des structures sociales existantes (Seelos et Mair, 2005a). Ce qui implique que l’entrepreneur social n’est pas limité par les moyens.

1.3 L’émergence d’un mouvement mondial de l’entrepreneuriat

social

L'entrepreneuriat social a émergé comme un champ actif de pratiques et de recherches ces trois dernières décennies (Choi et Majumdar, 2014). Il attire des acteurs issus de tous les domaines : scientifique, économique, politique, civil et médiatique (Choi et Majumdar, 2014 ; Seelos et Mair, 2005). Son émergence commence à partir des années 90 dont les repères les plus cités dans la littérature sont la Social Enterprise Initiative lancée en 1993 par la Havard Business School (Amadio, 2011 ; Defourny et Nyssens, 2006, 2010 ; Bacq et Janssen, 2008). Cette dernière est suivie par d’autres grandes universités américaines (Columbia, Yale, etc.) et diverses fondations qui ont mis sur pied des programmes de formation et de soutien aux entrepreneurs sociaux (Amadio, 2011). Parmi ces fondations, Ashoka (États-Unis), la Canadian SocialEntrepreneurship Foundation (Canada), la School for Social Entrepreneurs (UK), la Schwab Foundation for Social Entrepreneurs (Suisse), laSkoll Foundation (États-Unis), entre

75

autres promeuvent activement l'entrepreneuriat social en mettant en évidence les réalisations d’entrepreneurs sociaux.

Dans beaucoup de pays, les gouvernements ont commencé à soutenir l'entrepreneuriat social en établissant de nouvelles formes légales afin d'encourager la formation de nouvelles initiatives entrepreneuriales et sociales en fournissant des fonds pour ces initiatives. Dans certains pays une forme juridique particulière a été prévue afin d’encourager et de soutenir les entreprisessociales. On peut citer la société coopérative d’intérêt collectif en France, lasociété à finalité sociale en Belgique, les entreprises d’économie sociale (EES) en Espagne ou au Québec, la community interest company (intermédiaire entre l’entreprise privée et l’association de bénévoles (charities ) en Grande-Bretagne, les entreprises sociales (financées par des fondations) aux États-Unis, les initiatives populaires et solidaires en Amérique Latine (IPS), ou encore la coopérative sociale en Italie (Bacq et Jansen, 2008 ; Defournyet Nyssens, 2006 ). Les années 2000 ont vu un nombre croissant de centres d'entrepreneuriat social mis en place dans les universités du monde entier (par exemple CASE23 créé en 2002 par la Duke University aux États-Unis, le Skoll Centre for Social Entrepreneurship créé en 2003, etc.). De même que de nouvelles revues scientifiques sur l'entrepreneuriat social, l'entreprise sociale et l'innovation sociale ont été lancées. De plus, le nombre de conférences et de numéros spéciaux dans des revues scientifiques consacrées à cette question a considérablement augmenté (Choi et Majumdar, 2014). En outre, plusieurs prestigieuses universités ont mis sur pied des programmes de sensibilisation et de formation à l’entrepreneuriat social.

En Afrique particulièrement, les organisations internationales et les fondations RSE des multinationales participent à l’émergence d’entreprises sociales à travers la mise en place de stratégies BoP (bottom of the pyramid) et de concours (notamment le concours de l’entrepreneuriat social de la fondation Orange du Groupe France Télécom). Au Sénégal, l’Université Gaston Berger, à travers le laboratoire SERGe, a inscrit l’entrepreneuriat social dans ses axes de recherche. Ce laboratoire a organisé en décembre 2015 son premier panel entre acteurs universitaires et ceux du monde professionnel sur le thème « le mouvement de l’entrepreneuriat social au Sénégal : théories et pratiques ». Le groupe IAM (Institut Africain

23 CASE, un centre de recherche et d’éducation, dont le but est de promouvoir «la poursuite d’un impact social

au moyen de pratiques entrepreneuriales, par l’adaptation réfléchie des pratiques de gestion ». Ce centre offre, entre autres, un programme de Master in Business Administration en entrepreneuriat social.

76

Management) en partenariat avec F3 a mis en place une formation en entrepreneuriat social en 2015.

En un mot, l’entrepreneuriat social est un mouvement international, riche d’expériences, avec des initiatives diverses et variées parfois confondues avec d’autres notions qui sont proches ou similaires, ce qui le rend encore fragile. Le phénomène est difficilement mesurable en raison de l’absence de statistiques et de données chiffrées sur un concept relativement nouveau et aux contours encore flous (Bacq et Jansen, 2008). Toutefois, il est évident que l’entrepreneuriat social prend une importance croissante dans nos économies. « Le rapport de la commission européenne précise que le secteur tertiaire ne devrait pas seulement être considéré en termes économiques, étant donné le rôle important qu’il joue dans la création et la reproduction de capital social, par exemple sous la forme d’occasions de volontariat » (Bacq et Janssen, 2008 p. 143). Des données montrent, par exemple, que « le travail non rémunéré représente 40% du travail total au sein du secteur tertiaire en Allemagne, en France et en Italie, et pas moins de 73% en Suède » (Bacq et Janssen, 2008 p.143).

Selon le rapport de l'organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et le centre d’analyse stratégique (CAS) en 2013, l’entrepreneuriat social constitue un outil essentiel pour aborder les défis sociaux et y répondre lorsque le marché et le secteur public ne le font pas. L'absence d'une théorie de l’entrepreneuriat social peut être un obstacle à la pleine reconnaissance et un soutien plus ciblé qui pourrait être nécessaire pour permettre à ces initiatives de se développer à une échelle où ils peuvent apporter une contribution substantielle à la lutte contre la pauvreté sous toutes ses formes.