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épistémologique et méthodologie adoptée

Section 1 : Positionnement épistémologique

1.1 La construction de notre hypothèse ontologique

L’hypothèse ontologique répond à la question : qu’est-ce que la réalité ? L’ontologie est définie comme l’étude de l’être en tant qu’être (Blay36, 2007). Elle pose la relation avec le chercheur à

l’égard de la réalité de l’être. Le positionnement ontologique du chercheur a une influence sur la nature et la portée de la connaissance produite ainsi que sur ses réponses épistémologiques et méthodologiques (Perret et Séville, 2003).

1.1.1 L’ontologie en sciences de gestion entre

relativiste et réaliste

Thiétart (2014) distingue deux réponses à la question ontologique. D’une part, les paradigmes qui s’inscrivent dans une orientation réaliste (le positivisme logique, le post-positivisme et le réalisme critique). Ces auteurs formulent « une réponse de nature essentialiste, c’est-à-dire qu’ils défendent l’idée que la réalité a une essence propre, qu’elle existe en dehors des contingences de sa connaissance, qu’elle est indépendante de son observation et des

35 Cité par Gavard-Perret et al., 2012 et par Thietart et al.,2014 36 Cité par Gavard-Perret et al., 2012

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descriptions humaines que l’on peut en faire » (Thiétart, 2014 p.22). D’autre part, « les paradigmes inscrits dans une orientation constructiviste (l’interprétativisme, le postmodernisme et le constructivisme ingéniérique) formulent pour leur part une réponse de nature non essentialiste à la question ontologique. Cette réponse s’exprime généralement par l’affirmation que la réalité est construite et non donnée » (Thiétart, 2014 p.24). En somme, les tenants de l’ontologie réaliste apportent une réponse objective supposant l’existence d’un monde réel et les tenants de l’ontologie relativiste donnent une réponse subjective assumant l’existence d’un monde construit.

Néanmoins, il existe une différence par rapport au réel à l’intérieur des grands paradigmes en sciences de gestion associant le positiviste et le post-positiviste d’un côté, l’interprétativiste et le constructiviste d’un autre côté. Effectivement, nous pouvons observer des positions différentes sur le rapport au réel au sein de ces grandes familles positivistes et constructivistes.

A cet égard, le constructivisme et l’interprétativisme partagent l’hypothèse commune sur la nature de la réalité (l’hypothèse phénoménologique), le post-positivisme reconsidère l’hypothèse ontologique du positivisme. De même, l’interprétativisme et le constructivisme reposent sur l’hypothèse ontologique selon laquelle la réalité ne saisit pas directement de l’observateur car elle est dépendante de lui (elle est socialement construite). Ceci revient à rejeter l’hypothèse ontologique constitutive du positivisme (Gavard-Perret et al. 2012). Par conséquent, la réalité est dépendante des contingences qui président aux modalités de son existence pour les tenants de l’ontologie relativiste (Thiétart, 2014).

Sur ce point, le positivisme postule l’existence d’un réel unique, connaissable, indépendant de l’intérêt et de l’attention que peut lui porter un chercheur. Ainsi, le chercheur sera capable, non seulement de l’étudier et de le cerner, mais de le comprendre en toute neutralité. Toutefois, les post-positivistes ne réfutent pas ce postulat mais apportent des aménagements poussant certains auteurs à parler de positivisme aménagé. Le post-positivisme considère qu’il n’est pas toujours possible de saisir pleinement et parfaitement la réalité dans sa globalité, en particulier dans le cas des systèmes humains et sociaux. Dans ces conditions, la science et la recherche doivent faire leur possible pour atteindre la réalité, mais ce but ne pourra jamais être réalisé (Gavard- Perret et al, 2012). Les limites du positivisme (logique) étant soulignées, des auteurs comme Huberman et Miles soutiennent que « les phénomènes sociaux existent non seulement dans les esprits mais aussi dans le monde réel – et que des relations légitimes et raisonnablement stables

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peuvent y être découvertes » Huberman et Miles (2003 p.16). Dans le courant du positivisme tempéré ou aménagé, il existe des approches différentes dont nous présenterons le réalisme scientifique et le réalisme critique sur la question ontologique avant de se positionner.

1.1.2 Vers une ontologie réaliste en phase avec le

réalisme critique

Sur la dimension ontologique, comme le positivisme, les tenants du réalisme scientifique tout autant que ceux du réalisme critique postulent « l’existence d’un monde indépendant de ce qui est perçu et des représentations qu’on peut en avoir » (Gavard-Perret et al, 2012 p.31). Néanmoins, sur la nature de la réalité, il existe une différence entre le positivisme, le réalisme scientifique et le réalisme critique.

Sur cette question ontologique, Gavard-Perret37 et al. (2012) distinguent le positivisme du réalisme scientifique. En effet, le positivisme fait preuve « d’un réalisme empirique seulement, appliqué aux seules entités observables, les entités inobservables étant pour eux des concepts métaphysiques et donc des objets sans intérêt pour la science » (Gavard-Perret et al, 2012 p.31). Ce n’est pas le cas pour le réalisme scientifique qui considère au contraire que « les entités non observables, tangibles, associées à une théorie présentent autant d’intérêt pour la science que des entités observables, tangibles » (Gavard-Perret et al, 2012 p.31).

Toutefois, en postulant que la réalité existe indépendamment de nos connaissances et de notre conception de celle-ci, la thèse du réalisme critique considère que la réalité n’est pas tout à fait transparente. Une partie de celle-ci est construite de telle sorte que nous pouvions directement l’observer. En revanche, une partie est inaccessible par des moyens d'observation directe. Ainsi, la partie opaque de la réalité ne peut être observée que de façon indirecte par des causes (Danermark et al., 1997 ; Bhaskar, 1998). Pour Bhaskar (1998), le réel a un ordre propre inhérent, stratifié en trois domaines : le réel empirique, le réel actualisé et le réel profond (cf. tableau 14). Le réel empirique est le domaine de l’expérience et des impressions. Le réel actualisé est celui des événements, des états de fait, et le réel profond étant celui des forces, structures et mécanismes. Le réalisme critique s’éloigne du positivisme en considérant que le chercheur n’a pas accès au réel (le réel profond). Il peut atteindre un réel actualisé, celui des

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événements et des actions au travers desquels le réel profond manifeste à lui ses règles et sa structure (Thietart, 2014).

Tableau 14: trois domaines du réel

Domaine du réel Domaine actuel Domaine empirique Mécanismes générateurs X Evénements X X Expériences X X X Source : Bhaskar (2008 p.2)

« La réalité est définie par les tenants du réalisme critique comme une totalité potentiellement infinie dans laquelle nous avons une connaissance incomplète et imprécise » (Sarr, 2015 p.128). Le chercheur peut à travers la mise en évidence des régularités dans le réel actualisé, mettre à jour des « mécanismes générateurs », autrement dit proposer des conjectures sur les règles et les structures à travers lesquelles les événements et les actions observés surviennent. « Le chercheur portera une attention particulière au contexte de survenance des événements et des actions, étant entendu que si les règles et structures sont universelles, elles s’actualisent dans des contextes particuliers selon des principes qui ne renvoient que rarement à des causalités simples et linéaires » (Thiétart, 2014).

En somme, dans notre travail de thèse, nous assumons l’existence d’un monde réel à la fois subjectif et contextuel dont nous avons une connaissance incomplète conformément à la thèse du réalisme critique. Notre thèse s’inscrit dans une approche dynamique du BM, donc les dimensions temporelles et processuelles sont centrales. Ainsi, l’ontologie de processus a sa place dans notre recherche.

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1.1.3 Une ontologie de processus dans le réalisme

critique pour étudier l’évolution du BM

Langley et al. (2013) considèrent que les processus peuvent être étudiés de diverses façons, selon l'ontologie de processus particulière adoptée. En effet, le processus et la temporalité se voient à partir d'ontologies différentes du monde social : un monde composé de choses dans lesquelles les processus représentent le changement des choses (fondé sur une métaphysique substantielle) et l'autre un monde des processus, dans lequel les choses sont des réifications des processus (Tsoukas et Chia, 2002) (fondées sur la métaphysique des processus).

La première vision ou vision substance-qualité (Mesle, 2008) considère la nature comme composée de substances matérielles stables qui ne changent que dans leur positionnement dans l'espace et le temps. De ce point de vue, les substances existent indépendamment d'autres substances et leurs nature sous-jacente ne change pas bien que leurs qualités peuvent changer. Ainsi, le changement peut être modélisé sur le mouvement et donc considéré comme un changement dans les qualités des choses matérielles dans le temps. Ainsi, les questions de recherche se concentrant sur la façon dont les qualités d'une entité (par exemple un individu, un groupe, une organisation, une institution) changent avec le temps peuvent être étudiées dans la perspective d'une métaphysique substantielle dans laquelle les processus représentent des changements dans les choses. Par exemple, « 3M Corporation est une entreprise innovante »), « 3M Corporation » est le sujet et « novateur » est la qualité ou le prédicat. Même si les qualités changent, le sujet peut rester inchangé - par exemple, 3M peut cesser d'être « innovateur », mais il ne cessera pas d'être « 3M ».

La seconde vision caractérise la réalité comme un processus, soulignent Langley et al. (2013). Elle soutient que la substantialisation de la nature dans les choses durables est une erreur parce qu'elles sont constituées par des activités variées et fluctuantes : le processus est fondamental. L’exemple du fleuve ou du soleil illustre cette vision ontologique. Par exemple, le fleuve n'est pas un objet, mais un flux en constante évolution. De même que le soleil n'est pas une chose, mais un incendie en flammes. Tout dans la nature est une affaire de processus, d'activité, de changement (Rescher, 1996 p.10).

Notre recherche s’inscrit dans cette première vision d’ontologie de processus dans laquelle le monde lui-même est considéré fondamentalement comme une constellation de choses plutôt

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que comme des instanciations temporaires de processus en cours, continuellement en état de devenir (Tsoukas et Chia, 2002). Notre recherche est axée sur la façon dont les BM des startups évoluent au fil du temps avec les pratiques sociales et économiques dans leur environnement.

En effet, notre perspective est basée sur une ontologie de processus fondée sur une métaphysique substantielle. Elle considère l’évolution dans les qualités des choses matérielles dans le temps. Pour Langley et al. (2013), les questions de recherche se concentrant sur la façon dont les qualités d'une entité (par exemple un individu, un groupe, une organisation, une institution) changent avec le temps, peuvent être étudiées dans la perspective d'une métaphysique substantielle dans laquelle les processus représentent des changements dans les choses. A l’inverse, les travaux qui se concentrent sur la façon dont les processus eux-mêmes (sensemaking, prise de décision, exécution, identification, etc.) émergent, se développent, croissent et déclinent, sont compatibles avec une métaphysique de processus dans laquelle l'accent est mis sur la façon dont les processus se déploient avec le temps. Dans cette recherche, nous adoptons une ontologie de processus entitative dans une perspective réaliste critique pour étudier l’évolution du BM des startups sociales.