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Le mécénat comme encadrement du don

UN EFFET DE MODE ?

2.2. L A PLACE DU DON HIER ET AUJOURD ’ HU

2.2.3. Le mécénat comme encadrement du don

2.2.3.1. Un cadre juridique récent et favorable

Depuis la loi n° 2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et

aux fondations, les individus reçoivent lors d’un don un reçu fiscal valant réduction de l’impôt sur le revenu de 66 %, ainsi qu’une possible contrepartie ne devant pas dépasser les 25 % de la valeur du don. Les entreprises bénéficient d’une réduction d’impôt de 60 % sur l’import sur les sociétés dans la limite de 5 pour mille du chiffre d’affaires hors taxes (90 % en cas d’acquisition d’une œuvre classée trésor national). Cette législation doublait alors les avantages jusqu’alors prévus par la loi du 23 juillet 1987 relative au mécénat ; loi qui avait, à l’initiative de l’association Admical (Piquet et Tobelem 2006), permis les débuts du mécénat tel qu’on le définit actuellement.

Le cadre relativement récent du mécénat en France a montré une évolution croissante du succès de ces dispositifs. Un rapport de la Cour des comptes de novembre 2018 fait un point sur sa mise en place et ses effets, en concentrant ses efforts sur le mécénat d’entreprise, qui agrègent les sommes les plus importantes. Il réalise une comparaison internationale du cadre fiscal du mécénat d’entreprise et en conclut une situation particulièrement favorable du modèle français. Le Journal des arts

Chapitre préliminaire

relativise cette notion en rappelant que la France dispose également d’un des systèmes fiscaux les plus lourds (Stankiewicz 2019). Nous reprenons dans le tableau 2 un extrait de celui présenté par le journal.

Pays Dispositif

France Réduction d’impôt au titre du don aux œuvres, 66 % du versement dans la limite de 20 % du revenu/90 % dans le cas d’un trésor national

Allemagne Déduction ouverte plafonnée à 20 % du revenu imposable

Belgique Réduction d’impôt à hauteur de 45 % du don plafonnée à 10 % des revenus nets ou 384 300 €

Chine Déduction de l’assiette de l’IR dans la limite de 30 % Espagne Réduction d’impôt à hauteur de 30 %

États-Unis Déduction du revenu imposable de 100 % dans la limite de 30 % du revenu brut « ajusté »

Royaume-Uni25 Le gouvernement verse a posteriori aux bénéficiaires des dons

l’impôt correspondant aux dons collectés (les revenus étant imposés à la source). Par ailleurs lorsque les revenus du donateur sont imposables au taux supérieur de 40 %, il obtient sur l’assiette du don le remboursement de l’impôt excédentaire par rapport au taux standard de 22 %. (réduction d’impôt de 18 %)

Tableau 2. Comparatif international des dispositifs fiscaux du mécénat de particulier

Le rapport réalise un constat globalement positif des effets du mécénat en émettant toutefois de larges critiques liées au manque de contrôle réalisé par l’administration des entreprises bénéficiant de la défiscalisation.

2.2.3.2. Un cadre fertile, mais critiqué

Le manque de contrôle de l’administration fiscale

Le mécénat d’entreprise s’est progressivement développé depuis, passant par exemple entre 2013 et 2016 de 2,8 à 3,5 milliards d’euros par an tous domaines confondus (ADMICAL 2016). Si la loi de 2003 a été portée par le ministre de la Culture, le mécénat ne couvre en effet pas seulement les causes culturelles, mais toute

25 Source pour le Royaume-Uni, site du ministère de la culture :

http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Mecenat/Particuliers/Comparaisons- internationales

cause d’intérêt général. Le baromètre 2016 Admical, repris par le rapport Schmitz (2018), révèle que « les actions du champ social les auraient désormais supplantées (29 % des

entreprises mécènes pour 22 % du budget total), même si elles conservaient la deuxième place (24 % des entreprises mécènes, entre 13 % et 15 % du budget total, soit environ 500 millions d’euros), plus ou moins à égalité avec le sport (48 % des entreprises mécènes, 12 % du budget total) ». Il

ajoute que dans les secteurs culturels, les projets à orientation sociale (à destination de jeunes ou de publics empêchés) sont préférés par les donateurs, notamment des entreprises dans le cadre d’une politique plus globale et collective de mécénat et non plus par la simple volonté des dirigeants allant également dans le sens d’un mécénat de proximité.

Les projets les plus soutenus sont également des projets tangibles, une acquisition, la préservation du patrimoine, où l’inscription d’un nom est plus simple et plus durable que pour le financement de spectacles vivants ou d’œuvres éphémères.

Ce dispositif est lourd pour l’administration fiscale et son succès pèse dans les caisses de l’État puisque le manque à gagner est passé de 150 millions d’euros en 2005 à 930 millions d’euros en 2016, avec une forte progression aux alentours des années 2010-2011 (Schmitz 2018).

Selon l’Observatoire de la philanthropie de la Fondation de France, les 7,5 milliards d’euros émis par la générosité des Français (déduit à 60 %, toutes causes confondues) sont issus à 61 % des particuliers et à 39 % des entreprises. Cette somme est composée de dons des particuliers faisant l’objet de déduction sur l’impôt sur le revenu (IR) à hauteur de 2,62 milliards d’euros par 5,7 millions de foyers parmi les plus riches (les foyers déclarant plus de 60 000 euros de revenus annuels représentent 20 % des donateurs et 40 % du montant des dons déclarés.26)

L’année 2018, en revanche, a vu s’écrouler les dons des particuliers à la suite de la réforme de l’impôt, la disparition de l’ISF ainsi que le prélèvement à la source. Pierre

26 D’autant plus que plus on est riche, plus on déduit ses dons : « La concentration

des dons sur les catégories les plus aisées se vérifie à nouveau: près du tiers des dons déduits au titre de l’ISF proviennent des foyers ayant le patrimoine le plus élevé (5 millions d’euros et plus), qui représentent moins de 10% des déclarants. » (Bruneau,

Chapitre préliminaire

Siquier Président de France générosités tire la sonnette d’alarme : « Rappelons que les

dons issus de l’ISF en 2015 ont représenté 246 millions d’euros. Nous pouvons donc estimer une perte en 2018 autour de 130 à 150 millions d’euros. » (Siquier 2018). Cette situation est

notée par le projet de loi de finances 2019, qui note : « La Fondation du patrimoine

indique ainsi avoir enregistré une baisse de 70 % du nombre de demandes de labels du fait de l’année blanche. Elle a aussi fait face à une baisse dans le niveau de sa collecte IFI de l’ordre de 60 % au début de l’été, annihilant totalement les hausses engrangées grâce à la notoriété croissante et l’engouement suscité par la mission “patrimoine en péril” sur les collectes réalisées grâce aux dispositifs fiscaux portant sur l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés. » (Nachbar 2018).

Le mécénat s’est donc révélé être un allié des institutions culturelles, et cette année blanche montre bien l’impact des avantages fiscaux sur les dons des contribuables, quand bien même ils ne disparaissent pas, il s’agit simplement d’un effet d’éviction psychologique puisque le contribuable ne déclare plus ses impôts de la même manière.

Par ailleurs, la Cour des comptes est, bien que positive sur les conséquences de la loi mécénat, très critique sur le manque de contrôle et d’informations à disposition des autorités pour mesurer les effets du dispositif légal. Selon le rapport, 45 % des pratiques de mécénat ne seraient pas déclarées fiscalement (p. 9-10) et il serait par conséquent difficile de connaître réellement leur importance. Par ailleurs, « l’État n’a

pas les outils pour documenter l’évolution des pratiques de mécénat et rendre compte des effets de sa politique de soutien. Il est en effet incapable de quantifier l’apport de son soutien. »

Il est aujourd’hui très compliqué de savoir qui bénéficie de mécénat. Quant à la dépense fiscale, il est dès lors très difficile de la contrôler et d’en mesurer les effets. La Cour critique également avec insistance la possibilité pour les très grandes entreprises de bénéficier d’avantages fiscaux sans pratiquement aucune limite alors que les TPE et PME ne sont pas encouragées à bénéficier des avantages, quand bien même leurs mécénats ont plutôt tendance à se concentrer sur des institutions et causes locales.

Un dispositif qui n’a pas pour objectif de se substituer à l’intervention publique.

« Le mécénat n’a pas vocation à compenser le désengagement de l’État. L’augmentation des recettes provenant du mécénat ne doit pas servir de prétexte à une baisse des subventions de l’État et des collectivités territoriales », défend le rapport d’information de M. Schmitz. Dans la

même veine, Françoise Benhamou (2015) explique : « particulièrement recherché en période

de restriction budgétaire, le mécénat constitue pour une large part une subvention déguisée, puisque compensé à plus des deux tiers par la puissance publique ; son affectation n’est pas décidée par les administrations ou les instances culturelles et politiques, mais par des agents privés. Il ne saurait donc être pensé comme un substitut à l’argent public, mais comme une forme complémentaire de l’effort collectif dont le déclenchement échappe aux décideurs publics. [...] Le mécénat constitue donc en termes économiques un complément de financement dont la charge est assumée en large partie par l’État. Il permet de fait aux établissements de “forcer” les pouvoirs publics à un effort qu’ils ne fournissent plus tout à fait, mais au risque de l’affaiblissement de la maîtrise de l’affectation des budgets consacrés aux expositions et aux acquisitions. »

Le mécénat (lorsqu’il est déclaré, est défiscalisé) est donc un dispositif qui permet un financement privé largement soutenu par l’argent public. Il s’agit plus d’un moyen d’orienter ses impôts que d’un moyen de se dispenser d’un financement public qui demeure pour une très large majorité des institutions la source principale de financement. Il est impossible de savoir exactement combien de dons sont réalisés sans être déclarés au fisc, l’ADMICAL réalise des enquêtes auprès des entreprises et note que beaucoup de PME sont ignorantes ou pas intéressées par les dispositifs fiscaux, mais réalisent néanmoins du mécénat, notamment local. À l’échelle des particuliers, beaucoup de donations de très petits montants, comme ceux qui sont réalisés au cours d’opérations de billet mécénat (développés au chapitre 2), ne sont jamais déclarés, même s’il est possible de faire établir un reçu fiscal.

Nous arrivons donc progressivement à ce qui nous intéressera tout au long de cette thèse, le don de particulier dans le cadre d’opérations de financement participatif.

Chapitre préliminaire

2.3.L

E FINANCEMENT PARTICIPATIF DANS LA LITTERATURE