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UN EFFET DE MODE ?

1.1. L A NOTION DE PATRIMOINE

1.1.2. La conception du patrimoine muséal

Etymologiquement le musée vient de « Μουσεῖον », temple consacré aux muses (qui présidaient aux arts). L’un des premiers exemples connu de museion est celui d’Alexandrie, à la fois centre d’études artistiques et savantes, bibliothèque et lieu de présentation de collection d’œuvres d’art au sein du palais royal de Ptolémée Ier vers

280 av. J.-C. Le premier musée au sens moderne est l’Ashmolean Museum d’Oxford (1683). Auparavant, les collections étaient privées et n’étaient ni présentées ni ouvertes au public.Dans son sens moderne, à partir du XVIIIe siècle, le musée est une

collection d’œuvres ou d’objets à caractère artistique, historique ou archéologique, mais aussi technique ou scientifique, qui se trouvent non seulement conservés, préservés dans une institution mais aussi présentés, exposés et transmis au public (Gob, Drouguet, et Chaumier 2003).

Pour Dominique Poulot, le musée est « l’un des lieux par excellence où se joue le processus

de patrimonialisation, au double sens d’une conservation de ressources et d’une jouissance. »

(Mairesse et Rochelandet 2015). Comme vu précédemment, le musée correspond au témoignage « d’une appropriation sensible du passé, marquée par l’émotion, politique, sociale et

culturelle, qui l’accompagne ou la suscite », mais aussi par « la construction d’organisations réglées et de dispositifs pratiques » (Poulot 2014).

L’idée française du musée est antérieure à la Révolution de 1789, elle est marquée par quelques tentatives philanthropiques en province et notamment l’ouverture partielle et temporaire des collections royales au palais du Luxembourg. Dominique Poulot affirme que sans la situation financière désastreuse de la fin du règne de Louis XVI, le Louvre (dont les travaux ont commencé en 1776 dans l’objectif d’ouvrir la Grande Galerie au public) aurait pu ouvrir dans les années 1780 dans une volonté muséographique qui suivaient le mouvement des Lumières. La volonté est alors de perfectionner les arts, de réveiller le citoyen et d’entretenir l’amour de la patrie. En pleine Révolution, le Comité d’instruction publique prévoit en l’an II de fonder les premiers musées départementaux pour « vivifier toutes les richesses, les centupler

par cette utile et savante distribution, les animer au profit de l’ignorant qui les méprise » (Poulot

1996).

Avant le Louvre naissent des initiatives privées, créées par des sociétés savantes ou de riches collectionneurs. Notablement, nous pouvons citer le musée de Monsieur, fondé en 1781, présentant cabinets de physique, de chimie et d’histoire naturelle de Monsieur, comte de Provence, frère de Louis XVI, qui bénéficia d’un appel au financement privé réunissant plus de 650 souscripteurs en 1784 (Poulot 2014). Les écoles de dessin offrent également progressivement des accès à leurs collections à des fins éducatives, à Toulouse à l’académie de peinture (1770), à Reims ou à Dijon, où l’école de dessin est assortie d’un muséum en 1787. Le terme « musée » est alors employé « pour désigner à la fois une collection de modèles pédagogiques, les envois des

meilleurs élèves, et une galerie illustrant la province » (Poulot, 2014).

Un recensement des musées dénombre les fondations de musées en France des

« origines » à 188411, 289 musées sont reconnus par l’administration des Beaux-Arts, 99

ont été créés entre 1748 et 1849, 79 de plus en 1870 (pour le rédacteur anonyme de ce recensement, le plus ancien musée serait celui de Reims en 1748, Bertinet (2015), qualifie cette date d’« étonnante »12). On note donc une claire accélération de la création

11 Date probable de ce décompte selon Bertinet (2015) (en raison de l’absence des

Chapitre préliminaire

muséale. Cette augmentation s’explique par un besoin de « moralisation et de délassement

pour les populations des grandes villes »13 selon les propos du comte de Beaumont, sénateur

et promoteur de la création du musée d’Amiens. Le développement de sociétés savantes et ambitions civiques de la Révolution explique aussi la création des musées (Gerson 2003).

D’après Chaline et Jacquart (1995), 8 % de ces sociétés savantes siègent au sein du musée local, et sont à l’origine de l’institution. À côté de ces créations collectives, se développent aussi des initiatives individuelles, souvent confiées ensuite aux municipalités. Les conditions du don d’Aristide Boullet-Lacroix obligent ainsi la ville de Château-Gontier à créer un musée en 1863. Les exemples sont trop nombreux pour en réaliser une liste exhaustive, le musée Fabre de Montpellier (1825), le musée des Beaux-Arts et d’Archéologie Joseph-Déchelette (1848), le musée Benoît-De- Puydt de Bailleul (1859), le musée Magnin (1938), le musée Gallé-Juillet de Creil (1929), etc.

Dans la suite des créations collectives des sociétés savantes, une patrimonialisation des traditions locales prend forme au milieu du XXe siècle, qui conduit à la fondation

de nombreux musées, souvent gérés collectivement, et largement dépendant de la volonté de bénévoles. Ces musées s’appuient sur l’élan des études d’ethnographie de la France, qui se développent grâce à des chercheurs rassemblés autour d’André Leroi-Gourhan et de ses élèves, puis grâce à ceux qui se sont rassemblés autour de Claude Lévi-Strauss. Après 1968, la disparition de modes de vie ruraux et ancestraux due aux mutations rapides de la société nécessite la prise en compte urgente d’une nouvelle dimension du patrimoine, et cette notion commence à dépasser le cercle des ethnologues. La fin des années 1960 correspond donc à la naissance des écomusées, dont le concept est fondé sur les travaux menés par Georges-Henri Rivière (écomusée de l’île d’Ouessant 1968, écomusée de Marquèze, 1969) et le développement du patrimoine industriel (écomusée du Creusot, 1971) (Andrieux et

de dessins, lègue en 1752 sa collection à la ville de Reims. Cela pourrait expliquer cette date précoce de 1748.

13 AN F21 4505B. Musées de province, administration générale : commissions,

personnel, collections et inventaires (cahier des musées) 1795-1940, dossier du musée d’Amiens, proposition de loi du 2°avril 1854 dans (Poulot et Cerezales 2017).

Chevallier 2014). Avec l’avènement de ces établissements, l’extension de la notion de patrimoine est plus que jamais visible et implique de fortes modifications du secteur.