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L E DEVELOPPEMENT D ’ UNE ECONOMIE DES MUSEES ET DU PATRIMOINE MONUMENTAL

UN EFFET DE MODE ?

1.5. L E DEVELOPPEMENT D ’ UNE ECONOMIE DES MUSEES ET DU PATRIMOINE MONUMENTAL

Si le terme de « patrimoine culturel » regroupe généralement l’archéologie, les artéfacts, les monuments anciens et modernes, les archives, les œuvres d’art, et d’autres éléments intangibles, comme les traditions, les connaissances et les compétences et le patrimoine naturel, l’économie de la culture a, pour le moment, concentré ses analyses dans le domaine du patrimoine sur les musées et le patrimoine bâti (Towse 2011).

Nous avons choisi de traiter dans cette thèse, non seulement l’impact du mécénat participatif dans les musées, mais également dans le secteur du patrimoine bâti. Les deux secteurs sont similaires dans certaines de leurs missions de conservation, nombreux sont les monuments qui abritent des musées et les deux secteurs se distinguent clairement des industries culturelles.

Outre les critiques et ajustements qui ont pu être apportés à la première modélisation de Baumol et Bowen, certains économistes s’élèvent contre l’intervention des pouvoirs publics ou des grands philanthropes dans le financement des arts. (Grampp 1986) notamment argue que « l’art demeure un bien privé », et que leur consommation ne regarde que ceux qui s’y intéressent. Et il conclut : « Les gens qui le

veulent devraient payer pour. » Il réfute, par exemple, le concept d’externalité positive,

dont il considère que les effets ne sont pas démontrés, et celui du bénéfice de l’éducation à l’art, selon laquelle si l’on donne accès aux arts aux individus, ils apprendront à les apprécier et pourront maximiser leur satisfaction (principe à l’origine de la médiation culturelle dans son ensemble). Notion qui ne serait pour lui « à peine plus qu’un espoir ». En France, des voix s’élèvent contre un financement et une gestion publique des arts. Fumaroli (1991) critique fermement l’implication de l’État dans la production artistique, justifiant que, jusqu’en 1939, le mécénat privé permit l’émergence de courants artistiques tels que l’art nouveau, le cubisme, le néo- classicisme… Et lorsque l’État ne lui donne à voir que « l’officiel », le public tombe dans « l’ennui et la médiocrité ». Il reproche aux politiques culturelles de Malraux et de Lang, en particulier, de n’être que des « outils de propagande politique ».

Ces positions ne sont pas celles qui priment, notamment auprès des pouvoirs publics français, qui demeurent le principal financeur du patrimoine, qu’il soit monumental ou muséal. Les externalités positives du patrimoine sont aujourd’hui reconnues et discutées (Benhamou et al. 2011), les moyens de les évaluer sont complexes et multiples.

Pour les économistes, la question du patrimoine se pose en deux temps. D’une part, comme pour d’autres secteurs artistiques : quels sont ses bénéfices directs, c’est- à-dire qu’elle est la valeur du patrimoine pour ses consommateurs, ses publics ? Elle s’évalue par la propension à payer de ses derniers. Et, d’autre part, quels sont ses bénéfices indirects ? Ces bénéfices sont la valeur du patrimoine au-delà de sa valeur immédiate auprès de ses publics. La littérature économique examine ces arguments eut égard au financement des musées nationaux et développe une série de valeur distincte de ces institutions :

– La valeur option et la valeur d’existence (Throsby 1994). Duffy (1992) observe que « l’existence d’une demande d’options est un domaine possible de défaillance du

marché, car, dans le système de marché, ceux qui ne consomment pas de biens ou de services ne sont généralement pas en mesure d’exprimer leurs préférences par le paiement ». La valeur

option implique que le public potentiel donne une valeur à l’institution, mais qu’elle est inférieure au prix d’entrée. Par conséquent, la demande d’options pourrait plutôt être définie comme le fait que les individus pourraient éventuellement demander ces biens ou services à l’avenir. Cette valeur peut être notamment calculée par la méthode d’évaluation contingente17 (Benhamou et al. 2011 ; Prigent 2001). La valeur d’existence est la valeur que le monument

ou objet peut représenter pour une communauté, au titre de sa valeur symbolique, de sa valeur de remémoration et de sa valeur d’ancienneté (Riegl 2016).

17 La méthode d’évaluation contingente consiste à évaluer par sondage auprès d’un

échantillon représentatif de la population un consentement à payer pour accéder à un bien ou service spécifique. (Milanesi 2011) Pour plus d’information, voir encadré.

Chapitre préliminaire

– La valeur de mérite (Prigent 2001). Elle implique que l’art détient une valeur

intrinsèque, elle-même indépendante de la propension à payer ou de l’usage qui en est fait.

– La production d’externalité. Les externalités positives sont les retombées positives de l’existence des biens et services culturels. Elles sont aujourd’hui l’une des justifications principales du soutien public aux arts. Ces retombées se calculent notamment en termes de revenus touristiques ou d’emplois. Ces calculs sont complexes dans la mesure où ils impliquent de déterminer exactement les revenus du territoire, toute chose égale par ailleurs, avec ou sans l’institution patrimoniale. Il semblerait qu’il y ait un risque de surestimation de ces externalités, même si beaucoup d’études montrent les capacités du patrimoine à remodeler une région (voir par exemple l’effet du Guggenheim à Bilbao (Plaza 2006)).

– La valeur d’héritage pour les générations futures. Elle implique que le patrimoine doit être conservé pour les connaissances et la consommation potentielle des générations futures. Il faut toutefois considérer que ces générations y verront une valeur positive et pas seulement un fardeau coûteux ; ou un art qui pourrait renaître dans le futur après sa disparition (Peacock, Shoesmith, et Millner 1982).

L’agrégation de ces valeurs a en partie pour objectif de déterminer la valeur du patrimoine et d’en justifier la conservation, la sauvegarde et la valorisation auprès des financeurs, notamment, en France, les pouvoirs publics (Koboldt 1997 ; Peacock 1991).

La méthode d’évaluation contingente

La méthode d’évaluation contingente permet aux économistes d’évaluer la valeur du patrimoine incluant la « disposition à payer » de ses consommateurs et de ses non- consommateurs d’un élément de patrimoine (Hansen 1997 ; D. Throsby 2003). Le cumul de ces sommes est la mesure de l’effort financier que les citoyens sont prêts à consentir pour que le bien soit entretenu.

individus surestiment leur propre disposition à payer dans le contexte d’une proposition hypothétique (Epstein 2003). Nous citerons deux exemples notables de l’usage de cette méthode : le musée national de la Sculpture de Valladolid, en Espagne (Sanz, Herrero, et Bedate 2003), et le Théâtre royal danois, à Copenhague (Hansen 1997). Dans le cas du musée, les visiteurs déclarent être prêts à payer 25 à 40 euros pour la visite et l’entretien du musée, et les non-usagers évaluent la valeur option et/ou la simple existence du musée entre 27 et 36 euros. Pour information, le tarif plein du billet d’entrée du musée est, en 2019, fixé à 3 euros, bien en dessous des 25 euros déclarés par les visiteurs. Dans le cadre de l’évaluation du Théâtre royal, les chercheurs ont sondé 1 800 Danois, et ont conclu que les citoyens étaient prêts à financer à hauteur de 270 millions de couronnes (35 millions d’euros), soit le montant de sa subvention publique, et que 80 % de cette somme serait issu de citoyens ne fréquentant pas les théâtres (mais pour qui l’existence de cette institution est nécessaire au rayonnement de leur culture).

***

Dans ce contexte d’expansion chronologique et thématique du patrimoine et de la difficulté inhérente à trouver des fonds publics pour garantir sa conservation, le secteur patrimonial se tourne vers le privé de multiples manières. Nous reviendrons donc sur le développement des stratégies et partenariats publics-privés et l’importance du don dans ces secteurs.

Chapitre préliminaire

2.

ÉVOLUTION

DES

STRATÉGIESDE

RESSOURCES

Le musée est paradoxalement caractérisé par la richesse de ses collections et par son manque perpétuel de financement, créant ainsi des difficultés dans le cadre d’investissements (les acquisitions en particulier), mais de plus en plus souvent également par un manque de moyens de fonctionnement pour l’entretien des lieux ou le recrutement du personnel.

Le Rapport d’information de M. Alain Schmitz sur le mécénat culturel exprime très clairement ses inquiétudes : « L’équilibre des acteurs culturels est fragilisé ces dernières

années par la baisse des financements publics. Aujourd’hui exsangues en lien avec la baisse continue des dotations de l’État, les collectivités territoriales, qui prennent en charge la large majorité des dépenses culturelles, ne sont plus forcément en mesure, si ce n’est de maintenir, tout au moins d’accroître leurs budgets culturels. Le recours à une combinaison de financements publics et de financements privés apparaît aujourd’hui nécessaire pour garantir la pérennité des projets culturels et éviter, pour les acteurs culturels, les conséquences brutales des retraits de certains de leurs financeurs, dont le risque ne peut être écarté dans la période actuelle. La diversification des ressources figure d’ailleurs depuis plusieurs années parmi les objectifs demandés par l’État à ses opérateurs. »

(Schmitz 2018)