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D ES CAMPAGNES PONCTUELLES PLUS FREQUENTES A

U N MODÈLE AMÉRICAIN ?

Carte 4. Musées de France en 2019 (métropolitaine) Source : Patrimostat

3. L A PHILANTHROPIE , AU CŒUR DE LA VIE DU MUSEE

4.1. D ES CAMPAGNES PONCTUELLES PLUS FREQUENTES A

P

ARIS

En France les plateformes de crowdfunding sont le moyen d’externaliser ces compétences techniques de levées de fonds et de présenter une image innovante. Depuis la première campagne du Louvre, presque tous les grands musées s’y sont risqués, et elle est quasiment systématiquement citée lors des entretiens tant elle a marqué un tournant dans le mécénat individuel muséal. Même si bien souvent ils s’observent, discutent, échangent entre professionnels du mécénat, cette campagne a eu un très clair impact sur les pratiques actuelles des musées, grands comme petits, et est regardée avec envie, même de l’autre côté de l’Atlantique.

4.1.1. Des campagnes dans presque tous les grands musées français

Tous les grands musées parisiens ont lancé des campagnes de financement participatif sous diverses formes. Le plus notable, également le plus précurseur, est bien sûr le Louvre, avec une première campagne en 2010 pour l’achat des Trois Grâces de Cranach. Succès impressionnant, une campagne annuelle, Tous mécènes, est désormais en place pour la restauration ou l’acquisition d’une œuvre majeure pour le musée sur un site dédié et récoltant entre 600 000 euros et 1,5 million d’euros selon les années.

Le Musée d’Orsay a lancé fin 2014 une campagne sur Ulule, une plateforme généraliste de crowdfunding, pour la restauration de L’Atelier du Peintre de Courbet et

a récolté 155 374 euros pour un objectif de 30 000 euros74. Début 2015, le Musée

national d’histoire naturelle lance à l’occasion de la réouverture de la galerie de minéralogie une campagne pour acquérir trois spécimens75, récoltant 10 445 euros sur

les 6 600 demandés. Elle fut hébergée par MyMajorCompany, plateforme généraliste, aujourd’hui fermée à la suite d’un dépôt de bilan. Cette collecte ayant pour objectif de mettre en lumière la réouverture a également suscité des questionnements et critiques de la part des passionnés de minéraux. Ces derniers se sont notamment interrogés, sur des forums ainsi qu’au sein des commentaires de la page, sur le prix des pièces achetées, leur valeur pour le musée et leur place dans la collection du musée (parfois de manière très critique).

Du 15 mai au 15 juillet 2017, c’est au musée du quai Branly de lancer une collecte pour la rénovation du mur végétal du musée sur Commeon, récoltant 55 200 euros sur un objectif de 50 000 auprès de 305 mécènes76. Cette collecte, qui n’avait pas

pour objectif l’acquisition ou la conservation d’une musealia, se souhaitait la plus inclusive possible. Elle devait profiter à l’ensemble des usagers des quais, le mur étant un élément architectural extérieur. Notons également la campagne pour la création de l’Algographe, au palais de la Découverte aux mêmes dates, à l’occasion de l’ouverture d’une nouvelle aile du musée consacrée aux sciences de l’informatique77.

Cette campagne, dont l’objectif était de toucher un public plus jeune et plus geek que les mécènes individuels habituels du musée, a récolté 20 730 euros sur 17 000, dont 4000 ont été versés par la société des amis du palais de la Découverte.

De très nombreuses autres campagnes ont eu lieu à Paris (et ailleurs). Une liste exhaustive ne tiendrait pas en quelques pages, mais il est facile de remarquer que toutes ces campagnes ont un objectif très clair et sont souvent associées à un événement exceptionnel au sein du musée : ouverture, réouverture, expositions... Il est également important de noter que ces campagnes ont, pour la plupart, des objectifs financiers faibles, relativement au budget opérationnel ou au budget

74 https://fr.ulule.com/courbet/

Premier chapitre

d’acquisition de ces très grands musées. De ce point de vue, l’intention principale des directions est davantage de l’ordre de la valorisation d’un événement ou de l’ouverture vers un public différent de leurs mécènes et publics habituels que de la levée des fonds réellement indispensables au projet. Nous développons plus en détail les pratiques des musées français dans le deuxième chapitre de cette thèse.

Le Centre Pompidou semble faire exception à cette tendance. Cependant, s’il n’a pas lancé d’appel public aux dons pour une acquisition, un appel a été lancé auprès des adhérents et membres de la société d’amis lorsque les fonds se sont faits rares à l’occasion de l’acquisition d’une œuvre. Rapidement les fonds furent réunis sans qu’ils soient nécessaires de lancer toute l’organisation qu’une collecte implique.

Le château de Versailles se détache de la règle des campagnes pour des projets définis et dispose également de la possibilité de faire des dons, soit sur une collecte non limitée dans le temps, soit par l’achat d’un « jeton mécène » à 5 euros (nous pourrions citer également la possibilité d’adopter un banc, un arbre, un buste, etc., mais les montants minimaux pour ces dons excluent ces initiatives de notre définition du financement participatif). L’établissement complète cette offre par une campagne pour le remeublement des appartements royaux, sans montant minimal. Cette campagne permet de recevoir des dons ponctuels de personnes souhaitant donner ou défiscaliser au profit du château78 sans s’engager à entrer dans des

catégories supérieures. Cette campagne, qui n’a pas réellement fait l’objet d’une communication particulière, est venue combler un manque au sein de l’offre de mécénat dans l’objectif de créer un panel complet où tout mécène potentiel peut trouver le niveau d’engagement qu’il désire. Elle permet notamment aux personnes voulant donner au château de disposer d’un moyen légal de le faire79.

78 Une pratique commune étant à l’approche des dates de déclarations de revenus de

choisir des causes auxquelles donner afin de pouvoir défiscaliser une partie de ces revenus.

79 Cela répond notamment aux cas de dignitaires ou invités divers ayant profité d’une

visite privilégiée du château et qui désiraient remercier l’établissement par un don, jusqu’alors impossible à recevoir directement.

4.1.2. Des campagnes plus rares à New York

Dans les grands musées new-yorkais en revanche, l’initiative est connue, mais aucune campagne n’a été récemment lancée. Les méthodes françaises font d’ailleurs des envieux, le MoMA par exemple les considère comme « innovantes ». En septembre 2017, le MET proposait « d’adopter une lampe » issue d’une exposition sur des lampes art déco, mais le montant du don, 5 000 dollars minimum, ne constitue pas réellement un don grand public. Aucun des musées rencontrés n’y voit un outil qui ne serait pas ponctuel ou qui ne demanderait pas des compétences et méthodes qui leur sont étrangères.

En mai 1982, le Whitney Museum lance un appel dans l’urgence pour pouvoir acheter le cirque d’Alexandre Calder. Le directeur de l’époque déclare alors, lors d’une interview au New York Times : « Il était nécessaire de faire appel à un effort public,

donc nous avons annoncé notre problème publiquement, et les gens ont commencé à nous aider massivement. Près de 500 personnes ont contribué de petites et larges sommes » (Fraser 1982). Le

musée récolte à cette occasion 1,5 million de dollars en deux semaines80. Cependant,

l’événement ne fut pas réitéré. Cette expérience, générée dans l’urgence pour que l’œuvre ne quitte pas le pays, sur un mode différent du mécénat auquel ils étaient habitués ressemble pour beaucoup à la première campagne du Louvre pour l’acquisition du Cranach. Pourtant, pour une somme relativement similaire, 500 personnes ont participé au Whitney, contre 7 200 au Louvre. L’intervention de fondations et de grands donateurs a couvert la majorité des besoins en financement, alors que la moyenne de dons est beaucoup plus basse en France. Le mécénat participatif semble toucher une frange plus large de la population française et reste globalement limité à une élite très fortunée pour les musées new-yorkais.

80 «La moitié des fonds ont été versés par le Robert Wood Johnson Jr. Charitable

Trust. La Fondation Lauder a fait d’autres dons importants ; la Robert Lehman Foundation, Inc. ; la Howard and Jean Lipman Foundation, Inc. ; un donneur anonyme; la Fondation T. M. Evans, Inc. .; MacAndrews & Forbes Incorporated ; le DeWitt Wallace Fund, Inc. ; Martin et Agneta Gruss ; Anne Phillips ; M. et Mme Laurance S. Rockefeller ; la Fondation Simon, Inc. ; Marylou Whitney ; Bankers Trust Company ; M. et Mme Kenneth N. Dayton ; Joel et Anne Ehrenkranz ; Irvin et Kenneth Feld ;

Premier chapitre

Moins de campagnes de crowdfunding ne veut pas dire que les musées new- yorkais n’ont pas évolué avec la technologie à leur disposition.

Focus – L’offre de mécénat du château de Versailles

Versailles est devenu musée de l’Histoire de France en 1837 sous l’impulsion de Louis-Philippe. Attaché à la sauvegarde du monument et le souhaitant symbole de la réconciliation entre Ancien et Nouveau Régime, il paie de sa cassette personnelle les 23 millions de francs que coûtent les travaux. Pendant la guerre de 1870, Versailles devient quartier général de l’armée prussienne lors du siège de Paris, et, après son départ, le château est utilisé par l’Assemblée nationale. Il est largement laissé à l’abandon quand Pierre de Nolhac est nommé conservateur du musée en 1892. Il s’attache à redonner au château sa renommée, notamment auprès des mécènes pour engager sa restauration. La multiplication des donations privées amène à la création de la société des amis de Versailles en juin 1907. Mais la Première Guerre mondiale crée de grandes difficultés financières, et le château est à nouveau en péril. C’est à John Davison Rockefeller que l’on doit la grande majorité de la réhabilitation du monument grâce à deux versements en 1924 et 1927, qui permettent de réaliser le gros œuvre et de restaurer les pièces d’eau, de refaire la toiture du château et de restaurer le Petit Trianon et son hameau. À la suite à ces donations sans précédent, le gouvernement français décide d’allouer un budget de restauration annuel au musée. Les années suivantes verront naître les American Friends of Versailles, la Versailles Foundation ou encore les European Friends of Versailles.

Comme ailleurs, depuis les années 1980, le mécénat d’entreprise se développe et représente aujourd’hui une grande part des ressources. En 2017, le mécénat apportait 13 186 019 euros soit presque 14 % du budget annuel du musée (Château de Versailles 2017). Pour atteindre ces chiffres, le musée bénéficie d’une renommée internationale, mais également d’une stratégie fine pour atteindre une gamme la plus large possible de donateurs. Cette offre permet à tout individu, fondation ou entreprise de trouver un projet qui lui plaît (restauration, projet éducation et solidaire, acquisition) et qui correspond à sa capacité d’engagement :

– Restauration d’œuvres, de décors, de salles, de bâtiments, de compositions végétales dans les jardins, sans montant minimal, mais plutôt à destination des grands et très grands mécènes ;

– Adoptions de tableaux (25 000 euros), de statues (de 10 000 à 45 000 euros), de bancs (de 2 900 à 6 700 euros) ou d’arbres (1 000 euros) ;

– Acquisitions d’œuvres et de mobilier, une campagne ouverte à tous dès 1 euro ;

– Projets éducatifs et solidaires, plutôt consacrés aux entreprises et à leurs fondations ;

– Jeton mécène (5 euros) à destination des visiteurs. Ces dons ne sont pas associés à un projet précis et permettent de financer des projets plus difficiles à promouvoir.

L’offre de projet est associée à des contreparties correspondantes et adaptables aux mécènes, à leur profil et à leur souhait individuel dans la mesure du possible.