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U N MODÈLE AMÉRICAIN ?

Carte 2. Musées de France en région parisienne Source : géolocalisation Patrimostat 2018, cartographie de l’auteure

2.1. P ETITES HISTOIRES DES MUSEES DE PART ET D ’ AUTRE DE L ’A TLANTIQUE

2.1.1. Aux États-Unis

Les premiers musées sont nés avec les premiers États de la côte est. Les colons collectionnent et constituent des cabinets de curiosités, comme dans leur pays d’origine. Ils rassemblent également progressivement des objets de la vie quotidienne, conscients de la nécessité de créer une culture nouvelle commune, un passé et une histoire à transmettre aux générations futures (Selbach 2007). Le début du XVIIIe siècle voit naître les premières universités et leurs bibliothèques et, en 1773,

le premier musée public ouvre à Charleston, en Caroline du Sud. Des initiatives privées suivent, notamment celle du peintre Charles Wilson Peale qui ouvre son musée de portraits en 178637. Au cours du XIXe siècle, le gouvernement fédéral

n’encourage pas le développement des musées, aucun système de tutelle n’est mis en place, les musées sont essentiellement des initiatives locales ou privées, généralement issues d’Historical ou Natural History Societies.

La création de la Smithsonian Institution en 1846 marque l’histoire muséale américaine. L’institution est née d’un legs encore aujourd’hui relativement inexpliqué de James Smithson (1765-1829), citoyen britannique, qui n’avait pourtant jamais mis les pieds aux États-Unis. Les 500 000 dollars, qui représentaient alors 1/66 du budget fédéral, ne furent acceptés officiellement que dix ans plus tard par le Congrès américain et après l’intervention de l’ancien président John Quincy Adams. Depuis, l’institution regroupe dix-neuf musées et deux zoos38.

À la suite de la guerre civile (1861-1865), les musées fleurissent dans toutes les villes américaines, les bâtiments et leurs collections deviennent la fierté de leurs citoyens, on notera notamment la naissance du Art Institute of Chicago en 1866 ou du Metropolitan Museum of Art de New York en 1870.

Les créations de musées (pour une grande majorité privée) ne ralentissent pas au

XXe siècle, au contraire, on en compte 600 en 1910, 2 500 en 1940 (Selbach 2007) et

on estime au quadruple le nombre dans les années 60 (Martel 2006), on alors compte

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un musée créé tous les 3,3 jours. L’American Association of Museum (AAM) voit le jour en 1906 dans un effort, d’une part, de réflexion muséologique avec la publication d’un Code of Ethics ou d’une revue à destination des professionnels (The

Museum News) et, d’autre part, de regroupement de leurs connaissances et de leurs

influences. Ces années sont marquées par un boom économique et l’émergence d’immenses fortunes issues des dynasties industrielles. Les collections privées se développent et progressivement s’ouvrent au public ou sont léguées aux musées déjà ouverts. Naissent alors la Frick Collection en 1935 ou encore le Guggenheim et le MoMA en 1939.

Cependant, des critiques émergent de ces gestions privées des musées et de l’impact de plus en plus grand des besoins en financement pour les missions des institutions. Theodore L. Low publie dans un rapport de l’AAM en 1942 :

« Récemment, cependant, avec une baisse rapide des revenus, les musées ont été confrontés à un problème financier très grave que les administrateurs ne peuvent résoudre seuls. Ainsi, d’un point de vue purement mercenaire, la question de l’augmentation du soutien du public est devenue extrêmement importante pour l’avenir du musée. Vraiment, à moins d’obtenir ce droit, les musées pourraient bientôt cesser d’exister »39 (Low 1942). Malgré les arguments solidement ancrés

dans la politique du pays de non-implication du secteur gouvernemental dans les pratiques culturelles, pour des raisons de liberté d’expression, ainsi que d’une méfiance des institutions qui seraient responsables de l’attribution des bourses et subventions, le gouvernement répond à cette demande. C’est l’arrivée de John F. Kennedy à la Maison Blanche en 1961 et, en particulier, de son conseiller Arthur Schlesinger Jr., qui entraînera la création du National Endowment for the Humanities (NEH) et du National Endowment for the Arts (NEA) en 1965 (qui seront votés par le Congrès sous Lyndon B. Johnson), ce qui marque un moment majeur de l’histoire des politiques culturelles américaines. En 1966, le National Museum Act incitait la Smithsonian Institution à mettre en place des formations et des collaborations avec les autres musées. Les institutions se sont ensuite

39 “Recently, however, with a rapid decline in income, museums have been faced with a very acute financial problem which cannot be solved by trustees alone. Thus from a purely mercenary viewpoint the question of increased public support has become extremely important for the future of museum. Candidly, unless it is obtained, museums may soon cease to exist”

progressivement épanouies, ont agrandi leurs collections, ont bénéficié de sommes remarquables de multiples fortunes contrôlées par des trustees.

Les museum trustees

Ils sont les dépositaires de confiance du public pour administrer le musée et défendre ses intérêts. Ce sont souvent des personnes d’influence, riches mécènes et/ou experts. Ils ont la responsabilité fiduciaire du musée et la plupart sont parmi les plus grands donateurs du musée. Ils ne possèdent pas le musée ni les œuvres qu’il contient. Zolberg (1981) défend l’idée que les trustees ne possèdent pas l’art, mais en sont les protecteurs, qu’ils le managent, mais n’en sont pas actionnaires. Ils sont en charge de la politique du musée, de ses acquisitions et de son orientation générale. Pour l’aider dans sa tâche, des commissions sont nommées pour gérer certains domaines de compétences. Pour le MoMA, il s’agira de commissions thématiques liées à la collection ou à certaines missions du musée40.

Einreinhofer (1997) note en outre que les conseils d’administration des premiers musées américains étaient composés d’individus de divers horizons, notamment des vieilles familles, des propriétaires terriens et des professionnels ayant un grand intérêt pour l’art, prêts à consacrer leur temps et leurs talents aux musées. Cependant, ils n’étaient pas nécessairement des gens d’une grande richesse. À la fin du XXe siècle, les conseils d’administration des principaux musées sont de plus en

plus peuplés de dirigeants d’entreprise très riches. Cette tendance se poursuit aujourd’hui — les conseils de musées ont actuellement plus de chefs d’entreprise (par opposition aux riches aficionados de l’art) parmi leurs membres. Ces membres du conseil ont été en partie mis à contribution pour mobiliser des sources de soutien nouvelles et élargies, mais également pour faire face aux défis d’un environnement opérationnel de plus en plus complexe. Bien entendu, la présence de dirigeants d’entreprise dans les conseils de musées n’est pas sans précédent (de

40 À titre d’exemple : Committee on Architecture and Design ; Committee on

Archives, Library and Research ; Committee on Conservation ; Committee on Drawings and Prints ; Committee on Education ; Committee on Film ; Committee

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nombreux musées ont d’ailleurs été créés par eux), mais, dans les années 1980 et 1990, ils étaient également convaincus que les musées devraient être gérés plus efficacement et incorporer des organisations « à but lucratif ».

Si le contexte aux États-Unis est fondé sur des collections et des initiatives privées, en France la situation est bien différente.