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L E DEVELOPPEMENT DE PRATIQUES MARCHANDES

UN EFFET DE MODE ?

2.1. L E DEVELOPPEMENT DE PRATIQUES MARCHANDES

Au sein des musées et d’un certain nombre d’établissements patrimoniaux ouverts au public, les missions principales ont progressivement évolué et se sont élargies. La vocation patrimoniale s’est affirmée par le développement de meilleures conditions de préservation et de protection des œuvres et spécimens et une progression des méthodes de restauration. La fonction patrimoniale a ensuite fortement évolué pour privilégier dans beaucoup de cas la réalisation d’expositions temporaires dans un souci de valorisation des œuvres (Davallon 1999), mais qui sont aussi des postes de dépenses importants (surtout face à l’augmentation croissante des coûts des prêts

d’œuvres18). Ces expositions sont l’occasion de valoriser l’image de l’établissement et

d’augmenter les ressources propres du musée (augmentation de la fréquentation, augmentation du prix d’entrée) (Tobelem 2011).

L’attention donnée aux publics et à ses besoins, l’accessibilité et la médiation sont devenues des priorités, entraînant le recrutement de personnels spécifiques, médiateurs, animateurs, personnels d’accueil (Caillet 1995) et l’aménagement de nouvelles muséographies. Les services se sont multipliés pour définir et encadrer les politiques de public.

Ces missions requièrent plus de moyens, dans un secteur où les crédits publics se raréfient. La logique économique est désormais un concept indispensable aux musées (Benhamou 2015) et les besoins financiers ont conduit à porter une attention plus poussée aux sources de financement. Mairesse (2012) conçoit le musée comme une institution « hybride », dont les ressources seraient issues de trois sources : le public (l’État et les collectivités territoriales), le privé (les ressources propres issues de la billetterie, de partenaires commerciaux, de locations, etc.) et enfin les dons, qu’il s’agisse de dons d’œuvres, d’objets ou de compétences ou de dons pécuniaires. C’est donc une vision plus vaste du musée qui est proposée où les différentes logiques d’entrées d’argent ne sont pas mutuellement exclusives, mais se complètent voire ne peuvent pas (ou plus) exister séparément.

Cette conception du financement du musée distingue donc l’argent privé issu de la commercialisation et des partenariats divers que le musée peut mettre en place et les dons, prenant en compte l’importance des libéralités dans le secteur des musées sur laquelle nous revenons en détail dans la section suivante. Il nous semble que cette analyse peut être largement appliquée au secteur monumental, en tout cas à celui du patrimoine ouvert au public. Le château de Chambord, par exemple19, qui n’est pas

18 Si les prêts d’œuvres entre établissements sont généralement gratuits, les frais de

transport et d’assurance sont à la charge de l’établissement d’accueil et ces frais ont largement augmenté ces dernières années.

Chapitre préliminaire

un musée de France, perçoit des subventions publiques issues de l’État20, bénéficie de

ressources propres importantes21 ainsi que de mécénat (dons et legs) à hauteur de

0,485 million d’euros dans une organisation très proche d’un grand musée. Le domaine de Chambord est d’ailleurs très largement autofinancé puisqu’il atteint un taux de ressources propres de 90,4 % en 2017, notamment grâce à une billetterie très efficace et un succès important de la restauration22. Le rapport d’activité du musée du

Louvre est sensiblement similaire, présentant les mêmes types de ressources, à l’exception d’un fonds de dotation, encore rare en France. En 2017, la subvention de l’État au musée du Louvre représentait 32 % du budget, un chiffre particulièrement faible et lié à la logique de marché très présente dans l’établissement (ainsi qu’à la force de frappe inégalée de son image de marque auprès des visiteurs, des investisseurs et des mécènes).

D’autres établissements se lancent également dans la location d’espace, presque tous ont une boutique, parfois un café, l’ensemble de ces éléments fait désormais partie de l’expérience muséale classique. Et le visiteur ne vient plus seulement pour profiter des arts ou acquérir de nouvelles connaissances, mais également pour passer un moment autour d’une pâtisserie ou pour acheter un souvenir et une carte postale.

Depuis peu, on voit également apparaître de nouveaux types de partenariat public- privé, comme la location de réserves. Les musées ouvrent leurs réserves aux collectionneurs privés. Les musées disposent de compétences, de savoirs et de moyens de conservation professionnels dont ne disposent pas les collectionneurs privés. Lors de sa rénovation, et notamment de celle de ses réserves, le musée

20 Du ministère de la Culture : (1 076 M€ en 2017), du ministère de la Transition

écologique et solidaire (0,623 M€) et du ministère de l’Agriculture (0,012 M€ pour le financement de la fabrication de merrains) et d’autres subventions autres que l’État (0,358 M€).

21 La billetterie (10 053 M€), les activités commerciales (3 470 M€) et la valorisation

du domaine (1 178 M€).

22 Nous notons également que la première ligne du site internet

https://www.chambord.org/fr/ est composé de lien vers les pages « locations d’espace » « les produits » (où il est possible d’acheter les produits de la marque Chambord) et « soutenez Chambord » à destination des mécènes. Montrant bien que la communication du domaine est largement ouverte à la commercialisation des lieux (consulté le 27 mai 2019).

Boijmans Van Beuningen de Rotterdam a choisi de concevoir une partie des 14 000 m2 de surface à des fins de location pour les collectionneurs privés qui

souhaiteraient y conserver leurs propriétés (Paulais 2015). Cette utilisation marchande des locaux leur permet ainsi de créer de nouvelles sources de revenus, ainsi que des contacts plus aisés avec les collectionneurs, peut-être sources de prêts et de collaborations potentielles.

Notre travail ne s’étendra pas beaucoup plus sur les questions de marchandisation de ces secteurs et s’intéressera plus à la dernière pointe du triangle dessiné par François Mairesse, le don. Dans son rapport, Alain Schmitz déclare : « Le maintien des

dispositifs destinés à encourager le mécénat des entreprises comme des particuliers revêt un enjeu considérable pour l’avenir du financement de la culture. Dans tous les domaines du champ culturel, les ressources provenant du mécénat sont considérées comme indispensables : – les musées mettent en avant l’importance du soutien apporté par les mécènes et leurs sociétés d’amis pour l’enrichissement de leurs collections ou la modernisation de leurs espaces d’exposition, face à la baisse des subventions de l’État et en particulier des crédits d’acquisition des œuvres. » Nous nous proposons de revenir

sur l’importance du don dans ces secteurs.