Synthèse de chapitre
Chapitre 2 : Langues et corpus
2.1.1 Le lexique des langues
La première considération qui vient à l’esprit lorsqu’on évoque le lexique d’une langue est sans conteste la notion de vocabulaire compris comme une liste, un
ensemble de mots. Cette considération, somme toute ancienne puisqu’il demeure
une certitude que le lexique n’est pas qu’une liste de mots, le présente comme un
élément autonome de la langue. Cette approche du lexique comporte un impératif pratique étudié principalement dans le cadre de la lexicographie.
La lexicographie s’intéresse à la confection d’outils de type dictionnaires. C’est dans ces dictionnaires que l’on retrouve le lexique d’une langue donnée et que le lexicographe s’attache à définir, expliciter, donner le sens de chaque entrée lexicale. La lexicographie se révèle être une tâche ardue parce que, comme le note Clas :
Il faut être quelque peu présomptueux, un soupçon téméraire, et finalement légèrement naïf pour se lancer dans la rédaction d’un dictionnaire. (Clas, 1984 : XIII)
Clas justifie son propos par les connaissances diversifiées que doit avoir le lexicographe pour mener à bien son projet. En effet, en plus d’une connaissance solide de la langue étudiée, il est nécessaire de connaître tous les mots de cette
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langue ainsi que leur sens. L’étymologie des mots, des études en diachronie interviennent également dans ce processus.
L’intérêt de l’approche lexicographique pour le lexique des langues est pratique. L’inventaire de ce lexique peut être représentatif de la langue en
synchronie. C’est d’ailleurs ce qui explique que différentes éditions du Petit Robert
ou des dictionnaires de Larousse constituent des ouvrages de référence. Toutefois ce
statut d’outil de référence ne fait pas du dictionnaire l’unique lieu où l’on peut
retrouver tous les mots du lexique. Il va sans dire que l’entreprise lexicographique
va toujours laisser de côté des éléments de ce lexique. Au moment où un dictionnaire vient d’être édité, ce sont des dizaines d’autres mots qui entrent dans l’usage ou en sortent. Cet état de fait ne peut pas être évité par les dictionnaires électroniques qui, malgré la rapidité qu’offre l’automatisation, ne peuvent dessiner tous les contours d’une matière mouvante.
L’approche lexicographique met le lexique au cœur de ses procédés. Les
unités lexicales sont définies et ces définitions favorisent une meilleure appréhension du fonctionnement du lexique. La définition en lexicographie a souvent un but sémantique ou peut donner la signification des entrées.
Le travail que nous menons pour le wolof comporte un aspect lexicographique dans le sens de l’inventaire et du stockage d’unités lexicales spécialisées. Même si dans un premier temps nous ne pouvons prétendre avoir
suffisamment de matière pour constituer un outil d’inventaire exhaustif, nous
tendons vers cet objectif.
Le lexique d’une langue est parfois subdivisé entre mots grammaticaux et mots lexicaux (Gary-Prieur, 1976) une dichotomie également appelée ailleurs mots outils, mots pleins (Mortureux, 1997) ou unités grammaticales et unités lexicales (Rey-Debove, 1998). Cette distinction trouve son fondement dans des considérations liées selon Cusin-Berche (1999) au supposé caractère ouvert ou fermé des classes de mots dits grammaticaux, à leur apport sémantique négligeable. Ces considérations
sont battues en brèche par Cusin-Berche qui récuse l’idée selon laquelle ces classes
de mots « ont un contenu pauvre, quasiment réduit à leur fonction » (Lehmann A. & Martin-Berthet, 1998 : 21). Ainsi en reprenant Gross (1994), à propos du caractère fermé, dira-t-elle :
G. Gross [1994 : 227] montre aussi que ce que l'on présente le plus souvent comme des « locutions » prépositives ou conjonctives n'a rien de figé et se prête à des variations qui excluent que l'on parle de liste fermée : dans le but de, dans le seul et l'unique but de, dans un but évident de (où évident commute avec bon nombre d'adjectifs), afin de / que, à cette fin de / que, etc. (Cusin-Berche : 1999, 16)
Pour ce qui est de la sémantique, elle fera référence à Arrivé (1986), elle souligne que :
En se fondant sur des exemples d'unités grammaticales telles que les prépositions à ou de et en les opposant à des unités lexicales comme chat ou
pomme, on est prédisposé à admettre que les premières sont « vides » référentiellement et seulement fonctionnelles alors que les secondes auraient un réfèrent aisément identifiable. Comme le disent M. Arrivé et alii [1986 : 559] « pour certaines prépositions, l'éventail des interprétations est tellement vaste qu'il devient difficile de leur accorder un statut autonome ». (Cusin Berche, 1999 :17)
Ce découpage opéré sur le lexique n’est pas sans conséquence sur l’intérêt suscité par l’une des classes, les mots lexicaux, sur l’autre classe de mots grammaticaux. Dans les dictionnaires, ce sont les mots lexicaux qui occupent plus d’espace que les pronoms, prépositions, etc., toutefois il est à noter que les locutions prépositives ou conjonctives tendent à occuper dans ces ouvrages une place non négligeable.
La morphologie procure au lexique un cadre de construction. Le lexique des langues comporte un fonctionnement formel interne principalement régi par des règles morphologiques. Le lexique emprunte à la morphologie sa productivité, les morphèmes peuvent être des bases à partir desquelles se forment des néologies ou des termes utilisés dans des langues de spécialité. On peut citer parmi les procédés de création lexicale : l’onomatopée, la dérivation, la conversion, la composition
populaire et la composition savante, les mots-valises, l’emprunt, ou la création pure
et simple.
La pratique terminologique telle qu’elle se présente de nos jours, s’inspire beaucoup du lexique de la langue, puise à partir du stock lexical pour ensuite procéder à une remodulation de sens selon le contexte de spécialité.
Au vu de ce qui précède, l’on remarquera que le lexique d’une langue semble
hétérogène, que ses éléments constitutifs ne sont pas descriptibles sous forme de
liste. Le lexique englobe l’unité linguistique au carrefour de la morphologie, de la
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pour une définition fine (Cf. §9.2.3), comme une forme linguistique libre porteuse de
sens est maintenant appréhendé à travers le lexique.
Dans une perspective d’analyse du lexique qui prend en compte ses régularités et ses irrégularités ou idiomatismes, Mel’čul et Zolkovsky ont ainsi répertorié des Fonctions lexicales (FL). Celles-ci se présentent comme des outils d’aide à la modélisation de la relation de cooccurrence. Cette approche lexico sémantique est à visée lexicographique puisque les observations faites sur le
lexique sont enregistrées dans un Dictionnaire Explicatif et Combinatoire. Les
auteurs de ce travail évoquent l’existence d’un lexique profond relativement
abstrait qui ne serait pas des mots concrets, mais constitue une sorte de lexique universel que l’on retrouve dans toutes les langues.