• Aucun résultat trouvé

PARTIE I : CADRE DE RECHERCHE

Chapitre 1 : De la langue wolof

1.2 Éléments de morphologie wolof

Le structuralisme marque une période au cours de laquelle la morphologie connait un essor fulgurant. Même si les grammairiens générativistes ont à un certain temps remis en cause l’idée selon laquelle la morphologie peut constituer une discipline autonome, du fait de la primeur ont accordée à la phonologie et à la syntaxe, la morphologie s’est érigée en domaine d’analyse linguistique autonome. L’objet d’étude de la morphologie, le morphème, se présente comme la plus petite

unité indécomposable de sens. Le mot16 constitue un élément clé de la morphologie ;

d’abord parce qu’elle, occupe une place de choix à tous les niveaux d’analyse de la langue assumant même la jonction entre ces niveaux, mais aussi parce que l’étude de la morphologie ne peut être envisagée au delà de la formation et de la structure du mot.

Le mot, nous la définissons à la suite du morphème comme une unité de sens ayant une certaine autonomie. Cette définition est bien sûr peu satisfaisante (cf. 9.2.3

pour une définition plus fine du mot), mais provisoire puisqu’elle sert à marquer le

caractère dépendant du morphème bien qu’il véhicule un sens.

Le wolof est une langue agglutinante. Cinq procédés de construction

morphologique sont dénombrés : l’affixation, la composition, la conversion,

l’alternance consonantique, et la réduplication.

La morphologie verbale du wolof constituera le premier point dont nous parlerons en insistant sur trois notions fondamentales : le temps, l’aspect et le mode. Par la suite, la question des flexions nominales sera abordée ainsi que la dérivation.

La morphologie verbale wolof, pose un problème perceptible dans bien des langues negro africaines : la nature et la fonction morphologique et syntaxique de ses constituants. La construction de cette morphologie comprend un marqueur prédicatif qui « porte la majorité de l'information grammaticale » et un « verbe qui porte toute l'information lexicale. » (Guérin, 2014 : 2). Cette subdivision qui peut

paraître simple cache des difficultés d’identification de certains éléments.

Cependant, Nouguier-Voisin (2002 : 31) met en garde contre une « segmentation

des formes verbales poussée à l’extrême ». Pour cette auteure, cela serait le fait d’une tendance à traiter comme « relevant de la syntaxe des éléments morphologiques ». Sans donner les constituants du paradigme des conjugaisons

38

(cf. §1.2.1), nous pouvons noter que ces morphèmes comportent essentiellement des

valeurs temporelle, aspectuelle et modale (TAM).

(71) Ñakku-woon na

Vacciner+Passé il Il s’est fait vacciner.

En ce qui a trait à la subdivision dont parle Nouguier-Voisin, il faut relever l’existence de ce que des auteurs considèrent comme des morphèmes verbaux mais qui ne correspondent pas de manière rigoureuse à la définition de ce type de

morphème. En effet, Guérin (2014) relève dans certains énoncés d’identification (la

en 72), de catégorisation (a en 73) et de localisation (a ngii en 74) des constructions à prédicats non verbaux.

(72) Abu sama xarit la Abou, c’est mon ami. (73) Moom, fajkat a

Lui, il est médecin (74) Fajkat a ngii

Voici, un médecin.

Pour Diouf (2009 : 149) ces éléments doivent être considérés comme des prédicats verbaux. Il y a une ellipse des verbes doon (être) et nekk (être, se trouver). La limite d’une telle assertion réside dans la possibilité même d'effacer le verbe élément qui porte l’information lexicale. Or, par définition un morphème affixal est lié à sa base, ce qui excluerait une occurrence isolée.

Les différents procédés morphologiques wolof tournent autour du nom. L’affixation (davantage développée §1.2.2) est le procédé morphologique le plus

productif. Elle concerne principalement la suffixation. Les préfixes n’existent qu’en

synchronie. L’affixation en wolof peut comporter une dimension morphonologique perceptible avec les constructions inversives.

(75) Teg (poser) teggi (enlever) (76) Takk (nouer) tekki (dénouer)

La composition est un procédé qui concerne davantage les noms (doomu

jàngoro, 77). Ka (1981 : 75-77) a dréssé un certain nombre de critères qui consacrent une composition. La commutation permet de déterminer la catégorie

lexical (critère prosodique). Le sens du composé ne se réduit pas au sens des unités constitutives (critère sémantique). Il y a une différence entre constructions

syntaxiques et ordre des termes et ces derniers n’admettent pas l’insertion

d’éléments nouveaux. Notre exemple (77) satisfait à tous ces critères. De manière

peu fréquente la composition peut donner des verbes (gàtt tànk 78) ou des adverbes

(ci tàng tàng bi, 79).

(77) Dòomu jàngoro sidaa dafa say say

Virus sida être vicieux

Le virus du sida est vicieux. (78) Dafa gàtt tànk EmphS court pied Il est casanier.

(79) Ñëw na ci tàng tàng bi.

Venir Parf3PS dans chaud chaud le Il est venu instantanément.

La conversion peut être catégorielle. Dans ce cas de figure il s’agit du passage d’une catégorie grammaticale à une autre (80a et 80b). Dans une moindre mesure, la conversion peut concerner les classes nominales. Cela donne à certains substantifs, un caractère synonymique (81).

(80a) Feebar na

(80b)Feebar bi sonal na ko.

(81) Saxaar si Saxaar gi La fumée le train

L’alternance consonantique et la réduplication permettent la construction de déverbaux. L’alternance consonantique se présente comme un procédé morphophonologique : fricative en occlusive (82), ou occlusive en prénasal (83). La réduplication n’est pas très productive. Elle entre dans la détermination des noms d’habitants (84) principalement, même s’il faut signaler l’existence de duplication sur la base de lexèmes (85).

40

(82) Faj (guérir) Paj (guérison) (83) Gëm (croire) Ngëm (croyance) (84) Ab Jolof jolof

Un habitant du Jolof (85) Mën mën (la capacité)

1.2.1 Morphologie verbale

La morphologie verbale du wolof nous conduit à parler de temps, d’aspect et

de mode.

Le présent constitue un temps non marqué (85) perceptible dans les différentes conjugaisons dont nous parlerons dans le système verbal.

(85) Maa ngi faju Prés1PS se soigner Je me soigne.

Ce sont deux types de passé qui existent : un passé équivalent au passé

simple et au passé composé français (86) qui a une variante allomorphe (-oon et

-woon) et un autre passé qui équivaut à l’imparfait, elle se forme avec l’auxiliaire di

affixé au morphème du passé aan (daan) (87).

(86) Faju-woon naa démb

Se soigner+Passé je hier Je me suis soigné hier.

(87) Daan naa faju fii. Passé 1PS se soigner ici. J’avais l’habitude de me soigner ici.

(88) Su ma fajuw-e ba pare ma dem.

Quand 1PS se soigner jusqu’à finir Aor1PS partir.

Quand j’aurai fini de me soigner, je partirai.

La catégorie aspectuelle a plus d’importance que le temps, en wolof. Ces formes aspectuelles ont cependant une certaine hétérogénéité qui peut inclure des procédés morphologiques, lexicaux ou encore syntaxiques. En wolof, on relève deux aspects, accompli et inaccompli, qui incluent tout le système verbal avec le verbe comme noyau. L’inaccompli renvoie à un procès en cours ou non encore réalisé, qui a lieu au moment indiqué par l’énonciation alors que l’accompli constitue le résultat

d’un procès antérieur à l’énonciation. La marque de l’inaccompli est le morphème di

et sa variante y. Toutefois ce morphème, selon le contexte d’énonciation peut avoir

plusieurs significations comme une action en cours (89) ou une action qui n’est pas

encore réalisée (90) ou encore un procès accompli de manière ponctuelle ou occasionnelle (91).

(89) Damay faju.

EmphV1PS+Inacc se soigner. Je suis en train de me soigner.

(90) Damay faju suba.

EmphV1PS+Inacc se soigner demain. Je me soignerai demain.

(91) Dinaay faju ci lopital bi.

EmphV+Inacc se soigner dans hôpital le. Il m’arrive de me soigner dans cet hôpital.

Selon les différentes conjugaisons, la marque de l’inaccompli peut donner différentes valeurs à l’aspect. Par exemple, avec l’injonction, exprimée par l’impératif et l’obligatif, l’absence de marque de l’inaccompli ne signifie pas un

aspect accompli, puisque le cadre discursif de l’injonction indique un procès

inaccompli ; par ailleurs les différences sus mentionnées de procès en cours ou qui n’est pas encore réalisé sont le fait du choix des conjugaisons.

La morphologie verbale du wolof est donc le lieu d’expression privilégié de

l’aspect même s’il n’est pas le seul. En effet, Fuchs (1978) dans une perspective énonciative inclut toutes les composantes participant au déroulement du procès.

42

L’approche de Fuchs diffère de celle d’autres linguistes qui ont voulu cantonner l’aspect à la morphologie verbale alors que la catégorie aspect ne sert pas qu’à statuer sur l’état de l’action du verbe, elle dénote et est même le cœur de la subjectivité de l’énonciateur. De ce fait, les moyens pour exprimer l’aspect en wolof peuvent, en plus de tourner autour du système verbal, être liés à la dérivation lexicale.

Il convient tout de même de préciser que la voix verbale en wolof (voix active et voix passive) est exprimée, par moment, par des marques morphologiques (92).

(92) Boyet bi ubb-u na

Boîte la fermer Parf3PS La boîte est fermée.

Cette même marque morphologique (u) est également visible dans la forme

pronominale réfléchie de certains verbes comme raxasu (se laver les mains), watu

(se raser), son absence sur ces bases verbales enlève également le caractère pronominal.

1.2.2 Morphologie dérivationnelle

La morphologie dérivationnelle appartient au domaine de la lexicologie et se manifeste par la concaténation de morphèmes dans la structure interne du mot. Nous parlerons essentiellement de dénomination dans notre travail et ce sont les lexèmes nominaux qui disposent d’un très grand pouvoir dénominatif. Il nous a donc semblé que la morphologie dérivationnelle, plus que la morphologie flexionnelle qui révèle la relation syntaxique entretenue par le lexème avec les autres éléments de la phrase, devait être abordée.

Le procédé de dérivation est plutôt simple, il s’agit d’ajouter à une base des affixes afin de constituer un mot (93). L’alternance consonantique (94) constitue également une autre forme de dérivation alors que le dernier type peut combiner l’une et l’autre des formes pré citées (95). La réduplication est une dérivation qui part généralement d’un lexème verbal (96).

(93) Fajukaay

Soigner+moyen / outil Récipient pour manger (94) Faj (soigner)

Paj (soin) (95) Bëgg (aimer) Mbëggeel (amour) (96) Xam (Savoir)

Xam-xam (savoir / connaissance)

La dérivation par ajout d’affixe est le procédé le plus commun. Toutefois on ne relève que de très rares préfixes. Certains linguistes (Diouf, 2003 : 18) parlent de préfixation pour des lexèmes comme araw (faire des granules de farine) / karaw

(granulés de farine), àddu (répondre de la voix) / kàddu (parole), l’hypothèse de l’existence d’une fricative glottale /h/ en wolof comme dans d’autres langues de la famille Ouest-Atlantique qui lui sont apparentées comme le séreer et le pulaar, est avancée par d’autres linguistes (N’diaye, 2004 : 43). Cette possible existence signifierait qu’en lieu et place d’une alternance Ø/k, il faut plutôt considérer une alternance consonantique h/k. Parmi les quelques préfixes que compte le wolof, on

retrouve dans les prénoms de personnes al (Albouri, Aldemba), Ma/Maa (Mapenda,

Maajigéen), etc. Cependant la préfixation demeure un procédé qui tend à se confondre avec la base en synchronie.

Les suffixes sont répartis entre suffixes nominaux et verbaux et sont au nombre d’une trentaine. Les suffixes ont des rôles sémantique et grammatical. Ils peuvent être des déverbaux, des dénominatifs, des correctifs, etc. La combinaison de plusieurs suffixes donne des suffixes amalgamés. La suffixation constitue le procédé

de dérivation le plus fécond pour l’enrichissement lexical. Il existe un grand nombre

de suffixes qui sont synonymes. Le changement de catégorie grammaticale que peut provoquer l’adjonction d’un suffixe est sans conteste un des effets marquant des mots complexes. La structure morphologique d’un mot complexe (ici mot complexe renvoie à un mot qui comporte un radical et un affixe), comme bindkat (écrivain)

aura comme tête morphologique l’affixe dérivationnel –kat (agentif) qui en plus de

déterminer sa catégorie grammaticale établit certaines de ces propriétés sémantiques,

44