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PARTIE II : ÉTUDE EMPIRIQUE

5.4 Cadre théorique

L’étude s’inscrit dans le cadre de la TST (Théorie Sens-Texte). La théorie développée par Zholkovskij et Mel’čuk (1965) initie à l’époque une approche qui

privilégie la sémantique sur la syntaxe. Elle se résume à ceci : partir d’une idée, un

sens pour aller vers sa réalisation concrète dans la langue, c’est-à-dire le texte. De

plus il faut spécifier, dans la description linguistique, tous les niveaux d’analyse : phonétique, morphologique, syntaxique et sémantique. Ce qui nous intéresse tout

particulièrement dans cette théorie c’est sa composante lexicale qui est matérialisée

par le DEC24 et plus spécifiquement l’inventaire qui est fait des fonctions lexicales

(FL) en tant que système qui procède à l’encodage des collocations. En effet, les FL

participent à la généralisation des propriétés syntaxiques et sémantiques des syntagmes phrastiques en général et des collocations en particulier.

L’étude de la paraphrase requiert une analyse à tous les niveaux de la langue

(sémantique, morphologie, syntaxe, etc.). Elle constitue une étude d’envergure qui

comporte de grands enjeux théoriques, descriptifs et formels. Parmi les questions théoriques, il y a le choix de la typologie de paraphrase à étudier, la nature du lien paraphrastique, les facteurs déterminant qu’un énoncé Y, et non Z, est une

paraphrase de X. Les questions d’ordre descriptif renvoient entre autres points aux

différents moyens de paraphraser.

Dans le Modèle Sens-Texte (MST), le système de paraphrase occupe une place importante. Ce système est sous-tendu par les notions de synonymie d’antonymie et de conversion qui par ailleurs expriment des relations lexicales entre FL. Outre ces fonctions, le système de paraphrasage prend en compte la dérivation nominale. L’approche linguistique synthétique de la TST (partir d’un sens pour arriver à sa réalisation textuelle), permet d’aborder la notion de synonymie d’une manière différente de l’approche traditionnelle lexicologique.

La TST n’est pas la seule théorie qui s’est développée autour de la

sémantique lexicale. Dans les lignes qui suivent, nous abordons une autre approche majeure : le Lexique Génératif (désormais LG) de Pustejovsky. Après quoi, les raisons pour lesquelles nous pensons que la TST convient mieux à notre travail d’analyse seront évoquées.

Les travaux sur le LG s’inscrivent dans la lignée du générativisme

chomskyen, notamment pour ce qui est de la systématicité du formalisme des études

linguistiques. Katz et Fodor (1963), puis Katz (1972) constituent les premières

études initiées dans ce domaine. Katz n’a pas adopté que les exigences de

formalisation algorithmique de Chomsky, l’innéisme dans le traitement et la

production du langage est un point qu’il a repris à son compte.

In short, Katzian semantics was a singular combination, within the framework of generative grammar, of a basic structural semantic methodology, a mentalist philosophy of language, and a formalized descriptive apparatus. (Geeraerts, 2002)

L’initiative de Katz a intéressé d’autres linguistes, notamment Pustejovsky. Il

a, dans une approche logique, donné dans les années quatre-vingt dix un nouvel élan à l’idée originale de Katz.

Pustejovsky a d’abord publié sous forme de contribution (Pustejovsky,

1991), puis d’ouvrage (Pustejovsky, 1995) ses premières recherches, tout en précisant leur but :

This book deals with natural language semantics, and in particular the semantics of words (…). Lexical semantics is the study of how and what the words of a language denote. (Pustejovsky, 1995 : 1)

Les travaux ont deux motivations. Ils constituent une approche qui s’attache

à éliminer le caractère énumératif du lexique à travers un mécanisme génératif qui part d’un sens de base. Le LG propose ensuite la construction d’un ensemble de modèles mathématiques à même de comprendre la sémantique des mots. Le LG comporte donc un appareil formel qui a une claire visée informatique.

Le traitement de la polysémie est généralement fait, dans les dictionnaires traditionnels, et le DEC également, selon un principe énumératif autant d’entrées

que de sens répertoriés. C’est une démarche qui a son intérêt surtout lorsqu’on est en

face d’une unité lexicale polysémique dont les sens réfèrent à des réalités ou objets

de types différents. Par exemple, nous prendrons deux sens de mine.

1) Il a une mine de déterré. (apparence, expression de visage)

2) Il travaille à la mine. (terrain d’où l’on extrait une matière minérale)

La polysémie abordée sous cet aspect ne pose pas de réelles difficultés de distinction quoique l’émergence d’autres sens pour le même lexème exige de rallonger la liste de sens de mine.

Toutefois ce qui constitue la limite majeure de l’énumération dans le traitement de la polysémie réside dans le rapport logique entretenu par deux sens même lorsque les types de référents diffèrent ou sont proches.

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3) Un homme fort. (force physique, vigueur)

4) Une femme forte. (dont les dimensions, la corpulence, sont considérables) 5) Une colle forte. (résistante, solide)

Comme pour les premiers exemples, l’énumération des sens ne peut prétendre à l’exhaustivité d’autant plus que la dynamique de la langue crée des sens

nouveaux. En plus, de ces formes de polysémie, d’autres types de polysémie

peuvent être relevés : entre produit (7) et son fabricant (6), entre le sens processif (8) et le sens résultatif (9).

(6) Le journal a fermé. (7) Le journal est sur la table

(8)L’intervention est menée par des troupes au sol. (9) Son intervention était pertinente.

En prenant en compte la complexité du traitement de la polysémie, Pustejovsky propose malgré l’influence du contexte et d’autres facteurs liés à la situation énonciative, un modèle rigide à même de traiter la sémantique des unités lexicales.

Le modèle du lexique génératif rejoint la TST à plusieurs niveaux. Même si de prime abord, comme ne manque de le souligner Polguère (2007), ce rapprochement ne semble pas évident.

[Meaning-Text theory] is based on the methodical and systematic description of each and every lexical unit of the language, whereas [Generative Lexicon] advocates the primacy of general “derivation” rules as a means of getting around the unfeasible task of attaining completeness in lexical models— especially with regards to polysemy. (Polguère, 2007: 1)

La différence d’approche méthodologique et théorique entre le LG et la TST

a eu des impacts sur le développement empirique de chacune des théories. Selon

Polguère, cela s’est traduit, pour la TST, par une mise à l’écart d’importants aspects

cognitifs du lexique. Alors que ces aspects ne concernent pas que le TAL puisqu’ils

restent fondamentaux dans l’apprentissage des langues. Le LG n’a pour sa part pas

su profiter de la vision orthogonale qu’offre la TST à propos de ses nombreux travaux lexicographiques et de sa conception de bases de données lexicales.

Le LG se focalise sur l’unité sémantique et la manière dont elle peut donner

des dérivations sémantiques, c’est-à-dire la polysémie. Il s’intéresse à l’expression

syntaxique de cette unité sémantique. C’est une démarche qui tend à privilégier le

l’unité lexicale. La différence de choix quant à leur objet d’étude, unité sémantique

et unité lexicale, provient d’approches méthodologiques différentes.

the GL addresses the problem of language analysis/understanding—which is perceived as being the most challenging task in NLP—, while ECL/MTT addresses the problem of language production—which is perceived as the most linguistically challenging task, and therefore the best way to approach linguistic rules. (Polguère, 2007 : 3)

Ainsi, si pour la TST le sens est une évidence, pour le LG, il demeure un

objectif à atteindre. L’unité lexicale, en tant qu’élément fondamental dans le cadre

de la TST, constitue une entité communicative dont le sens se déploie pleinement

dans la production langagière. De là, l’on peut aisément comprendre que la théorie

s’oriente vers la conception d’outils lexicographiques ou de bases de données

exploitables par l’homme et la machine. Polguère (2007) note la démarche différente

du LG qui persiste dans une approche inductive qui, à partir de faits particuliers, tend vers la généralisation. Ce qui ne convient pas, selon toujours Polguère, c’est que cette généralisation laisse de côté des propriétés lexicales spécifiques.

Il faut dénombrer quatre niveaux de représentation des entrées lexicales avec le LG.

La structure argumentale décrit la structure prédicative de l’entrée. Ce sont

les arguments et la typologie que l’on dénombre pour un lexème donné. C’est une

structure qui donne des informations sémantiques minimales. Aussi, faut-il souligner que la réalisation syntaxique du lexème dépend de ces arguments.

La structure évènementielle décrit un type d’évènement (état, procès,

transition). Certains évènements peuvent comporter plusieurs sous-évènements. La structure de qualia inclut des aspects du sens d’un lexème (constitutif,

télique et agentif). Elle donne les attributs et propriétés du lexème et s’apparente à

la notion traditionnelle de la définition componentielle.

Enfin, la structure d’héritage se présente comme un réseau sémantique dans

lequel des lexèmes génériques sont reliés à leurs occurrences à l’aide de flèches. C’est une structure qui exprime des relations taxinomiques.

Par ailleurs, les mécanismes génératifs tels qu’ils sont décrits par Pustejovsky se résument à la co-composition, au liage sélectif et à la coercition de types en vue de traiter la polysémie.

La coercition de types consiste en un changement d’argument en extrayant

des informations à partir de la structure de qualia. Elle rend compte d’alternances

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Le liage sélectif est une opération qui porte sur le nom, sur une partie de sa

sémantique sans qu’il y ait changement de type. Il explicite la polysémie adjectivale.

La co-composition a une structure de qualia et explicite les changements aspectuels. Cependant, ce qui pose fondamentalement problème avec le lexique génératif selon Polguère (2007), c’est son caractère génératif qu’il remet en cause en ces termes :

(…) as we came across texts where the GL community was reflecting on itself—such as Pustejovsky (on-line)— we realized that the GL indeed intended to be a generative, in the generative linguistics sense, approach to modeling lexicons. (Polguère, 2007 : 4)

Pour étayer ses propos, l’auteur insiste sur la grande différence qui existe entre les principes adoptés par le LG pour démontrer sa démarche générative et ce qu’implique véritablement une approche générative. La théorie générativiste part du postulat qu’une langue est un ensemble fini de règles à même de générer un ensemble infini de structures énonciatives. Alors que le LG se contente d’un dispositif formel qui générerait des entités linguistiques abstraites en la langue elle-même. Ce qui n’est pas, sur le plan linguistique, génératif. Le mécanisme génératif de coercition ne serait en fait qu’un mécanisme d’interprétation du sens des phrases. L’atout majeur du dispositif formel proposé par le LG et dont la TST pourrait profiter, est son caractère dynamique qui permet de réécrire les règles linguistiques.

La TST et le LG ne s’excluent pas. Le LG est explicatif. Son but ultime reste le traitement automatique des langues à travers des opérations de modulation de sens en fonction du contexte (la coercition par exemple). Ce qui permet ainsi de répondre à la question fondamentale posée par la sémantique lexicale sur la représentation

correspondante entre forme logique d’un mot en usage et son sens.

Nous relevons dans l’approche générativiste du lexique un certain nombre d’écueils qui nous ont poussés à choisir le cadre théorique de la TST. Les bases empiriques du LG ne sont pas très développées. Il suffit pour s’en convaincre de revoir la littérature autour du LG qui donne une impression d’applications très limitatives de la démarche à quelques domaines. Les exemples ne sont pas nombreux et sont essentiellement en anglais, ce qui peut susciter des questionnements quant au caractère universel du LG. Selon Geeraerts, pour élargir la base empirique du LG, des auteurs ont mené des travaux, notamment sur corpus : Hanks et Pustejovsky (2005), Hanks (2006), Pustejovsky et Rumshisky (2008), Rumshisky (2008).

Le LG développe des aspects liés au traitement de la polysémie et qui

peuvent servir de cadre d’étude pour le wolof. Il constitue un pan très intéressant

pour le traitement de la polylexicalité wolof particulièrement en ce qui concerne les nuances sémantiques des verbonominaux qui peuvent être représentées grâce à la structure évènementielle, alors que la structure de qualia aide à spécifier l’aspect de lexèmes polysémiques.

Cependant, notre étude sur les collocations et la place qu’y occupe la paraphrase également traitée par la TST nous incite à nous inscrire dans ce cadre précis.

Le LG ne s’attache qu’à un seul aspect de la complexité lexicale, la polysémie. Son approche analytique et de compréhension par rapport à la langue, n’a, pour l’heure, pas donné d’applications lexicographiques ou informatiques majeures. La TST dans son approche de synthèse qui se consacre à la matérialisation textuelle des productions langagières a donné à la communauté scientifique des ouvrages lexicographiques et de bases de données lexicales auxquels nous pouvons référer. Notre but est de créer un lexique de spécialité tout en décrivant la combinatoire lexicale wolof. À notre sens, cela ne peut se faire qu’en considérant l’unité lexicale et non pas d’une unité de sens qui peut en générer d’autres. En l’état actuel de l’évolution des recherches en terminologie, où les corpus constituent d’importantes ressources linguistiques, l’enjeu est moins de créer un dispositif récursif que de relever la façon dont le sens contenu dans ces ressources se réalise ou peut se réaliser.

La combinatoire lexicale telle qu’elle est abordée par la TST offre

actuellement un cadre d’analyse cohérent et à même d’expliciter les contraintes de combinatoire pour le wolof d’une part et d’autre part, le développement terminologique de cette langue passe par un paradigme désignationnel pour lequel la paraphrase joue un rôle essentiellement de synonyme des différents patrons syntaxiques que nous avons extraits.

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Synthèse de chapitre

L’objectif de notre recherche ainsi que la méthodologie adoptée, tels sont, en substance, les points abordés dans ce chapitre. Sans verser dans quelque posture dogmatique, nous avons tout de même voulu nous inscrire dans une démarche

ouverte, mais cohérente. Il n’a pas été question de souligner la prééminence de tel

courant épistémologique sur un autre. Nous avons donc dégagé une méthodologie fondée sur le réalisme. Elle comporte peut-être des limites que nous ne manquerons de souligner, le cas échéant, dans la suite de notre travail et de nos éléments de conclusion.

En choisissant de travailler sur la traduction et les langues de spécialité, nous avons aussi fait le choix de travailler aussi bien sur la langue au sens saussurien du terme de système, mais aussi sur son utilisation actualisée (la parole selon la terminologie saussurienne). Mais un intérêt particulier sera porté à cette utilisation actualisée. L’une des raisons est que d’abord la vitesse d’évolution du langage

humain offre de grandes perspectives de recherches que cela soit pour l’anglais, le

français ou l’espagnol ; ensuite parce que le wolof bien qu’étant une langue vivante n’est pas vivifié. En fait, la langue évolue très en deçà du rythme d’évolution des sciences et techniques.

Des perspectives terminologiques s’offrent à cette langue, même s’il existe des difficultés de traduction, la question de la traductibilité ne se pose pas au niveau linguistique ou sémantique. Et comme nous l’avons souligné ailleurs

(Diagne, 2014b), la question traductologique fondamentale est de connaître le

devenir de ces traductions et élaborations de terminologies ; les locuteurs sont-ils prêts à se les approprier ? Quelle méthode est la mieux adaptée pour produire des résultats probants ?

Des langues différentes du point de vue de leurs familles, sont étudiées.

L’anglais et le français sont des langues internationales économiquement puissantes,

alors que le wolof, langue nationale, même si on dénombre des locuteurs dans la sous-région, demeure une langue à usage essentiellement oral. Nous parlons donc de différence quantitative pour ne pas dire représentative et non pas des différences de perception du monde comme le postule Sapir Whorf. En réponse à cette idée de Whorf, Mounin souligne le caractère pernicieux de :

postuler des visions du monde différentes parce qu’il y a des structures linguistiques différentes ; puis expliquer que ces structures linguistiques sont différentes parce qu’elles reflètent des visions du monde différentes. (Mounin, 1976)

Cette première étape de notre étude consistant à faire un travail sur corpus et à élaborer des propositions, sera donc suivie de l’appréciation des résultats. Il ressort

de l’analyse des questions de traduction de terminologie et de phraséologie que ces

deux dernières, peut-être du fait de leur relative nouveauté, ne font pas encore

l’objet de grandes théorisations. Par contre, le niveau de pratique et les

questionnements sur les difficultés qu’elles posent dans le cadre de la traduction intéressent les praticiens et autres traducteurs professionnels. Ces aspects pratiques nous intéressent également dans le cadre de cette thèse.

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