• Aucun résultat trouvé

PARTIE II : ÉTUDE EMPIRIQUE

5.1 Cadre épistémologique

Dans une étude épistémologique, c’est le cadre scientifique d’un domaine de

recherche qui est observé afin d’en faire une évaluation critique. De là d’ailleurs naît la différence marquée ou souhaitée entre connaissance scientifique et connaissance commune. Si la science est connaissance, dans son sens étymologique latin, elle n’est donc pas n’importe quelle connaissance. Elle est connaissance sûre, car elle se fonde sur des méthodes rigoureuses et vérifiables. Elle est également connaissance sûre parce qu’elle est apprise. Ces caractéristiques générales impliquent toutefois un caractère polysémique du terme qui tourne autour de la scientia.

Différents auteurs se sont intéressés à la question épistémologique. Parmi eux, Morgenbesser (1967) considère que l’épistémologie doit donner des critères spécifiques pour des types de savoirs ; Hamlyn (1967) pense qu’elle s’intéresse à la nature, au but, aux postulats du savoir alors que Bachelard (1938) souligne un travail de tri et de recueil de documents.

L’épistémologie est une branche de la philosophie qui a pour but de réfléchir sur la science. Lalande, disait de la science qu’elle est :

« un ensemble de connaissances et de recherches ayant un degré d’unité, de généralité et susceptible d’amener les hommes qui s’y consacrent à des conclusions concordantes qui ne résultent ni des conventions arbitraires, ni des goûts ou des intérêts individuels qui leur sont communs, mais de relations objectives qu’on découvre graduellement et que l’on confirme par des méthodes de vérification définie. ». (Lalande, 1988 : 954).

La science est donc objective, c’est du moins un idéal recherché dans la pratique scientifique, et ne devrait comporter de jugements subjectifs ou de dogmes. D’ailleurs, une opposition nette est faite entre science et dogme. Cette définition de Lalande rejoint les caractéristiques premières de l’activité scientifique, notamment la

rigueur des méthodes et la démarche organisée. C’est un point de vue différent de

celui de Poincaré qui limite la science à ce qu’on appelle aujourd’hui communément

les sciences exactes. Il exclut l’homme de l’univers scientifique. Il faut souligner que la séparation entre sciences exactes et lettres sciences sociales et humaines n’est

pas nouvelle. Le philosophe Leibniz a vu toute son œuvre subdivisée en opera

philosophica et opera matematica. Cependant aujourd’hui la question ne se pose pas quant au caractère scientifique des activités de recherche dans un domaine comme celui de la linguistique.

D’après ces quelques caractéristiques de la science, l’on peut se demander si

la science ne serait pas réservée à un nombre restreint de personnes. L’existence de

la vulgarisation scientifique avec son projet noble de partage des connaissances scientifiques tend à confirmer cet état de fait. Cependant, il est possible de dire que la science n'est pas réservée à un nombre restreint de personne, parce qu’elle est acquise. Elle reste donc à la portée de toute la communauté humaine. Il n’est toutefois pas aisé de trouver une ligne de démarcation nette entre le scientifique et le commun de nos jours.

L’étude épistémologique n’est pas que critique au sens kantien du terme, elle reste fondamentalement un travail d’évaluation. Les mécanismes et dynamiques de productions scientifiques doivent être inclus dans toute étude épistémologique. À cet égard, du rationalisme au dix-septième siècle au constructivisme et réalisme du siècle dernier, chacun des principaux courants épistémologiques, avait sa manière d’appréhender la production scientifique.

Le rationalisme ou courant des idées se singularise par l’accent mis sur la

capacité réflexive innée à l’homme. Il trouve chez Socrate, à travers sa maïeutique,

un précurseur. Plus tard, le cogito ergo sum cartésien sonne comme un leitmotiv qui

place la raison au cœur de toute activité de production scientifique. La dynamique de

production du courant rationaliste, par cette grande foi aux idées et au raisonnement, n’inclut pas de produire, à travers l’expérimentation, les preuves de ce qui est postulé. C’est le principal point de dissemblance entre ce courant et celui qui le suit

au XVIIIe siècle : l’empirisme. Dans le domaine linguistique, Descartes a fortement

influencé Noam Chomsky. Il trouve dans les considérations de Descartes portant sur

le fonctionnement de l’esprit, la justification philosophique de ce qu’il appelle la « grammaire générative » (Benveniste, 1974 : 31).

118

L’empirisme reste un courant épistémologique fortement associé aux

Britanniques. Dans le domaine linguistique, l’empirisme s’est développé au

détriment de l’herméneutique et de la philologie et s’est instauré comme nouveau

paradigme d’analyse philosophique :

In English speaking countries, hermeneutics and philology have lost most of their early appeal. Since the first years of the twentieth, British empiricism has given way to the new paradigm of analytic philosophy. (Teubert, 2004 : 79). Parmi les empiristes, on peut citer le scientifique Isaac Newton, mais aussi le

philosophe John Locke. Ce dernier, tout en restant dans le cadre de l’étude

rationaliste des idées, récuse l’innéisme de nos idées sous toutes ses formes, mais

aussi se démarque de la démarche cartésienne dans un sens où elle s’intéresse à la

nature de l’âme. Locke (1729) met en avant la manière dont se forment nos idées.

Cette formation passe nécessairement par l’expérience. L’expérimentation est donc

au centre du processus de production et toute recherche partirait du concret pour aller vers l’abstrait : partir de faits, effectuer des analyses pour ensuite tirer des conclusions généralisables. Parmi les chercheurs contemporains, on retrouve encore chez les firthiens, cette attitude résolument tournée vers l’empirisme. Par ailleurs, son influence sur les recherches linguistiques, notamment à travers ses réflexions sur le langage et les mots, est particulièrement intéressante. Elle l’est notamment pour la recherche d’invariabilité psychologique dans une perspective d’étude linguistique immanente.

Ainsi comme le rapporte Rey (1970), Locke s’est penché sur la variabilité du

contenu psychologique des mots. Cette dernière peut parfois être nulle, alors que l’étude des mots dans la langue requiert une stabilité qui se révèle fondamentale dans la communication, au risque de « parler deux langues ». Aujourd’hui l’étude des mots à travers leur sémantique concerne principalement en linguistique, la lexicologie et la lexicographie.

Par ailleurs, le courant positiviste, comme pour trouver un consensus entre les deux premiers courants épistémologiques, accorde de l’intérêt aussi bien au

raisonnement qu’à l’expérimentation. Et c’est le philosophe Auguste Comte qui sera

l’un des principaux précurseurs de ce courant de pensée tout en assumant le fait qu’il se trouve entre les deux courants précédents parce que :

« (…) une branche quelconque de nos connaissances ne devient une science qu’à l’époque où, au moyen d’une hypothèse, on a lié tous les faits qui lui servent de base. », selon Comte repris par Kremer-Marietti (1993 : 6).

Le positivisme comtien trouve racine dans sa prime enfance. Pendant cette époque, influencé par les bouleversements socio-économiques de la Révolution

française, il postule dans ses Opuscules des sciences sociales que la société nouvelle serait celle des savants et des industriels. Ils se substitueraient respectivement aux théologiens et aux militaires. L’opposition est assez révélatrice d’un état d’esprit naissant qui caractérise les sociétés actuelles. En effet, la pensée laisse de moins en moins de place aux religieux et aux croyances (les savants plutôt que les

théologiens). Elle institue un nouveau type d’acteur qui participe à la construction de

nouveaux acquis et non pas à la destruction de l’acquis (les industriels plutôt que les militaires). Il postule également la loi des trois états qui culmine sur l’état positif où l’homme combine raisonnement et observation. Il ne s’attache plus aux phénomènes de causalité et autres notions absolues. Ces dernières lui échappent et il se consacre aux « relations invariables de succession et de similitude des phénomènes ».

Au XXème siècle deux courants épistémologiques développent des approches

différentes. Pour le constructivisme, le chercheur détient tout ce qui est nécessaire

pour formuler et construire des connaissances. Il peut donc s’affranchir des modèles

ou mécanismes de pensée qui sont teintés de subjectivité. Un philosophe comme

Piaget place le sujet au cœur du processus d’acquisition de connaissances qu’il est à

même de construire à travers des faits observables et des déductions. L’enfant est au

cœur des premières études effectuées par Piaget qui publiera cinq œuvres entre 1923

et 1932. La pensée logique est au cœur de la problématique de Piaget, du moins à

ses débuts de recherches, selon Dolle :

Les premières grandes recherches de Piaget s’inscrivent dans une problématique concernant la pensée logique – ou la logique de l’enfant — et mettent en œuvre une méthodologie originale appelée méthode clinique21. (Dolle, 1974 : 19).

Le dernier courant dit réaliste propose une posture mesurée dans un sens où chacun des courants sus mentionnés participe de différentes manières à l’évolution des productions scientifiques. Il n’y a donc pas de modèle idéal qui impulse la dynamique des sciences de façon exclusive. Chacun des courants contribue aux avancées. Le réalisme russellien qui a beaucoup influé sur le courant réaliste,

propose d’exclure la croyance dans tout processus cognitif. Dans la croyance, le vrai

s’amalgame avec le faux. La croyance n’a pas en soi la faculté de faire la distinction entre ce qui est vrai et ce qui est faux. Cela dépend d’un objet externe :

21 « La méthode clinique de Piaget est donc une méthode de conversation libre avec l’enfant sur un thème dirigé par l’interrogateur qui suit les réponses de l’enfant, lui demande de justifier ce qu’il dit, d’expliquer, de dire pourquoi, qui lui fait des contre-suggestions, etc. (Dolle ibidem)

120

Il faut noter que la vérité ou la fausseté d’une croyance dépend toujours de quelque chose d’extérieur à la croyance même. Si ma croyance est vraie, je crois que Charles 1er est mort sur l’échafaud, ce n’est pas en vertu d’une qualité propre à ma croyance, qualité que je pourrais découvrir par simple examen de la croyance ; c’est à cause d’un évènement historique d’il y a deux siècles et demi. Si je crois que Charles 1er est mort dans son lit, c’est là une croyance fausse : je peux bien y croire avec force, avoir pris des précautions avant de m’y tenir, tout cela ne l’empêche d’être fausse, toujours pour la même raison, nullement en vertu d’une propriété qui lui soit propre. Bien que la vérité et la fausseté soient des propriétés des croyances, ce sont donc des propriétés qui dépendent de la relation entre la croyance et autre chose qu’elle, non pas d’une qualité interne à la croyance. (Russell, 1989 : 145)

À la suite de ces quelques éléments à propos de la science et des principaux courants épistémologiques qui la constituent, il nous appartient de donner notre positionnement épistémologique.

La thèse sera axée sur la linguistique appliquée à travers l’étude sur corpus

spécialisé de quelques aspects termino-traductologiques. La phraséologie sera

abordée, en tant qu’aspect qui traite l’idiosyncrasie de la langue. Pour ce faire, la

traduction et la terminologie sont abordées sous les angles d’activité et de discipline. Pour ce qui est de la phraséologie, elle s’est constituée en discipline qui explore dans la langue les figements, expressions idiomatiques, etc. Cette étude phraséologique,

est particulièrement consacrée à un aspect de la cooccurrence lexicale qui est celui de

la collocation22. L’essence du travail s’appuie sur un corpus compilé. La critique de ce support sera nécessaire, mais l’orientation empirique ainsi que ses limites seront évoquées.

La charpente de l’étude, par sa transdisciplinarité, incite à une démarche

inclusive qui trouvera un cadre de réflexion approprié pour la terminologie en langue wolof et qui ne se fonde pas exclusivement sur les approches développées pour des langues comme le français ou l’anglais. Ces approches tiennent compte des spécificités propres à l’identité de ces langues. Ce sont là des points qui nécessitent des pistes à définir dans le cadre épistémologique où nous voulons centrer notre étude.

Notre positionnement épistémologique se veut à la fois empirique et réaliste. Il est empirique d’abord parce qu’il va dans le sens de l’observation de faits de

langue à travers l’usage de corpus. Elle est ensuite réaliste parce qu’à notre sens, un

modèle construit d’approche terminologique et de traduction wolof dans les domaines de spécialité nécessite, selon les étapes, de recourir aux différents courants. Ces derniers se révèlent, en vérité, tous complémentaires.