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La question de la méthode dans la Critique de la raison pure

1.2. Les règles méthodologiques de la sensibilité

L’Esthétique Transcendantale est la théorie transcendantale de la sensibilité. C’est par la sensibilité que les objets nous sont donnés. Mais il n’agit pas d’une donation subjective, où un objet comme une chose extérieure se présente à l’esprit. L’objet qui va intéresser Kant est celui de l’expérience scientifique qui se présente à l’intérieur de la connaissance physique. Dès lors que, pour Kant, une science proprement dite doit être nécessairement mathématique, la question centrale de l’Esthétique Transcendantale concerne l’essence de la connaissance mathématique. C’est justement ce caractère mathématique qui fait de la théorie de la nature une science apodictiquement nécessaire et universelle.

En tant que premier moment de la méthode kantienne, l’« Esthétique Transcendantale », selon l’interprétation de l’école de Marburg, ne doit pas être comprise de façon isolée et comme si elle avait une validité définitive et autonome. La solution au problème de la possibilité de l’application des mathématiques aux

phénomènes est complétée seulement dans la deuxième division de « l’Analytique », où Kant expose le premier principe du système – les « Axiomes de l’Intuition » :

La compréhension de l’Esthétique transcendantale semble donc être conditionnée par celle de la Logique transcendantale, en ce qui concerne non seulement les conséquences idéalistes du système, mais aussi le contenu de la théorie elle-même. (Cohen, 2001 : 215)

L’ «esthétique Transcendantale » n’apporte que les éléments initiaux permettant d’expliciter la possibilité des jugements synthétiques a priori. Ces éléments appartiennent à la sensibilité, condition première de toute connaissance, à travers laquelle les objets scientifiques nous sont donnés.

Depuis l’Esthétique transcendantale de Kant, on a pris l’habitude de considérer l’espace et le temps comme les moyens et les fondements indépendants, inévitables, qui revendiquent la première place dans la hiérarchie des conditions de la connaissance. Je suis bien loin de vouloir aller contre cette conception ; cependant, s’il faut éviter qu’avec ses avantages elle ne crée quelques inconvénients, elle a besoin d’être restreinte et complétée. L’inconvénient serait, en effet, inéluctable si l’on entendait accorder à la sensibilité une validité

définitive, de même, d’autre part, que l’échafaudage de la pensée subirait une

tension trop forte si la donnée sensible était négligée. (Cohen, 1999, 147-148)

Les objets scientifiques se laissent représenter sensiblement au moyen des deux formes a priori : l’espace et le temps. La première appartient au sens externe et la seconde, au sens interne, dans la mesure où les objets sensibles sont, respectivement, représentés en dehors de nous dans l’espace et en nous dans le temps. Dans son commentaire méthodologique de l’esthétique transcendantale, Cohen (2000 : 65) nous présente la définition suivante : « l’opération méthodologique par laquelle la sensibilité s’accomplit dans la mathématique s’appelle ‘ intuition’ ».

L’intuition sensible se réfère immédiatement aux objets, car, si c’est en elle qu’ils se présentent les premiers, il n’existe aucune médiation entre l’intuition et les objets. D’un côté, cette intuition est pure, en tant que condition a priori de la possibilité des objets à nous être donnés, et de l’autre, empirique, étant le contenu même de la sensation qui seule peut nous être donnée a posteriori. L’intuition pure, contenant

l’espace et le temps, conditionne toute la matière de la sensation. Le contenu empirique est, donc, capté selon l’extension spatiale et la succession temporelle.

Kant appelle phénomène l’objet conditionné par les formes pures de l’intuition en opposition à un objet inconditionné, une chose en soi, qui ne peut jamais être connue, parce qu'elle ne peut jamais être donnée à l’intuition sensible.

Espace et temps sont, alors, les premières conditions transcendantales qui rendent possible l’intuition des phénomènes, sans se confondre ni avec les objets ni avec les concepts. Pour Cohen, ils constituent des méthodes essentielles, grâce auxquelles les phénomènes scientifiques sont déterminés. En suivant Cohen12, Philonenko (1969: 123) affirme : « espace et temps ne sont plus compris comme cadres en lesquels viennent se loger les sensations, mais comme méthodes fondamentales de la mathématique ». Cette approche exclut tout type d’analyse substantialiste et psychologiste de l’espace et du temps. De telles structures a priori de la sensibilité conçues comme méthodes cessent d’être considérées comme des formes innées de l’esprit. En fait, plus que les conditions qui rendent possible la connaissance mathématique, elles sont les premières méthodes qui rendent possible la mathématisation de la nature de même que la synthèse a priori de la connaissance scientifique. Comme le souligne E.Dufour (2000 : 12) :

Kants Theorie der Erfahrung ne cesse de critiquer la lecture métaphysique de la

Critique. Les formes de la sensibilité ne sont pas des facultés psychologiques, c’est-à-dire des formes qui seraient tels des récipients dans lesquels l’expérience déverserait une matière. Toute la spécificité et la nouveauté de la Critique reposent sur ce qui distingue, dans l’Esthétique transcendantale, l’exposition métaphysique de l’exposition transcendantale.

En ce qui concerne ce travail, ce n’est pas notre but ici d’entrer dans le détail des expositions métaphysiques et transcendantales de l’espace et du temps. Nous souhaitons seulement situer les deux formes a priori de l’intuition par rapport au choix méthodologique qui sera utilisé comme référence tout au long de la thèse. L’idée selon laquelle l’amplitude transcendantale de la méthode kantienne outrepasse l’esthétique transcendantale aura aussi une importance spéciale dans les discussions qui auront lieu

autour de l’actualité de la doctrine kantienne face à la mécanique quantique. Nous verrons ensuite que, sous la présupposition du principe suprême de l’expérience possible, ces deux formes pures de la sensibilité doivent être intégrées aux formes pures de la pensée. La signification transcendantale acquise par « l’Esthétique » à l’intérieur de « l’Analyse des Principes » sera examinée dans la quatrième section de ce chapitre.

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