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La question de la méthode dans la Critique de la raison pure

1.5. La Dialectique comme méthode

Nous avons exposé jusqu’ici la méthode transcendantale dans son aspect constitutif, en présentant les conditions de possibilité de la connaissance mathématique de l’expérience. Nous présenterons, maintenant, la Dialectique Transcendantale, dans son rôle méthodologique limitatif. Nous vérifierons que le travail de l’Analytique n’est pas complet sans la fonction régulatrice des idées de la raison. C’est bien dans la Dialectique que Kant accomplit sa réflexion sur les limites de la connaissance empirique.

Les deux divisions de la « Logique Transcendantale » correspondent respectivement, à l’« Analytique », comme logique de vérité, et à la « Dialectique », comme logique de l’apparence illusoire. La première tente justement d’affronter le problème de la vérité, qui se traduit par la concordance entre les lois de l’entendement et les objets des sens. La seconde cherche à découvrir l’illusion de ces jugements qui outrepassent les limites de l’expérience possible. De tels jugements sont appelés par Kant idées transcendantales, elles sont les catégories mêmes, amplifiées jusqu’à

Dans le système des idées cosmologiques, Kant critique la prétention de faire, des idées transcendantales, l’unité inconditionnelle des conditions objectives des phénomènes. Cette prétention conduit au conflit des antinomies cosmologiques, c’est-à- dire au conflit des idées de la raison pure dans sa relation avec le monde. Le texte des antinomies consiste à dénoncer l’inévitable illusion de la raison en prenant ces idées comme principes constitutifs des phénomènes en leur attribuant une réalité objective. Pour Kant, les idées transcendantales ne sont pas données à l’intuition sensible et, de ce fait, elles ne se présentent pas aux formes a priori de l’espace et du temps.

L’interprétation de Cohen voit le conflit des antinomies comme un conflit de méthodes. Elle s’oppose à toute sorte d’interprétation qui essaie de comprendre ce conflit en ne se référant qu'aux contenus exprimés par la thèse et par l’antithèse sans aucun rapport avec leur caractère méthodologique. Dans la perspective de l’analyse cohénienne, la «Dialectique » est une réflexion sur les méthodes, et la thèse et l’antithèse des antinomies doivent être considérées comme des « méthodes dogmatiques dans leur relation au monde » (Cf. Philonenko, 1969 : 299). Les méthodes

deviennent dogmatiques dans les antinomies justement dans la disjonction entre les catégories et les intuitions. L’illusion émerge quand l’idée de totalité inconditionnelle, qui n’est pas du tout donnée à l’intuition sensible, est prise comme si elle était une idée objective. Cette façon de procéder donne toujours naissance à un confit entre deux positions métaphysiques contradictoires, que la raison, suivant ses propres critères, ne réussit pas résoudre. «Encore une fois nous voyons que tous les malentendus qui affectent la doctrine kantienne – et qu’excusent en partie les difficultés d’expression propres à Kant - viennent de la tendance presqu’invincible à penser en termes de choses plutôt qu’en termes de méthodes» (Philonenko, 1969: 281).

Selon Philonenko, si le schématisme et le principe de la grandeur intensive sont le sommet de la logique de la vérité, le sommet de la logique de l’apparence se trouve dans la seconde antinomie de la Dialectique Transcendantale. Dans le conflit entre le continu et le discret, l’idée d’infini sérial, supposée par Kant dans toutes les antinomies, est considéré de manière plus systématique.

Le conflit des idées de la raison surgit quand on prend cet infini comme chose en soi, qui possède une réalité existante, et non comme règle. L’idée de l’infini sérial, qui est à la base de tout principe cosmologique, admet comme donnée en soi-même tant le

monde que la totalité inconditionnelle de la série de ses conditions. Un tel principe évidemment ne peut cependant pas fonctionner comme principe constitutif de la nature, dans le sens d’amplifier la connaissance du monde des sentiments au-delà de toute expérience. Cependant il peut marcher comme une règle qui, selon Kant, « fait poursuivre et étendre l’expérience le plus loin possible, et d’après lequel aucune limite empirique ne doit avoir la valeur d’une limite absolue». Kant l’appelle le principe régulateur de la raison, qui « postule comme règle, ce qui doit arriver de notre fait dans

la régression et n’anticipe pas ce qui est donné en soi dans l’objet antérieurement à

toute régression» (A509/B537 ; Ak III, 349). Dans l’usage régulateur, les idées de la raison, auparavant apparences illusoires, se convertissent en règles que la raison prescrit au champ des phénomènes fonctionnant comme des principes propres de la science de la nature. Dans ce sens, les idées de la raison pure cessent d’être des méthodes dogmatiques et, donc, illégitimes, et se transforment en méthodes transcendantales qui rendent possible la connaissance de la réalité empirique.

Cependant, la « Dialectique », qui, en principe, se présente comme méthode purement négative, pour interdire la connaissance des idées métaphysiques, acquiert, en définitive, une signification positive. Malgré le fait que ces idées ne possèdent pas une réalité objective, elles ne cessent de posséder une légitimité. Dans l’usage méthodologique seulement, les idées de la raison pure acquièrent le statut de lois suprêmes de la connaissance de la réalité objective, dans la mesure où elles donnent à l’expérience une unité systématique que nulle connaissance empirique n’est capable de donner. Dans ce sens, Philonenko affirme que la chose en soi ne peut être extirpée du criticisme, puisque, comme une idée transcendantale, elle se transforme en un principe régulateur qui limite et oriente l’activité de la connaissance.

Cette compréhension méthodologique de la Dialectique est fondamentale pour évaluer les conditions qui limitent la connaissance des inobservables, comme c’est le cas de la constitution microphysique de la matière. Mais avant d’approfondir cette question, il est nécessaire de suivre le chemin qui nous mène des principes de l’entendement pur aux principes métaphysiques de la science de la nature.

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