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Kant et le problème de la constitution de la matière

3.1. L’illusion dialectique sur la nature de la matière

3.1.4. La deuxième antinomie

Le second conflit des idées transcendantales, pour lequel nous avons un intérêt tout particulier, a eu une importance fondamentale dans l’Idéalisme Allemand. C’est à partir de la critique faite à la deuxième antinomie que Hegel précise justement le passage de la philosophie critique à la dialectique spéculative.

La deuxième antinomie27, comme nous l’avons déjà vu, se réfère à la catégorie de la réalité à partir de laquelle s’entreprend la synthèse régressive des parties d’un tout substantiel. Cette antinomie, comme la première, est, du point de vue spéculatif, sans solution : thèse et antithèse s’avèrent toutes les deux fausses. La thèse dit que le simple existe comme composant présent en toute matière. L’antithèse nie l’existence du simple. La démonstration de ces deux propositions est aussi apagogique.

Kant présente la thèse de la manière suivante : « toute substance composée dans le monde est faite de parties simples, et il n’existe absolument rien que le simple ou ce qui en est composé » (A434/B462 ; Ak III, 300).

Et l’antithèse : « aucune chose composée, dans le monde, n’est faite de parties simples, et il n’existe absolument rien de simple dans le monde » (A436/B463 ; Ak III, 301).

En admettant l’inexistence d’un composé constitué de parties simples (antithèse), Kant argumente que, en cas de suppression de la composition au moyen de la pensée, il ne resterait absolument rien, étant donné que le simples n’existe pas, comme le suppose la proposition à démontrer. Ainsi aucune substance ne serait donnée. Une contradiction apparaît alors, car l’antithèse présuppose un composé substantiel et, à leur tour, les substances sont des êtres subsistants en soi, au-delà de toute composition. Celle-ci n’est pas autre chose qu’une relation contingente de substances. Nous devons donc nécessairement admettre que le tout composé est formé de parties simples, qui sont les éléments premiers de toute composition. Les limites de cette démonstration sont mises en évidence par Kant lui-même dans sa « Remarque sur la thèse de la deuxième antinomie ». Dans ce texte, il affirme que la preuve de l’existence nécessaire de parties simples est valide seulement pour un tout substantiel comme un compositum réel et propre, subsistant par lui-même. Elle ne s’applique ni à l’espace ni au temps, pas plus qu’aux accidents d’état d’une substance comme, par exemple, le changement. Aucun d’entre eux n’est possible face à l’addition d’éléments simples. Ni l’espace n’est composé de points, ni le temps d’instants. Les points comme les instants, sont seulement des conditions aux limites, dans le sens mathématique du terme. L’espace est, d’abord, un totum, et non un compositum, parce que ses parties seules sont possibles

dans le tout, étant, pour cela, appelé par Kant ‘compositum ideale’. Si dans l’espace la composition est supprimée, il ne reste rien. Les séries formées par l’espace et le temps sont infiniment continues, n’étant pas constituées, ainsi, de parties simples. L’inférence du simple ne concerne, alors, que les choses subsistant par elles-mêmes.

Kant précise ainsi dans cette même remarque que la thèse se réfère au simple, compris comme partie du composé, et non dans le sens des monades de Leibniz, comme ce qui est donné immédiatement comme simple. Cette thèse exclut, donc, l’auto conscience du je pense. On pourrait l’appeler atomistique transcendantale, si le terme ‘atome’ n’était pas traditionnellement lié à l’explication des phénomènes corporels. Pour cela, Kant préfère l’appeler principe dialectique de la monadologie. Ces remarques de Kant sont extrêmement importantes pour le développement de notre travail. Le composé dont traite la thèse est, donc, un composé substantiel, existant par lui même, indépendant des conditions du sujet, et non un composé phénoménal. Ceci est une indication pour que l’on puisse comprendre pourquoi Kant exclut du champ de la connaissance, alors que le champ des phénomènes n’est pas abandonné, les théories sur la composition de la matière. Nous reviendrons sur ce sujet dans la section prochaine de ce chapitre, lorsque nous analyserons les différentes théories relatives à la composition de la matière.

Dans la preuve de l’antithèse, Kant recourt à la Doctrine de l’Espace pour réfuter la thèse, qui fut admise comme vraie, et ainsi prouver que le simple, en tant qu’élément premier du tout, n’existe pas. On admet, initialement, que toute composition de substances, de même que toutes ses parties simples, ne sont possibles que dans l’espace et, alors, doivent toutes occuper un espace. Or, si l’on considère l’espace comme un

totum dont les parties sont possibles seulement dans le tout, chaque espace de l’espace

comprend en soi une multiplicité de parties externes les unes aux autres. L’espace, par conséquent, ne consiste pas en parties simples. A son tour, tout réel qui occupe un espace doit comprendre aussi une multiplicité de parties externes les unes aux autres, car, chaque partie de ce réel, pour aussi élémentaire qu’elle soit, est un composé, ce qui contredit la condition du simple.

Les monadistes, selon Kant, argument contre cette preuve en faveur d’une division infinie de la matière. Ils considèrent au-delà des points mathématiques, qui ne sont pas proprement des parties de l’espace, mais ses conditions limites, l’existence de

points physiques. Ceux-ci, étant simples, s’agrégent les uns aux autres, de manière à remplir tout l’espace, tout en faisant partie de lui. Le problème principal dans cette conception des monadistes est, pour Kant, qu’ils considèrent les corps matériels non comme des phénomènes, mais comme des choses en elles-mêmes. Ils admettent une intuition différente de celle qui est donnée dans l’espace, ce qui, pour Kant, comme il l’a déjà démontré dans l’Esthétique Transcendantale, est impossible. L’espace est la condition de la possibilité de toutes les choses en général et le phénomène, affirme Kant, « comme intuition empirique dans l’espace, implique cette propriété nécessaire qu’aucune partie n’en est simple, parce qu’aucune partie de l’espace n’est simple» (A441/B469 ; Ak III, 305). Pour contourner cette difficulté, les monadistes présupposent une conception de l’espace exactement inverse à celle kantienne : les objets, en tant que choses en elles-mêmes sont la condition de possibilité de l’espace. Si le tout substantiel est simplement pensé par l’entendement, sans être intuité avant par la sensibilité, l’affirmation selon laquelle, avant toute composition, il faut d’abord avoir le simple, est parfaitement valide du point de vue logique, mais ne possède, en revanche, aucune validité objective.

Kant rejette aussi dans la preuve de l’antithèse la condition d’existence de l’absolument simple. Elle ne peut être prouvée à partir d’aucune perception ou expérience, qu’elle soit externe ou interne. Il réaffirme ce qu’il avait déjà développé dans les « Paralogismes de la raison pure » : l’auto-conscience comme un principe méthodologique et non comme une substance en soi. La représentation du je est absolument simple, étant donné que le sujet qui pense est simultanément son propre objet, et, pour cela, il ne peut servir de prédicat à aucune autre représentation. Toutefois, l’auto-conscience n’est autre chose qu’une idée, dont l’existence ne peut être inférée par aucune perception possible. Cependant, affirme Kant, « si ce sujet est envisagé

extérieurement, comme un objet de l’intuition, il manifestera bien pourtant une

composition dans le phénomène » (A443/B471 ; Ak III, 307).

De notre point de vue qui cherche à comprendre la véritable portée de la Dialectique Transcendantale, dans ce qui se rapporte à la connaissance de la science de la nature, nous sommes face à une confusion que nous essayerons d’éclaircir dans la prochaine section de ce chapitre, quand nous tiendrons compte des Premiers principes

l’antithèse, qui affirme que « aucune chose composée, dans le monde, n’est faite de parties simples », Kant a gardé le sens de l’affirmation selon laquelle « aucune partie du phénomène n’est simple ». Ceci signifie que les deux affirmations ne sont pas équivalentes, ce qui paraît, en principe étrange. Ainsi, nous allons examiner avec soin les arguments de Kant dans la démonstration des théorèmes dynamiques des Principes

métaphysiques pour bien comprendre l’extension de l’interdiction kantienne dans le

second conflit de la Dialectique Transcendantale.

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