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Apports et limites des différentes approches dans l’étude des usages des bois et des arbres par les anciens Mayas

2.3 Synthèse des connaissances actuelles sur les usages anciens des ressources ligneuses dans les Basses Terres mayas

2.1.2. Les objets en bois et éléments architecturau

Le principal intérêt de l’étude des objets et des éléments architecturaux en bois conservés en place, réside dans l’accès à une compréhension fonctionnelle et sociale directe de l’usage des bois, contrairement aux charbons de bois ‒ objet brûlé accidentellement ou volontairement réemployé comme combustibles, ou bien simple bois de feu ‒ dont l’origine est rarement discernable. L’étude de ces objets, le plus souvent issus de contextes élitaires (constructions monumentales) ou rituels (cenotes et cavernes), permet ainsi d’accéder à d’autres dimensions de l’économie des bois, touchant davantage à la sphère politique ou religieuse.

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Des découvertes exceptionnelles

Malgré leur rareté extrême par rapport aux autres types de vestiges archéologiques, des collections parfois conséquentes d’objets en bois existent dans la zone maya. On pense notamment à l’ensemble de linteaux en bois sculptés de Tikal (Coe et al., 1961), à l’importante collection d’objets en bois (plus de 300 pièces) issue du Cenote des Sacrifices à Chichén Itzá (Coggins et Ladd, 1992a) et à celle, de moindre envergure (21 pièces), provenant du Cenote Xlacah à Dzibilchaltún (Yucatán) (Taschek, 1994, pp. 124–131). Lieux privilégiés des activités religieuses au moins durant les périodes classique et postclassique, les sites subaquatiques des cenotes sont en effet très favorables à la conservation des objets en bois qui proviennent vraisemblablement des offrandes successives réalisées dans le cadre des rituels. La collection du Cenote des Sacrifices inclut notamment des objets ornementaux ou symboliques tels que des éléments de parure, des effigies et des sceptres, mais également des objets utilitaires tels que des armes et des outils (Coggins et Ladd, 1992a). En dehors de ces ensembles exceptionnels, on trouve dans la littérature plusieurs mentions d’objets ou fragments d’objets en bois découverts ponctuellement sur des sites mayas, comme la pagaie de canoë en bois de Manilkara sp. datant du Classique récent découverte dans le site subaquatique de K’ak’ Naa’b dans le Parc National de Paynes Creek (McKillop, 2005). Les sites souterrains procurent aussi assez souvent des assemblages archéologiques particulièrement bien préservés et sont donc propices à la découverte d’objets en bois. À l’instar des cenotes, les cavernes appartenant au réseau karstique yucatèque ont été intensément occupées par les Mayas au moins depuis le Préclassique pour des activités religieuses et funéraires (McNatt, 1996; Prufer, 2002). On peut citer comme exemples la figurine en bois anthropomorphe découverte à Xmuqlebal Xheton Cave dans les Montagnes Mayas (Prufer et al., 2003), le banc en bois de Dalbergia sp. de la sépulture de Bats’ub Cave (Prufer et Dunham, 2009, p. 306), le coffret et la lance en bois issus de la caverne d’Actun Polbilche (Belize) (Pendergast, 1974, pp. 48, 53), ainsi que le fragment de tambour découvert dans la caverne de Balankanché (Yucatán) (Andrews, 1970; cité par Vail et Hernández, 2012, p. 289).

Conditions de préservation des objets en bois

La préservation des vestiges archéologiques d’origine végétale dans les cavernes est très largement différentielle dans la zone maya, certaines d’entre elles étant présentées comme des sites exceptionnels en termes de conservation, comme Barton Creek Cave (Morehart et al., 2004) ou Actun Polbilche (Pendergast, 1974), alors que d’autres se sont révélées dépourvues de restes organiques. En milieu tropical, la saturation en eau, l’aridité et/ou l’acidité sont les conditions environnementales permettant la conservation des restes végétaux lorsqu’ils ne sont pas carbonisés (contrairement aux ossements humains et aux restes fauniques qui se préservent mieux en milieu basique) (Miksicek, 1987). Ainsi, contrairement aux sites subaquatiques dans lesquels les bois se préservent naturellement par imbibition, les sites souterrains ne présentent pas fondamentalement des conditions optimales à la conservation des vestiges végétaux. Pendergast (1974, p. 11) constate, en effet, que l’hygrométrie dans la caverne d’Actun Polbiche est identique à celle de l’extérieur, et que cet environnement est donc paradoxalement peu propice à la conservation des vestiges organiques. Il est donc vraisemblable que la conservation exceptionnelle des bois et objets en bois dans certains sites soit due à une combinaison de facteurs. L’étude de Shahack-Gross et al. (2004), menée dans des sites souterrains en Israël, a notamment démontré que le guano de chauve-souris contribue à acidifier les sédiments dans les grottes

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calcaires, entraînant la préservation différentielle des vestiges archéologiques organiques en fonction des micro-environnements chimiques formés in situ. Un autre facteur de conservation important est la teneur en oxygène de l’air ambiant : à Bats’ub Cave (Belize), par exemple, la remarquable conservation des vestiges archéobotaniques dans la chambre funéraire a probablement été favorisée par le fait que l’alcôve fut soigneusement scellée, créant ainsi un milieu quasi anaérobie (Prufer et Dunham, 2009, p. 299). S’ajoutant aux conditions micro-environnementales, la composition chimique des restes végétaux contribue aussi certainement à leur préservation différentielle (Miksicek, 1987, p. 218). Certains bois tels que le chicozapote (Manilkara zapota) et le tinto (Haematoxylum

campechianum) sont connus pour leur durabilité extrême et il est probable que cette caractéristique intrinsèque du bois soit due à un facteur chimique. Des éléments architecturaux en bois ont ainsi été préservés en place dans des constructions monumentales, comme dans le temple des Sept Poupées à Dzibilchaltún (Yucatán) et dans le temple de Nohoch Mul à Cobá (Quintana Roo) (Hellmuth, 1989, p. 4), malgré le climat tropical semi-humide du Nord de la plaine yucatèque.

Un champ de recherche lacunaire

Dans la zone maya, ces objets n’ont que rarement donné lieu à une analyse xylologique concluante et seuls quelques rares d’entre eux ont pu être identifiés avec certitude. Par exemple, sur les 300 pièces de bois que contient la collection du Cenote des Sacrifices, seuls les bois de deux idoles ont été identifiés comme du bois de pin (Pinus sp.), et un fragment de bois a été identifié comme une espèce proche du balche (Lonchocarpus sp.) (Coggins et Ladd, 1992a, pp. 337–338). La raison évidente de cette carence est une double contrainte de conservation de l’objet. L’analyse xylologique nécessite obligatoirement le prélèvement d’au moins un centimètre carré de bois ‒ dans le cas idéal où celui-ci serait bien préservé, ce qui est rarement le cas ‒ et impose donc l’altération de l’objet archéologique. S’ajoutant à cette première contrainte, les bois archéologiques conservés par imbibition ou dessication sont généralement difficiles à identifier : soit le fragment de bois prélevé est trop fragile pour supporter les traitements préalables nécessaires à l’analyse ‒ cas du coffret en bois d’Actun Polchilche (Pendergast, 1974, pp. 48–49), soit l’état de conservation des structures cellulaires du bois est insuffisant pour proposer une identification fiable de l’essence ‒ cas de la figurine anthropomorphe de Xmuqlebal Xheton Cave (Prufer et al., 2003, p. 226).

Dans ce contexte, deux études xylologiques font figure d’exception : celle des linteaux des édifices monumentaux de Tikal (Lentz et Hockaday, 2009), conservés par dessication, et celle des bois de construction des sites subaquatiques de Paynes Creek dans le Sud du Belize, deux ensembles datés de l’époque classique (Robinson et McKillop, 2013). À Tikal, Lentz et Hockaday (2009) ont mis en évidence un changement dans l’usage des bois de construction pour les édifices monumentaux. Le remplacement du bois du chicozapote (Manilkara zapota) par du bois de tinto (Haematoxylum

campechianum) dans des constructions successives est interprété comme lié à une période de stress dans l’approvisionnement en bois. Ils proposent que l’emploi préférentiel du bois de chicozapote, arbre à maturation lente, dans les constructions monumentales, avait dû impliquer une gestion forestière rigoureuse de façon à éviter l’épuisement de cette ressource dans l’environnement local. L’étude des ateliers salins de Paynes Creek a également montré des changements dans la sélection des bois de construction entre le Classique ancien et le Classique récent, suggérant une surexploitation des ressources ligneuses locales. Les auteurs interprètent ce phénomène comme la conséquence de

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l’augmentation de la pression économique sur l’industrie du sel, elle-même due à une plus forte pression démographique dans les Basses Terres à la période classique (Robinson et McKillop, 2013).

Ces études ont clairement démontré que l’analyse systématique des objets en bois, lorsqu’elle est possible et si elle est menée dans une perspective archéo-environnementale, peut procurer d’importantes informations sur la sélection, les usages et la gestion des bois, ainsi que sur les variations dans les sources d’approvisionnement. Malheureusement, ce type de vestige est beaucoup trop rare dans la zone maya pour permettre des comparaisons intersites et envisager des modèles socio-écologiques à échelle régionale.