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Application de la méthode anthracologique à une cité maya classique des Basses Terres centrales

3.2. L’étude anthracologique de Naachtun

3.2.2. Étude du corpus anthracologique

Analyses anthracologiques : aspects techniques

L’analyse des charbons archéologiques a été effectuée au laboratoire d’archéobotanique de l’université de Paris 1, situé à la MAE à Nanterre. Elle a débuté en décembre 2012 par l’analyse des charbons prélevés manuellement lors des campagnes antérieures. Elle s’est poursuivie jusqu’en février 2016 par l’analyse de quelques échantillons complémentaires, collectés lors de la campagne 2015 et arrivés à Paris en janvier 2016. Compte tenu du fait que le matériel de référence a été physiquement acquis entre mars 2014 et janvier 2016, les identifications taxonomiques ont longtemps été strictement dépendantes des sources bibliographiques et numériques disponibles. Un protocole systématique de préparation et d’analyse des échantillons (Annexe C-2) a été mis en place de façon à garantir la validité statistique des assemblages anthracologiques et à faciliter le retour aux échantillons au fil de l’acquisition du matériel de référence.

Zone Sud (Groupe 5N6) Complexe Ouest (Patio 6) Complexe Central (Patio 22) Complexe Sud (Patios 28, 31, 32, 34) Phases Balam III - Maax III Maax Maax -Muuch Maax - Muuch Contextes généraux 5 3 - 11

Dépôts scellés non

funéraires 1 - - -

Dépôts funéraires 3 1 2 2

135 Identifications taxonomiques : démarche et limites

L’observation des structures cellulaires de chaque charbon au microscope à réflexion, dans les trois plans d’observation du bois, permet de relever des caractères anatomiques grâce auxquels on identifie des morphotypes, correspondant à différents taxons. Chaque morphotype se définit par un ensemble de caractères diagnostiques. Tous les charbons qui présentent ces caractères sont alors identifiés comme appartenant au même taxon (même si celui-ci n’a pas encore été déterminé). Il arrive que tous les caractères d’un taxon ne puissent pas être observés (mauvais état de conservation des structures cellulaires, surface d’observation réduite), auquel cas le charbon est enregistré en cf. (confer) dudit taxon.

Ces taxons sont ensuite déterminés au niveau de la famille, du genre et parfois de l’espèce, par comparaison avec des descriptions de spécimens modernes qui servent de référentiel (voir 3.1.1). Plusieurs sources ont été utilisées pour les identifications taxonomiques des charbons de Naachtun :

1) la collection de référence des bois des Basses Terres centrales mise en place pour la présente étude ;

2) les collections xylologiques du Musée royal de l’Afrique centrale (Tervuren, Belgique) et de l’Institut de Biologie de l’université nationale autonome du Mexique, consultées lors de séjours sur place ;

3) les sources bibliographiques et numériques suivantes : atlas xylologiques généraux (Jacquiot, 1955; Metcalfe et Chalk, 1957) et régionaux (Barajas-Morales et al., 1997; Barajas-Morales et Gómez, 1989; Détienne et Jacquet, 1983; Roig Juñent et al., 2012), publications spécialisées (Berg et al., 1992; Cassens et Miller, 1981; Cowan et al., 1989; Espinoza de Pernia et Melandri, 2006; Evans et al., 2006; Gasson et al., 2009; Gasson, 1996; Gasson et al., 2004; Hayden et Hayden, 2000; Jansen et al., 2002; Jansen-Jacobs, 2009; Koek-Noonnan et al., 1984a, 1984b, 1984c, Kukachka, 1978a, 1978b, 1981, 1982; Lens et al., 2008; Mennega, 2005; Mitchell et al., 1997; Richter, 1981) et bases de données xylologiques en ligne (“Insidewood,” 2004; Richter et Dallwitz, 2000; Wheeler, 2011).

Deux facteurs limitent considérablement la précision des identifications taxonomiques : la proximité anatomique entre les espèces d’une part, et d’autre part, la variabilité anatomique qui peut exister au sein d’une même espèce (Figure 3.6), largement dépendante des conditions annuelles de croissance de l’arbre. Une proposition d’identification à l’espèce repose soit sur une information biogéographique déterminante (par exemple, Semialarium mexicanum est l’unique espèce du genre

Semialarium en Amérique centrale), soit sur des caractères anatomiques très spécifiques (cas de la Fabacée Mimosa pigra). Une combinaison de ces deux types d’information permet d’identifier une espèce avec certitude, le cas notamment de Gymnopodium floribundum. Certaines identifications sont des propositions qui nécessitent d’être confirmées via l’acquisition de matériel de référence adéquat ; celles-ci sont alors précédée d’un confer (cf.). Il arrive souvent que deux ou plusieurs genres ne puissent pas être discriminés avec certitude. Dans les Basses Terres mayas, les genres de Mimosoidées (sous-famille des Fabacées), de Rubiacées et d’Euphorbiacées peuvent être particulièrement difficiles à discriminer (Cassens et Miller, 1981; Evans et al., 2006; Hayden et Hayden, 2000; Jansen et al., 2002; Mennega, 2005). Dans ce cas, on peut créer un « taxon-valise » qui regroupe les différents genres possibles, ou bien un type (T), noté, par exemple, Rubiaceae T1.

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Malgré ces limites, il a été possible d’identifier, parmi les 8395 charbons analysés au total dans les contextes généraux et dépôts spéciaux, 123 taxons différents appartenant à au moins 33 familles, dont 15 types indéterminés. Seules dix espèces ont pu être identifiées avec certitude : Metopium brownei,

Mosannona depressa, Semialarium mexicanum, Bucida buceras, Piscidia piscipula, Gliricidia sepium,

Myrcianthes fragrans, Alvaradoa amorphoides et Gymnopodium floribundum, seules espèces de ces genres dans les Basses Terres ; et Lysiloma aurita, qui, d’après la collection de bois de référence, présente un ensemble de caractères anatomiques atypique et particulièrement discriminant. Pour 26 autres taxons, il a été possible de proposer une identification à l’espèce avec suffisamment de confiance (notées cf.). Mais l’existence, dans les Basses Terres, d’autres espèces anatomiquement proches, ou au contraire de structure anatomique inconnue (espèces non décrites), empêche pour l’instant de confirmer ces identifications.

Pour l’ensemble des taxons identifiés parmi les charbons archéologiques, la description des caractères anatomiques, la diagnose de l’identification et les photomicrographies des structures cellulaires dans les trois plans anatomiques sont présentées en Annexe E.

Charbons indéterminables

Certains charbons (524 au total, soit 6,2 %, tous types de contextes confondus) ont été classés indéterminables lorsque l’état des structures cellulaires ne permettait pas d’envisager une identification taxonomique. C’est le cas lorsque les charbons sont mal conservés ou particulièrement vitrifiés (Figure 3.7). La vitrification des charbons de bois est un phénomène qui se produit lors de la combustion et qui correspond à la fusion des parois cellulaires, donnant un aspect vitreux au charbon (Scheel-Ybert, 1998; Théry-Parisot, 2001). La ou les causes de ce phénomène sont incertaines, mais d’après l’étude expérimentale de McParland et al. (2010), la vitrification n’est corrélée ni à de hautes températures de combustion, ni à la combustion de bois vert ou de bois résineux. Quoi qu’il en soit, lorsque le degré de vitrification est trop important, les structures cellulaires deviennent indiscernables. D’autres facteurs limitent les possibilités d’identification, notamment lorsqu’on se trouve en présence de bois juvénile (proche de la moelle centrale) où les structures cellulaires immatures ne présentent pas encore leurs caractères définitifs, d’un nœud (départ de branche) où les structures, sont, à l’inverse, déformées, ou bien d’un fragment d’écorce, partie du bois non identifiable en l’état actuel des connaissances. Les charbons indéterminables sont comptés mais ne sont pas inclus dans les analyses, afin de ne pas risquer d’introduire un biais de représentation dû aux variations de leurs proportions entre les différents assemblages.

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Figure 3.6 Variabilité intra-individuelle du bois. Photomicrographies en plan transversal (x50) de Lysiloma aurita (collection de référence, site de Naachtun) en deux endroits différents du même échantillon.

Figure 3.7 Charbon vitrifié en plan transversal (x50).

Validité statistique de l’analyse

L’analyse a porté sur les seuls charbons de taille supérieure à 4 mm (séparés par tamisage à sec des échantillons anthracologiques en laboratoire). Cette méthode est la plus efficace à double titre. Du point de vue de l’identification taxonomique des essences, qui nécessite une surface de bois suffisante pour l’observation des caractères anatomiques, l’analyse des petits charbons (fraction comprise entre 2 et 4 mm, voire inférieure à 2 mm) entraîne un risque de sur-représentation de certaines essences faciles à identifier, par rapport aux essences inconnues ou difficiles à discriminer. Ce risque est d’autant plus élevé dans les milieux tropicaux où la richesse floristique est importante. D’un point de vue statistique, la loi de fragmentation des charbons implique que l’analyse quantitative est plus cohérente lorsque la même fraction est analysée pour l’ensemble des échantillons (Chabal et al., 1999, p. 74; Théry-Parisot et al., 2010a), la fraction > 4 mm étant celle qui présente le moins de variabilité dans les taux de

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fragmentation entre essences (Chrzazvez et al., 2014). Compte tenu de la pauvreté relative de la plupart des échantillons, tous les fragments de la fraction > 4 mm ont été systématiquement analysés. Les échantillons particulièrement riches en charbons peuvent néanmoins faire l’objet d’un sous- échantillonnage aléatoire. Le sous-échantillonnage consiste à diviser l’échantillon initial en parts égales ‒ demis, quarts, huitièmes ou seizièmes ‒ grâce à un diviseur à rifle. L’analyse d’un premier sous-échantillon permet d’évaluer la richesse taxonomique de l’échantillon initial et de déterminer si l’analyse de sous-échantillons supplémentaires est nécessaire. Cette méthode est particulièrement efficace et pertinente dans le cas d’importantes concentrations cendreuses résultant de feux in situ, qui présentent souvent un grand nombre de charbons pour une richesse taxonomique faible. Le sous- échantillonnage aléatoire permet alors de comprendre rapidement le dépôt sans avoir à analyser la totalité de l’échantillon, tout en garantissant la validité statistique de l’analyse.

Traitement des macrorestes organiques non ligneux

Les carporestes et autres macrorestes organiques carbonisés (on n’évoquera pas ici les vestiges osseux) que l’on retrouve régulièrement dispersés dans les sédiments archéologiques sont, en grande majorité, les vestiges d’activités liées à la préparation et à la consommation des aliments. D’une manière générale, les contextes archéologiques généraux de Naachtun se sont révélés pauvres en macrorestes non ligneux. En revanche, plusieurs dépôts spéciaux comportaient de grandes quantités de ces restes, en particulier des restes de grains et cupules de maïs (Zea sp.) dans certains dépôts exposés et dépôts funéraires. Deux dépôts scellés comportaient d’importantes quantités de matière organique carbonisée (MOC) non identifiée, qui pourrait correspondre aux restes brûlés d’une préparation alimentaire. Et des échantillons de ce qui semble être de la résine carbonisée (Vieugué, com. pers.), possiblement les restes d’encens, ont été prélevés dans deux dépôts exposés (voir Chapitre 7). Ces restes ne peuvent pas être considérés comme résultant de cas fortuits de combustion accidentelle. Selon toute vraisemblance, ils résultent, au contraire, de la combustion volontaire de matériels organiques végétaux. Composante à part entière de la pratique du rituel, on peut supposer qu’il existe un lien entre ces vestiges et les essences de bois brûlées. Cette hypothèse a encouragé leur enregistrement systématique. Toutefois, l’étude des carporestes n’étant pas l’objet de cette recherche, cet enregistrement s’est limité à la pesée ou au comptage du nombre de restes selon six catégories (Tableau 3.6). Nous n’avons pas poussé l’enregistrement jusqu’à l’estimation du nombre minimum d’individus (NIM), notion qui relève de l’analyse carpologique à proprement parler. En dehors du maïs (Zea sp.), il a été possible de proposer une identification pour certains carporestes, notamment grâce à l’atlas de référence de Lentz et Dickau (2005). Dans ce cas l’identification possible a été précisée au moment de l’enregistrement.

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Tableau 3.6 Catégories d’enregistrement des macrorestes organiques non ligneux et mode de quantification.

Traitement et analyse des données

La démarche de présentation et d’analyse des données anthracologiques comprend plusieurs étapes : Pour les contextes généraux

• Présentation individuelle des spectres anthracologiques des contextes généraux, rassemblés par phase chronologique.

• Analyses multivariées à partir des taxons ou groupes de taxons significatifs d’après leur valeur d’importance relative (IR, voir 3.1.3).

• Construction du diagramme anthracologique synthétique, représentant l’évolution diachronique des taxons ou groupes de taxons significatifs.

Pour les dépôts spéciaux

• Présentation individuelle de la composition de chaque dépôt sous forme de diagrammes en secteur spatialisés.

• Reconstitution des processus de formation de chaque dépôt par l’analyse intra- et inter-dépôt de la composition taxonomique et de la densité de macrorestes (g/L).

L’annexe F présente l’ensemble des résultats détaillés (tableaux de comptages et analyses). Représentations graphiques

• Spectres anthracologiques par phase. On s’attachera en tout premier lieu à présenter, pour chaque phase, la composition des spectres anthracologiques, ou spectres de fréquence, des contextes généraux. Le spectre de fréquence correspond aux proportions des charbons par taxon, par rapport au nombre total de charbons identifiables dans l’échantillon. Lorsqu’un échantillon comprend moins de 30 charbons identifiables, on indiquera uniquement la présence/absence des taxons. Le nombre de charbons indéterminables sera systématiquement indiqué pour chaque contexte général, mais ces charbons sont exclus de toute analyse. L’annexe F-1 présente les résultats détaillés (comptage et pesée) pour chaque échantillon.

La mise en regard de tous les spectres anthracologiques d’une même phase permet 1) d’évaluer leur cohérence à l’échelle du site, condition essentielle à la validation des interprétations archéo- environnementales, 2) d’identifier les éventuelles anomalies qui peuvent être dues à des événements ponctuels ou localisés, 3) de visualiser l’ubiquité des taxons, afin de mieux apprécier la fréquence de leur usage. Ce mode de représentation vise finalement à faire ressortir les types de boisement les plus

Type de reste Enregistrement

Maïs - grain Nombre de grains complets (> 50% conservé) + nombre de fragments (< 50 %) Maïs - cupule Nombre de cupules complètes (> 50% conservé)

Autres carporestes Nombre de fragments Fibres végétales Masse (g)

MOC Masse (g) Résine Présence/Absence

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probablement exploités lors de chaque sous-phase, ce pourquoi les taxons sont ordonnés en fonction de leurs associations possibles aux différentes formations végétales (voir plus avant). Dans cette optique, on indiquera également, pour chaque phase, les occurrences supplémentaires (OS) de taxons apparus uniquement dans les prélèvements manuels associés aux contextes généraux ou bien dans les dépôts spéciaux datés de cette même phase. Bien que les essences utilisées dans les pratiques rituelles à l’origine des dépôts spéciaux aient pu faire l’objet d’une sélection particulière, ces taxons n’en sont pas moins l’image des essences utilisées sur le site. Leur prise en compte vise ainsi à mieux caractériser les formations végétales représentées dans chaque phase, en termes de présence/absence des taxons (voir plus avant). En aucun cas, ces occurrences supplémentaires ne sont incluses dans les proportions relatives des taxons ou dans le calcul de leur ubiquité.

Chronologie relative intra-phase

L’agencement des spectres anthracologiques au sein d’une même phase respectera, dans la mesure du possible, la chronologie relative interne, telle que mise en évidence par la stratigraphie ou le contexte archéologique global. Par exemple, l’analyse de la séquence d’occupation dans les unités résidentielles du Complexe Sud par J. Sion (2016) a permis d’établir l’ordre de formation des dépotoirs domestiques. En l’absence de stratigraphie directe, les remblais sont considérés comme plus anciens par rapport aux niveaux d’occupation et aux dépotoirs d’une même phase. Cette chronologie relative sera explicitée au Chapitre 4.

• Diagramme anthracologique synthétique. Le regroupement des échantillons anthracologiques de tous les contextes généraux appartenant à une même phase (dont l’assemblage correspond à la somme de tous les échantillons), elles-mêmes rassemblées dans un diagramme anthracologique, permettra de visualiser l’évolution des taxons ou groupes de taxons significatifs (voir plus avant) au cours du temps. Les proportions des taxons sont calculées à partir du nombre total de charbons identifiés dans chaque assemblage (excluant les charbons indéterminables et ceux des types indéterminés). Les taxons y sont ordonnés par seriation chronologique (Desachy, 2004) (Annexe F-2).

• Diagrammes en secteurs spatialisés pour les dépôts spéciaux. La composition taxonomique des échantillons anthracologiques issus des dépôts spéciaux est présentée sous forme de diagrammes en secteurs. Lorsque plusieurs échantillons ont été prélevés dans un même dépôt, ceux-ci sont représentés séparément, pour permettre de visualiser les variations internes à chaque dépôt, ou au contraire leur homogénéité. La présence d’autres macrorestes (graines, fibres ligneuses, matière organique carbonisée et résine) dans ces dépôts n’est pas représentée graphiquement, puisque leur mode de quantification se situe sur une échelle de valeur différente de celle des charbons.

Analyse multivariées

À Naachtun, les dynamiques de l’occupation ‒ qui ont, en partie, conditionné la répartition du corpus anthracologique à travers le site ‒, impliquent de s’interroger sur la signifiance de l’évolution des taxons entre les phases. Les variations observées traduisent-elles réellement des changements dans l’usage des combustibles au cours du temps (conséquence de changements environnementaux ou de phénomènes socio-culturels), ou bien s’expliquent-elles par d’autres facteurs, tels que des différences spatiales ou sociales dans l’accès aux ressources ? Pour répondre à ces questions, les analyses statistiques effectuées à partir des données anthracologiques issues des contextes généraux, avaient

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pour objectif 1) d’identifier les variables (temporelle, spatiale) signifiantes dans la distribution des taxons à Naachtun et 2) d’identifier les taxons et associations de taxons significatifs de cette distribution. Cela pour arriver à la formulation d’hypothèses fiables. Elles ont consisté en une analyse factorielle des correspondances (AFC) suivie d’une classification ascendante hiérarchique (CAH) (Annexe F-3). La préparation des données sera présentée en détail au Chapitre 6.1.3. Mais on peut déjà préciser que ces analyses se sont heurtées à un problème majeur : celui de la multiplicité des variables en sous-effectif, autrement dit, au très grand nombre de taxons rares (près de 70 % des taxons). Or, les AFC s’accommodent très mal de ces effectifs faibles et des « cases vides », qui n’ont aucun poids statistique et contribuent à masquer les structures en créant du bruit (Smith, 2015, p. 189). On a donc procédé à des regroupements de taxons cohérents d’un point de vue écologique et retenu pour les analyses statistiques les seuls taxons et groupes de taxons ayant un poids statistique suffisant, d’après leur valeur d’importance relative (IR, voir 3.1.3).

Analyse des dépôts spéciaux

L’objectif de l’analyse des dépôts spéciaux est de proposer une restitution de leurs processus de formation afin de reconstituer les gestes humains qui en sont à l’origine et, ainsi, mieux comprendre les comportements rituels. Dans cette perspective, on cherche à déterminer l’origine des cendres et charbons de bois présents dans ces dépôts : restes d’une combustion in situ ou bien volontairement placés dans un espace autre que leur lieu de production ? restes de feux particuliers ou déchets domestiques réutilisés ? Pour répondre à ces questions, on analysera, au cas par cas, la composition taxonomique et la densité de macrorestes (g/L). On raisonnera selon deux échelles d’analyse, en tenant compte, d’une part, des variations internes au sein du même dépôt lorsqu’un échantillonnage spatialisé y a été effectué et, d’autre part, de la composition taxonomique des autres dépôts du même secteur. On prendra pour référentiel les assemblages anthracologiques et la densité de macrorestes dans les contextes généraux.

Principe interprétatif : de la caractérisation des formations végétales dans les assemblages anthracologiques

Si l’identification taxonomique des charbons est sans aucun doute l’une des difficultés majeures de l’anthracologie en milieu tropical, la caractérisation des formations végétales représentées dans les spectres, base des interprétations archéo-environnementales, en est le point critique.

L’interprétation des données anthracologiques se fonde sur une démarche hypothético-déductive, partant du principe actualiste que les exigences écologiques des espèces végétales actuelles sont les mêmes que celles des flores du passé. On utilise donc comme référentiel les données écologiques et biogéographiques actuelles (présence d’une espèce dans une aire géographique ou un milieu actuel) ainsi que la composition des formations végétales modernes, pour déduire des spectres anthracologiques les types de boisements les plus probablement exploités dans le passé (Chabal et al., 1999, p. 80). Cela suppose 1) de disposer d’études botaniques et écologiques approfondies pour la région d’étude, et 2) d’évaluer le degré de stabilité de la végétation pour la période concernée via le recours aux données paléoécologiques et paléoclimatiques (Smart et Hoffman, 1988, pp. 186–188).

Il a déjà été fait état des nombreuses études botaniques et écologiques dont ont fait l’objet les forêts des Basses Terres (voir Chapitre 1.1). Elles constituent un solide référentiel pour l’analyse et

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l’interprétation des données anthracologiques. S’agissant des variations de la végétation, les données paléoécologiques et paléoclimatiques disponibles montrent que, depuis la fin du Pléistocène et l’expansion initiale de la forêt tropicale humide, l’Holocène récent a été une période de relative instabilité. Le couvert végétal a subi de nombreuses perturbations, notamment en raison du facteur anthropique, en termes d’emprise/déprise des formations arborées et herbacées les unes par rapport aux autres. Le climat a également connu d’importantes fluctuations, avec des périodes plus sèches au cours du Préclassique et du Classique (indépendamment des épisodes ponctuels de sécheresse intense), et un retour à des conditions plus humides vers la fin du premier millénaire. Par conséquent, on peut s’attendre à ce que la distribution spatiale des espèces et leur abondance relative dans les forêts n’aient pas été stables au cours du temps. En effet, lorsque l’on considère l’évolution des associations végétales décrites dans la Réserve de Biosphère de Calakmul ne serait-ce qu’au cours des cinquante dernières années (Martínez et Galindo Leal, 2002, pp. 25–26), on ne peut que constater à quel point les