• Aucun résultat trouvé

Dynamiques socio-environnementales dans les Basses Terres mayas à travers les âges

B) Parc National de Tikal

1.2.1. Les espaces agroforestiers

Le cycle de la milpa et la favorisation des arbres utiles

Atran (1993, p. 634) définit l’agroforesterie traditionnelle des Itzas comme un « régime multi-habitat qui entretient indéfiniment la biodiversité de la forêt au bénéfice de ses gardiens ». Le cycle agro- sylvicole de la milpa est une combinaison entre kol, la milpa ou espace de polyculture (Figure 1.12), päk’-al, la jachère ou espace en régénération (dite aussi acahual, terme dérivé du nahualt), et ka’ax, la forêt ou espace non cultivé. Dans ces trois types d’espace qui alternent de façon rotative au fil des années, la culture de nombreux cultigènes (maïs, haricots, courges, coton, plantain, bananes, tomates, piments, tubercules, etc.) combinée à l’arboriculture d’espèces fruitières et à la régénération forestière, permet d’assurer la disponibilité durable d’une grande variété de ressources végétales et animales. La milpa est une parcelle souvent assez petite préparée par abattis-brûlis pouvant produire jusqu’à trois

43

récoltes par an. Elle est cultivée généralement durant deux années consécutives puis laissée en jachère, quatre à sept ans chez les Itzas, 15 ans au minimum dans certaines communautés yucatèques (Sanabria, 1986). C’est le cycle de la milpa qui détermine l’organisation familiale du travail, les périodes de vente et d’achat des produits agricoles, le calendrier des cérémonies religieuses et l’alimentation de l’unité familiale.

Lors du défrichement de la future milpa, certains arbres considérés comme les plus utiles sont épargnés. Les espèces protégées en priorité par les Itzas sont la pimienta (Pimenta dioica), le sunsapote (Licania platypus), le chicozapote (Manilkara zapota), le cuajilote (Parmentiera edulis), le ramón (Brosimum alicastrum), les arbres à résines comme le copal (Protium copal) et le naba’ (Myroxylon

balsamum), ainsi que le yaxche (Ceiba pentandra) qui revêt un caractère sacré. Le ramón est considéré par les Itzas comme une source de nourriture de substitution en cas de mauvaise récolte de maïs (Atran et al., 1993, p. 684). Mais son intérêt principal réside en ce qu’il attire les animaux sauvages qui se nourrissent de ses fruits et de ses feuilles, et qui peuvent ensuite être chassés pour l’alimentation humaine (Atran et al., 1993, p. 684; Roys, 1931, p. 272; Sanabria, 1986; Standley et Steyermark, 1946a, p. 14). Le feuillage du ramón est également récolté pour servir de fourrage aux animaux domestiques, en particulier lors de la saison sèche où les autres sources d’alimentation animale deviennent rares. D’après Puleston (1968, p. 86), le ramón a été un élément essentiel, bien qu’indirect, de l’industrie du chicle dans le Nord du Petén car il servait à nourrir les chevaux et les mulets. D’autres arbres sont entretenus pour la coupe sélective de bois d’œuvre. En dehors du cèdre espagnol et de l’acajou déjà mentionnés plus haut, c’est le cas de l’amapola (Pseudobombax ellipticum), du guanacaste (Enterolobium cyclocarpum) et du santamaria (Calophyllum brasiliense). Des bois denses sont également prisés et entretenus comme le tinto (Haematoxylum campechianum), le chaltecoc (Caesalpinia velutina), le yaxnic (Vitex gaumeri), le manax (Pseudolmedia spp.), le guapinol (Hymenaea

courbaril), le toxoc (Caesalpinia vesicaria), le madre cacao (Gliricidia sepium), le machiche (Lonchocarpus castilloi), le habín (Pisicidia piscipula) et le jobillo (Astronium graveolens). Diverses espèces de palmier, comme le cocoyol (Acrocomia aculeata), le corozo (Attalea cohune), le guano (Sabal spp.) ou l’escoba (Cryosophila stauracantha), ont également de nombreuses utilisations : le cœur, les fruits, l’huile et les fleurs de plusieurs espèces sont comestibles, le stipe est employé comme poteau dans la construction, les feuilles servent à la confection des toitures et les fibres sont utilisées dans l’artisanat et la vannerie (McKillop, 1994). Par ailleurs, le maintien des légumineuses (Fabacées) telles que le toxoc ou le madre cacao à proximité des arbres fruitiers aide à fixer l’azote dans les sols et permet leur culture plus intensive dans les jardins forestiers. Une des pratiques de conservation de ressources végétales consiste à utiliser des ressources de substitution afin d’éviter le recours intensif à certaines espèces pour des usages simultanés et donc concurrents. Par exemple, le madre cacao, le toxoc et le ramón sont alternativement utilisés pour leur feuillage (fourrage animaux) et pour leur bois (Atran et al., 1993, p. 686). Dans la milpa en régénération, les agriculteurs itzas plantent également des arbres fruitiers ou ornementaux comme l’avocatier (Persea americana), le nance (Byrsonima

crassifolia), le capulín (Prunus capuli), le siricote (Cordia dodecandra), les anones (Annona reticulata, A.

squamosa), les agrumes (Citrus spp.), le caimito (Chrysophylum mexicanum), le goyavier (Psidium

guavaya) et l’achiote (Bixa orellana). Ces zones en régénération sont particulièrement propices à la chasse puisque l’abondance des jeunes arbres, jeunes pousses et arbres fruitiers attirent les animaux

Feux et forêts mayas

44

sauvages. Elles sont également mises à profit pour la collecte des matériaux de construction, des combustibles et du fourrage pour les animaux domestiques.

Figure 1.12 Milpa active à gauche et jachère récente à droite. Sud du village de Uaxactún (Petén, Guatemala).

Le rôle économique et écologique des zones boisées

Dans le système maya traditionnel, des espaces de forêt sont maintenus à proximité immédiate des milpas. Dans les communautés yucatèques des Basses Terres septentrionales, les t’olche’ (Figure 1.13), littéralement des « bandes visibles d’arbres », ont un rôle économique et écologique fondamental. Il s’agit de ceintures forestières de 10 à 20 m de large enclavant les milpas, indiquant une frontière et ayant un statut protégé. Elles se caractérisent par une gestion globale de la végétation, et non individuelle (contrairement à la favorisation de certaines espèces particulières dans les jachères), dans l’optique de créer des zones multi-usages (Remmers et Koeijer, 1992, p. 156). L’utilité du t’olche’ est multiple. Il a un rôle social en tant que marqueur des limites des milpas. Il sert de chemin ombragé. Il constitue la base pour l’aménagement des clôtures naturelles (cerca viva), nécessaires pour empêcher le bétail de s’aventurer à l’intérieur des cultures. Il agit comme coupe-feu entre les milpas, ce qui permet aux agriculteurs de procéder au brûlis indépendamment les uns des autres. Il participe au maintien d’une hygrométrie élevée de l’air ambiant en réduisant l’évapotranspiration des sols (ce rôle est attribué à l’ensemble de la forêt). Il prévient l’érosion due au vent et maintient les cendres du brûlis qui fertilisent la terre. Il protège les cultures des ouragans. Les t’olche’ sont perçus comme des zones sauvages, c’est pourquoi ils ne font généralement l’objet d’aucune manipulation autre que l’entretien du chemin central.

45

Figure 1.13 Schéma du t’olche’ en coupe. Modifié d'après Remmers et Koeijer, 1992.

D’un point de vue écologique, ces zones boisées sont un facteur primordial de la régénération de la jachère après les deux ou trois années de culture de la milpa. Dans un milieu ouvert, la végétation se régénère selon trois potentiels floristiques : à partir de la banque de graines latentes qui se trouve dans les sols (potentiel séminal édaphique), à partir des diaspores venant de l’extérieur (potentiel séminal advectif) et à partir des individus ayant survécu dans la milpa (arbres sur pied ou souches) ou du développement des espèces issues des zones boisées adjacentes (potentiel végétatif) (Puig, 2001, pp. 261–262). Ce dernier potentiel de régénération est très largement encouragé par la proximité des t’olche’. De plus, les t’olche’ n’étant jamais défrichés, ils permettent le maintien d’espèces végétales à maturation lente, contrairement aux zones de jachère, dans lesquelles seules les espèces à croissance rapide se régénèrent. Par exemple, la croissance du ramón et du chicozapote est d’une cinquantaine d’années en moyenne pour atteindre la canopée, alors que l’acajou et le cèdre espagnol nécessitent plus de 50 ans de maturation pour atteindre un diamètre de 70 cm, minimum autorisé dans le Petén pour la coupe et l’usage de leur bois comme matériau de construction. Le réseau forestier formé par les t’olche’ permet aussi la circulation des animaux en évitant leur enclavement. Ces espaces constituent donc de véritables niches écologiques pour de nombreuses espèces végétales et animales. C’est également dans ces espaces forestiers que l’on trouve de nombreuses espèces d’arbres, d’arbustes, de lianes, de tubercules et d’herbes non cultivés mais régulièrement collectés pour l’alimentation et la médecine traditionnelle.

Feux et forêts mayas

46

Les solares : source de plantes alimentaires et médicinales

Les solares (päk’al-jol-naj en Itza), ou huerta (Figure 1.14), sont des jardins domestiques entretenus en général à proximité immédiate des habitations, dans lesquels la production végétale intensive est destinée à la consommation familiale. La préparation du solar se fait par abattis-brûlis. Les arbres utiles comme le ramón sont épargnés, une ceinture de végétation étant parfois maintenue à leur entour pour les protéger du feu. D’autres arbres sont ensuite plantés, particulièrement des fruitiers comme les anones, le nance, le siricote, le papayer (Jacartia mexicana), le bananier (Musa sp.), le goyavier, le jocote, le ciruelo, le guaya (Melicoccus oliviformis) et le tamarinier (Tamarindus indica), ainsi que des arbres ornementaux tels que le cojón (Tabernaemontana donell-smithii) et la flor de mayo (Plumeria

spp.). C’est également dans les solares que sont cultivées les tubercules comme le taro (Xanthosoma

spp.), la patate douce (Ipomoea batatas) et le manioc (Manihot esculenta), et d’autres plantes alimentaires et médicinales telles que l’aloe (Aloe vera), la moutarde (Brassica campestris), le nopal (Nopalea sp.), l’apazote (Chenopodium ambrosioides) et le chipilín (Crotalaria longirostrata).