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Apports et limites des différentes approches dans l’étude des usages des bois et des arbres par les anciens Mayas

2.3 Synthèse des connaissances actuelles sur les usages anciens des ressources ligneuses dans les Basses Terres mayas

2.2.1. Archives paléoenvironnementales et macrorestes végétaux non ligneu

Palynologie et signal incendie : l’apport de la paléolimnologie

La paléolimnologie est indissociable des reconstructions paléoenvironnementales et en ce sens, elle représente un complément indispensable aux données anthracologiques pour reconstituer l’évolution des forêts à long terme. La paléolimnologie met en regard les données palynologiques, sédimentologiques, malacologiques, géochimiques et le signal incendie afin de reconstituer l’histoire des paysages lacustres et circumlacustres en fonction des facteurs climatiques et anthropiques. Les lacs, lagunes et zones humides en général ont un double avantage : d’une part, ils constituent des zones clés dans les stratégies de subsistance des sociétés humaines, pour l’approvisionnement en eau et l’agriculture principalement ; d’autre part, ils enregistrent et conservent les traces de l’ensemble des perturbations ou changements environnementaux, tels que les défrichements qui entraînent l’érosion des sols, l’agriculture, les feux de forêt ou encore les variations dans le régime des précipitations et les sécheresses. Les pollens, en particulier, se préservent d’autant mieux en contexte lacustre et argileux. La palynologie est la seule discipline qui permet de mettre en évidence l’évolution des grands types de végétation - arborée, herbacée, lacustre - les uns par rapport aux autres et sur des séquences de temps longues. La connaissance des dynamiques de production et de dispersion des pollens de chaque essence permet également l’analyse multiscalaire des données palynologiques. C’est notamment grâce à l’analyse conjointe des pollens et du signal incendie, marqué par les variations de densité des micro- charbons, qu’il est possible d’examiner le rapport entre les variations climatiques, les changements de végétation, l’histoire des feux et les activités anthropiques à long terme.

Dans les Basses Terres mayas, les premières études paléolimnologiques ont été réalisées dans les années 1960 (Cowgill, 1966; Tsukada et Cowgill, 1966; Tsukada et Deevey, 1967). Les reconstructions paléoenvironnementales et paléoclimatiques à partir de carottes lacustres se sont ensuite multipliées à partir des années 1970-1980 (Anderson et Wahl, 2016; Beach et al., 2009; Curtis et al., 1998; Deevey et al., 1979; Fleury et al., 2015; Islebe et al., 1996; Leyden, 1984; Rice, 1996; Rushton et al., 2012; Wahl et al., 2013, pour n’en citer que quelques unes). Confrontées aux données archéologiques et paléo-démographiques, ainsi qu’à la présence de pollens de maïs (Zea sp.), les variations de la végétation visibles dans les enregistrements polliniques ont été interprétées comme le signal d’une forte anthropisation du milieu durant toute la période de l’occupation maya. Plusieurs chercheurs ont imputé à ces changements environnementaux l’abandon des cités à la fin du Préclassique puis au Classique récent et terminal (e.g Abrams et Rue, 1988; Hansen, 1995; Hansen et al., 2002; Jacob et Hallmark, 1996; Jones, 1994). La raréfaction des ressources, induite par le recul de la forêt, l’érosion des sols et l’envasement des marais, auraient entraîné d’importants déséquilibres dans l’économie de subsistance, qui auraient contraint les populations à migrer. Mais des études récentes tendent à remettre en question ce modèle, ou du moins son caractère généralisé. Afin de reconstituer l’histoire des forêts autour du site de Copán (Honduras) à la période classique, McNeil interprète l’enregistrement pollinique et le signal incendie issus de la lagune de Petapilla en fonction de l’histoire socio-politique de la cité (McNeil, 2012; McNeil et al., 2010). Cette étude croisée lui a

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permis de démontrer que le couvert forestier était plus important au Classique récent qu’au Classique ancien, et donc de réfuter l’hypothèse d’Abrams et Rue (1988) selon laquelle une déforestation massive aurait été une cause majeure de l’abandon de la cité au IXe siècle. De même, l’étude du signal incendie dans deux zones humides proches d’El Mirador par Anderson et Wahl (2016) a démontré que le pic architectural d’El Mirador à la fin du Préclassique n’est pas corrélé à des événements de feux intenses dans la région. Cette étude remet ainsi en question l’hypothèse selon laquelle l’augmentation des besoins en chaux due à l’essor architectural de la cité à cette période aurait entraîné une déforestation massive (Hansen, 1995; Hansen et al., 2002). Les résultats suggèrent, à l’inverse, que les Mayas avaient mis en place une technique très efficace de combustion des roches calcaires, nécessaire à la production de la chaux, qui aurait nécessité moins de combustibles (Anderson et Wahl, 2016).

Pourtant, la pertinence de la palynologie dans les reconstructions paléoenvironnementales et paléoclimatiques dans l’aire maya a souvent été remise en question (Bhattacharya et al., 2011). Les chercheurs ont souligné le fait que les interprétations paléoclimatiques des spectres polliniques étaient biaisées à partir de 3500 BP, lorsque les premiers établissements humains ont commencé à entraîner d’importants changements environnementaux (Brenner et al., 2002; Hodell et al., 1995; Rosenmeier et al., 2016). En effet, il est difficile de déterminer à partir des seules données palynologiques si l’expansion des savanes et la déprise des forêts sont dues à des conditions climatiques plus sèches ou bien aux défrichements anthropiques. C’est pourquoi les études paléolimnologiques à visée climatique intègrent désormais systématiquement l’étude des marqueurs géochimiques tels que les carbonates et les isotopes stables. Mais surtout, la principale limite de la palynologie dans l’aire maya, et d’une façon générale en milieu tropical, réside dans le fait que la quasi-totalité des espèces arborées ‒ 98 % des angiospermes selon Bawa (1990) ‒ est pollinisée par la faune et non par le vent (Turner, 2001, p. 130). Par conséquent, seul un nombre restreint de taxons se retrouve dans les enregistrements polliniques, ne procurant qu’une image très partielle de la végétation. Les modèles palynologiques se sont donc fondés sur des extrapolations faites à partir de l’évolution de ces seuls taxons, considérés comme représentatifs des grands ensembles de végétation (Douglas et al., 2016; Ford, 2008). Les marqueurs des forêts hautes sont les pollens arborés des urticales (Moracées/Cannabacées), tels que

Brosimum alicastrum (ramón), Ficus sp., Tremasp. et Celtis sp., et du groupe Mélastomatacées/ Combrétacées (Bhattacharya et al., 2011; e.g Wahl et al., 2006, p. 385). Les Moracées comptent effectivement parmi les espèces dominantes des forêts actuelles des Basses Terres et représentent probablement de façon pertinente les phénomènes d’emprise-déprise des forêts. En revanche, le caractère informatif des pollens de Mélastomatacées et de Combrétacées semble plus limité, dans la mesure où il s’agit de deux familles non dominantes actuellement dans les forêts des Basses Terres, au sein desquelles les pollens ne peuvent que rarement être discriminés au niveau de la famille (Saad, com. pers.) et qui comptent des centaines d’espèces différentes aux écologies extrêmement variées (Rushton et al., 2012). Par exemple, la Mélastomatacée Miconia laevigata (syn. M. ambigua) est une espèce hygrophile des forêts hautes pérennes, de même que la Combrétacée Bucida buceras, que l’on trouve à proximité des zones humides. En revanche, l’espèce Miconia albicans est caractéristique des sols pauvres des savanes. Toutefois, l’étude des pluies polliniques actuelles dans le Nord du Belize par Bhattacharya et al. (2011) semble indiquer que le groupe Melastomatacées/Combretacées pourrait constituer une bonne signature de conditions environnementales plus humides, telles qu’on les trouve dans les forêts riveraines.

Feux et forêts mayas

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Les taxons arborés sont comparés aux espèces héliophiles telles que Cecropia sp. (guarumo) et

Mimosa sp., espèces pionnières indicatrices des milieux perturbés ou en régénération. L’ouverture du milieu est aussi marquée par l’augmentation des pollens herbacés des graminées et des Astéracées (composées). Parmi eux, les pollens de Zea sp. (maïs) et Ambrosia sp. (armoise), plante adventice du maïs, traduisent la présence de cultures humaines dans le paysage local. Les taxons aquatiques des Cypéracées (joncs) et des Nymphéacées (nénuphars), en tant que marqueurs de l’état des lacs (eaux profondes ou marécages saisonniers), permettent de distinguer l’origine des pollens herbacés selon qu’ils leurs sont corrélés ou non (herbes annuelles dans les marais ou véritables savanes sur les zones hautes) et donc de mieux interpréter leur signification dans le spectre pollinique (Wahl et al., 2013, p. 26). Enfin, les pollens de pin (Pinus sp.) et de chêne (Quercus sp.), qui peuvent voyager sur de longues distances (jusqu’à 500 km pour les pollens de pin) sont considérés comme des indicateurs de l’ouverture du milieu à l'échelle régionale. D’après Bhattacharya et al. (2011), l’association entre les pollens de pin, de chêne et de Byrsonima sp. (nance) est un fort indicateur des savanes dans les enregistrements polliniques actuels.

Dans les spectres polliniques des Basses Terres, il semble que seuls les pollens de pin et de chêne puissent constituer un signal régional. Les autres taxons sur lesquels se fondent les reconstructions paléoenvironnementales ne procurent souvent qu’une image locale de la végétation. De façon caractéristique, les pollens de Zea sp. (maïs), considérés comme les marqueurs de l’anthropisation du milieu dans toute la Mésoamérique, disparaissent presque complètement à 1 km de la source (Jarosz, 2003; Rushton et al., 2012, p. 490). Une proportion importante de pollens de maïs dans une carotte sédimentaire ne traduit, en réalité, que l’état du paysage dans les collines immédiatement adjacentes à la zone humide d’où provient l’échantillon. Elle ne reflète donc pas l’état de la végétation à l'échelle régionale, contrairement à ce qui a souvent été considéré de façon trop simple.

Vestiges archéobotaniques non ligneux

Mais l’étude des pollens ne se résume pas à la paléolimnologie. Plusieurs études palynologiques en contexte archéologique ont mis en évidence des pollens d’arbres généralement absents ou très peu représentés dans les enregistrements polliniques lacustres, comme le chicozapote (Manilkara sp.), l’avocatier (Persea sp.), le caimito (Chrysophyllum sp.), le calebassier (Crescentia sp.), le papayer (Carica sp.) et la pimienta (Pimenta dioica) (Campbell et al., 2006; Crane, 1996). Il a été mentionné plus haut que la grande majorité des espèces arborées dans la zone maya n’est pas anémophile et ne se retrouve donc pas dans les sédiments lacustres. Par conséquent, de tels pollens découverts en contexte archéologique scellé peuvent être des évidences directes de la présence de l’arbre dans l’environnement immédiat de la structure au moment de son occupation, à moins qu’ils ne traduisent un usage spécifique de certaines plantes. Par exemple, l’analyse de pollens provenant de niveaux d’occupation dans des temples de Copán a permis à McNeil (2006 cité par McNeil 2012, p.25) de mettre en évidence l’usage de fleurs du palmier cocoyol (Acrocomia aculeata) pour l’ornementation de ces édifices religieux. Extérieur à l’aire maya, un autre exemple probant de l’application de la palynologie en contexte archéologique est l’étude menée par Morehart et ses collègues (2012) sur un sanctuaire datés de l’Épiclassique (600-900 apr. J.-C.) situé dans le bassin de Mexico. Les auteurs ont identifié de grandes quantités de pollens de Tagetes sp. (Astéracées) associées à des contextes

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mortuaires, qu’ils interprètent comme l’évidence d’un usage de fleurs comme offrandes dans les pratiques rituelles.

La recherche d’autres microrestes tels que le phytolithes et les résidus organiques dans les sédiments archéologiques, sur des outils lithiques ou dans des contenants céramiques permet également d’obtenir des données sur les processus de façonnage et d’usage des végétaux. Les phytolithes présentent l’intérêt de se conserver dans des milieux où les autres microrestes sont généralement absents, notamment les milieux secs, calcaires ou aérobie. Une analyse récente de phytolithes, menée à Los Naranjos (Honduras) sur un ensemble de lames d’obsidienne, a mis en évidence que certaines lames avaient été employées uniquement pour la préparation des plantes alimentaires, alors que d’autres avaient servi pour la découpe de bois (Morell-Hart et al., 2014). Il s’agit d’une information intéressante puisque, les Mayas préhispaniques ne disposant pas de métal, la découpe du bois ne pouvait se faire qu’avec des outils lithiques, ce qui pose un certain nombre de questions quant aux chaînes opératoires des usages des bois. L’information émanant des phytolithes semble toutefois limitée à l’aspect technique puisque les phytolithes du bois ne peuvent pas faire l’objet d’une identification taxonomique (Morell-Hart et al., 2014, p. 76).

D’autres types de vestiges archéobotaniques issus de contextes archéologiques, graines, fruits, fibres végétales et résines, peuvent également être des indicateurs de l’exploitation des ligneux, notamment des arbres fruitiers et autres « arbres utiles ». Contrairement à l’anthracologie, la carpologie permet plus souvent des identifications taxonomiques au niveau de l’espèce. Par exemple, s’il peut s’avérer difficile de discriminer les genres au sein de la famille des Lauracées en se fondant sur la seule anatomie du bois, les carporestes d’avocat (Persea americana) sont plus facilement identifiables. Un autre exemple particulièrement pertinent dans l’aire maya réside dans l’identification des genres de palmiers (Arécacées). À partir des structures anatomiques du stipe, leur identification est souvent impossible au-delà de la sous-famille (Thomas, 2011), alors que l’analyse des fruits et des graines permet sans difficulté d’atteindre l’espèce (Lentz et Dickau, 2005). À Wild Cane Cay (Belize), c’est l’approche carpologique qui a permis à McKillop (1994) de proposer un modèle de subsistance fondé en grande partie sur l’arboriculture d’arbres fruitiers, en particulier sur la consommation des fruits de diverses espèces de palmiers. Nombreux sont les sites mayas où des graines ou restes de fruits de nance (Byrsonima crassifolia), sapotes (Manilkara zapota, Pouteria sapota) ou anones (Annona spp.), pour ne citer que les espèces les plus courantes, ont été identifiés (Campbell et al., 2006; Lentz, 1999), suggérant la culture de ces arbres dans l’environnement du site. Tout comme les charbons de bois, la fiabilité archéologique des carporestes dépend de leur contexte de provenance, mais également de leur état de conservation. En effet, les restes de plante se conservant très mal en milieu tropical humide, l’ancienneté de graines qui seraient retrouvées non carbonisées dans des contextes archéologiques doit être mise en doute, car celles-ci sont susceptibles d’être modernes et d’avoir été transportées par contamination ou bioturbation.

Dans la majorité des cas, la présence de vestiges archéobotaniques sur un site peut être considérée comme une évidence fiable de la présence de l’espèce dans l’environnement du site au moment de son occupation, et ce, d’autant plus si les résultats des différentes analyses (macrorestes, microrestes et analyse chimique) se recoupent. Il ne faut pourtant pas exclure la possibilité que certaines plantes ou parties de plantes utilisées sur un site eussent été d’origine exogène, comme cela a été proposé pour le

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bois de pin dans les Basses Terres centrales (Lentz et al., 2005; Miksicek, 1991, 1983). On sait, par exemple, que les fèves de cacao (Theobroma cacao, T. bicolor) faisaient l’objet d’échanges et qu’elles étaient consommées jusque dans le Sud-ouest des États-Unis au moins depuis le VIIIe siècle (Washburn et al., 2013, 2011). Il est cependant difficile de mettre en évidence l’origine exogène de vestiges archéobotaniques sans une information biogéographique ou écologique déterminante, et c’est sans aucun doute la raison pour laquelle les échanges de produits végétaux dans l’aire maya préhispanique sont si peu connus.