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Application de la méthode anthracologique à une cité maya classique des Basses Terres centrales

3.2. L’étude anthracologique de Naachtun

3.1.1. La collection de référence des bois des Basses Terres centrales

Principe de l’identification anthracologique

Chaque espèce ligneuse se caractérise par une structure anatomique spécifique (voir 3.2.2, Annexe B). L’identification anthracologique consiste donc à comparer les caractères anatomiques des charbons archéologiques, conservés grâce à la carbonisation, avec ceux de bois modernes de référence, impliquant nécessairement une connaissance précise de la flore locale et régionale. Cette démarche s’appuie sur le principe d’actualisme, qui postule que l’anatomie des espèces ligneuses n’a pas changé au cours du temps. Pour les périodes récentes du Quaternaire qui concernent l’archéologie, ce principe est tout à fait valide. On estime, en effet, que la majorité des groupes d’angiospermes qui forment l’essentiel des forêts tropicales actuelles, est complètement établie dès la fin du Crétacé il y a environ 66 millions d’années, alors que l’émergence et la diversification des gymnospermes (conifères et cycades) eu lieu au cours du Jurassique entre 200 et 146 millions d’années (Bridgewater, 2012, p. 33).

Le niveau de précision des identifications anthracologiques dépend notamment de la qualité des référentiels xylologiques disponibles (atlas xylologiques, bases de données en ligne, publications spécialisées et collections de référence). Dans les régions tropicales, où l’extrême biodiversité végétale implique que de nombreuses espèces ligneuses n’ont jamais fait l’objet d’une description anatomique (ou bien celles-ci n’ont pas été publiées), il est souvent nécessaire de commencer par rassembler une collection d’essences de bois actuels la plus vaste possible et propre à la région d’étude. On sait en effet que la structure anatomique du bois peut s’adapter aux conditions environnementales locales et que certaines populations d’une même espèce peuvent présenter des variations anatomiques en fonction des milieux, qui dépendent de facteurs climatiques, géographiques et édaphologiques (e.g. Aguilar Rodríguez et Barajas-Morales, 2005; Moya et Tomazello, 2008). Il est donc important que les collections de bois de comparaison proviennent de la même zone géographique que le matériel anthracologique étudié et qu’elles contiennent, idéalement, des échantillons issus de plusieurs individus pour une même espèce. À l’instar de nos prédécesseurs anthracologues tropicalistes (Bachelet, 2011; Dotte-Sarout, 2010; Moutarde, 2006; Scheel-Ybert, 1998), le premier travail mené dans le cadre de cette recherche doctorale a donc consisté en la compilation d’une collection de référence des bois des Basses Terres centrales, initialement inexistante en France.

Elle s’est obligatoirement accompagnée du recensement systématique de la flore ligneuse des Basses Terres centrales (Annexe A). À partir des inventaires floristiques de Lundell (1937), Schulze et Whitacre (1999) et Atran et al. (2004) pour le Nord du Petén, et celui de Martínez et Galindo Leal (2002) pour le Sud du Campeche, cette liste d’espèces a été complétée grâce à d’autres sources bibliographiques et numériques (Arellano Rodriguez et al., 2003; Davidse et al., 1994; Pennington et Sarukhán, 2005; Roig Juñent et al., 2012; Standley et al., 1946). Toutes les espèces ayant été recensées dans le Petén, le Campeche, le Quintana Roo et le Belize d'après ces sources sont systématiquement enregistrées, avec leurs noms vernaculaires en espagnol et en maya lorsqu’ils existent. Certains synonymes sont également indiqués si ceux-ci sont employés dans des sources récentes. Cet inventaire compte aujourd’hui 835 espèces ligneuses, incluant des espèces arborées, arbustives, lianescentes ainsi

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que des monocotylédones (palmiers et bambous). Il n’est évidemment pas exhaustif, compte tenu de la très grande biodiversité des forêts des Basses Terres et du fait que certaines sources correspondent à des travaux en cours (i.e. Davidse et al., 1994) et sont donc incomplètes. Mais une telle synthèse floristique utilisable facilement n'en représente pas moins un outil indispensable pour garantir un travail d'identification efficace des charbons ainsi que des interprétations pertinentes des spectres anthracologiques (voir plus avant) dans un site des Basses Terres centrales.

Compilation de la collection

La collection de référence des bois des Basses Terres centrales, présentée dans l'atlas numérique associé à ce manuscrit, compte actuellement 231 taxons, tous types de matériels compris (échantillons physiques et photographies). Sa compilation a été menée selon deux lignes d’action : 1) prélèvement de bois directement dans l’environnement du site et identification botanique des essences, et 2) démarches auprès de xylothèques pour l’obtention d’échantillons de bois et la consultation de lames minces (Figure 3.1).

Cette seconde stratégie découle, en fait, des nombreux contretemps et difficultés administratives qui ont considérablement retardé l’exportation de la collection des bois prélevés à Naachtun. Celle-ci ne fut, en effet, exportée à Paris qu’en janvier 2016, soit près de trois ans après la collecte des échantillons sur le site en mars 2013. Il va sans dire que ce déroulement imprévu des événements a grandement impacté la démarche de l’analyse du matériel anthracologique. Celle-ci sera détaillée ultérieurement (3.2.2), mais on peut déjà remarquer qu’au-delà de tous les inconvénients que cela a pu entraîner, le fait de commencer par l’analyse du matériel archéologique a permis de mieux cibler d’emblée les besoins spécifiques à l’étude de Naachtun, et de concentrer ensuite les recherches auprès des xylothèques, en 2014 et 2015, sur les espèces les plus susceptibles d’aider aux identifications. On constatera, par exemple, l’effort investi dans l’acquisition de matériel de référence pour les espèces de Fabacées (76 échantillons correspondant à 44 taxons, qui recouvrent 60 % des Fabacées ligneuses recensées dans les quatre inventaires susmentionnés), par rapport à celui investi pour les Lauracées (4 échantillons pour 3 espèces, sur 9 espèces ligneuses recensées dans ces mêmes inventaires). En effet, parmi les charbons archéologiques, un seul taxon a été attribué avec certitude à cette dernière famille. Pour cette même raison liée aux contraintes calendaires, l’analyse en laboratoire du matériel de référence une fois acquis s’est focalisée sur les familles les plus représentées dans les charbons archéologiques, telles que les Myrtacées, les Rubiacées ou les Polygonacées, alors que d’autres, comme les Malvacées, n’ont pas été jugées prioritaires puisque non représentées dans le matériel anthracologique. C’est pourquoi la liste des taxons actuellement inclus dans la collection de référence précise ceux qui ont fait l’objet d’une analyse (photographie et/ou description des caractères anatomiques) et qui sont présentés dans l’atlas numérique de référence.

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La collecte d’un maximum d’essences ligneuses ‒ arbres, arbustes, lianes ‒ a été effectuée dans l’environnement du site de Naachtun lors de la campagne de mars-avril 2013, en collaboration avec l’Herbario BIGU de l’université San Carlos de Guatemala, et avec l’aide précieuse d’informateurs/collecteurs guatémaltèques (employés du projet et gardes forestiers). Des échantillons de bois mature (branche ou tronc) ainsi que des échantillons de feuilles, fleurs et/ou fruits lorsqu’ils étaient présents, ont été prélevés sur chaque nouvelle essence rencontrée. Au total, 156 individus ont été échantillonnés dans un rayon d’environ 4 km autour du site. Les échantillons de bois ont été séchés à l’air libre durant trois semaines, puis carbonisés à l’étouffée dans un foyer aménagé directement sur le terrain. Cette collection de bois carbonisés a ensuite été divisée en deux parties, la première étant conservée à l’Herbario BIGU et la seconde ayant été exportée vers Paris. Les herbiers ont été déposés à l’Herbario BIGU, où les ingénieurs agroforestiers M. Veliz et L. Velasquez (présent sur le terrain) ont procédé à l’identification taxonomique des essences. Après suppression des doublons, le bilan de cette collecte locale s’élève à 97 taxons différents appartenant à 37 familles, parmi lesquels 77 ont pu être identifiés au niveau spécifique (Figure 3.2).

Figure 3.2 Nombre de taxons par famille collectés dans l’environnement du site de Naachtun.

Bien qu’il ne s’agisse pas d’un inventaire floristique à proprement parler, cette collecte locale permet de constater que le spectre floristique de Naachtun, en termes de présence/absence des espèces, se situe véritablement à l’interface entre les forêts humides du Sud et celles, plus sèches, de la moitié nord de la péninsule. Certaines espèces collectées à Naachtun, comme Ficus yoponensis, Matayba

clavelligera, Pimenta guatemalensis et Lysiloma aurita, semblent plutôt associées aux forêts hautes des Basses Terres méridionales (Davidse et al., 1994). Ces espèces ne sont d’ailleurs mentionnées dans aucun inventaire floristique du Nord du Petén (Atran et al., 2004; Lundell, 1937; Schulze et Whitacre, 1999). D’autres espèces sont, à l’inverse, beaucoup plus caractéristiques des forêts moyennes sub- pérennes à sub-caducifoliées de la zone mexicaines de la péninsule. C’est le cas de Allophylus

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racemosus, Caesalpinia yucatanensis, Rochefortia spinosa, Gymnopodium floribundum et Hyperbaena

winzerlingii, cette dernière n’ayant été recensée, jusqu’à présent, qu’au nord de la frontière mexicaine (Davidse et al., 1994).

Donations de xylothèques

Un séjour a été effectué au Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC, Tervuren, Belgique) au printemps 2014, puis un autre à l’Institut de Biologie de l’université nationale autonome du Mexique (UNAM, Mexique) à l’automne 2015, afin de collecter, sous différentes formes, du matériel de référence complémentaire. La xylothèque du Muséum national d’histoire naturelle de Paris (MNHN) fut également sollicitée dès l’automne 2013. À partir du catalogue de chaque xylothèque et de l’inventaire floristique des Basses Terres centrales, a été établie une liste d’espèces-cibles, à consulter en priorité pour les identifications en cours et/ou à acquérir pour la collection physique. Dans la mesure du possible, les spécimens provenant d’Amérique centrale, voire de la Péninsule du Yucatán, ont été privilégiés par rapport aux spécimens caribéens, sud-américains et africains (parfois seuls spécimens disponibles pour l’espèce-cible). Ces démarches ont permis d’obtenir des échantillons de bois de 57 taxons, ainsi qu’un ensemble de 49 lames minces de bois provenant de la Réserve de Biosphère de Calakmul, offert par J. Barajas-Morales, curatrice de la xylothèque de l’UNAM (collection en cours de publication). De plus, les lames minces de 69 taxons ont pu être consultées au MRAC ainsi qu’à l’UNAM. Une fois rapportés au laboratoire d’archéobotanique de Paris 1 à Nanterre, chaque échantillon de bois, consistant en des cubes d’environ 2 à 5 cm3, a été redécoupé. Une partie a été carbonisée dans un four à moufle à 400°C pendant 40 min, de façon à intégrer la collection de bois carbonisés, l’autre partie a été conservée et est destinée à la fabrication de lames minces de bois.

Analyse du matériel de référence

La collection de bois de référence est actuellement conservée au laboratoire d’archéobotanique de l’université de Paris 1, situé à la Maison Archéologie & Ethnologie (MAE) de Nanterre. Elle compte pour l’instant 178 taxons, à quoi s’ajoute une collection exclusivement numérique de 53 taxons, non présents physiquement dans la collection, mais dont les lames minces ont été consultées et photographiées lors des séjours dans les différentes xylothèques. L’analyse des échantillons de référence est menée au service d’imagerie et de microscopie optique (SIMO - USR 3225) de la MAE. Les bois carbonisés sont observés au microscope optique à réflexion après cassure du charbon à la main. Les lames minces sont observées au microscope à transmission. Les structures cellulaires du bois, observées à des grossissements de x50 à x500, sont décrites dans les trois plans d’observation du bois : plan transversal (perpendiculaire à l’axe du bois), plan longitudinal tangentiel (parallèle à l’axe du bois et tangentiel aux cernes de croissance) et plan longitudinal radial (parallèle à l’axe du bois et aux rayons ligneux) (Annexe B-1). Pour ce faire, une fiche de description systématique du bois a été établie à partir de la liste des caractères anatomiques définie par l’association internationale des anatomistes du bois (IAWA, Wheeler et al., 1989) et adaptée aux bois néotropicaux (Annexe B-2). Les microscopes sont équipés d’une caméra numérique reliée à un ordinateur, ce qui permet de réaliser des photomicrographies du bois et de prendre les mesures standard des structures cellulaires grâce à un logiciel d’analyse et de traitement d’image.

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Lancée dans le cadre de la présente recherche doctorale, la collection de bois de référence des Basses Terres centrales a eu pour premier objectif de permettre des identifications fiables et précises du matériel anthracologique de Naachtun. Cette collection a néanmoins vocation à s’enrichir, dans l’avenir, de nouveaux taxons, afin d’encourager et d’améliorer les futures études anthracologiques dans la zone maya.