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Application de la méthode anthracologique à une cité maya classique des Basses Terres centrales

3.2. L’étude anthracologique de Naachtun

3.1.2. L’enquête ethnographique sur l’usage des combustibles dans le Nord du Petén

Les études ethnographiques relatives à l’économie des combustibles dans les sociétés mayas contemporaines ont essentiellement porté sur des aspects techniques et quantitatifs, dans l’optique d’évaluer l’impact environnemental hypothétique de cette composante essentielle de l’économie de subsistance dans les sociétés préhispaniques (Atran et al., 1993; Wiseman, 1978, 1983). La production traditionnelle de la chaux a fait l’objet d’un intérêt particulier, surtout depuis que cette activité fut envisagée comme l’une des causes possibles de la déforestation autour des cités mayas (Hansen et al., 2002; Russell et Dahlin, 2007; Schreiner, 2002) (voir Chapitre 2.2.4). Peu d’études se sont en revanche intéressées spécifiquement aux combustibles domestiques quotidiens en termes de modes de collecte, de gestion et de perception, les deux études consacrées à ce sujet étant celle de Metzger et Williams (1966) dans les communautés tzeltal du Chiapas, et celle de Sanabria (1986) dans la communauté yucatèque de Xul (Yucatán) (voir Chapitre 1.2.2). Dans le Nord du Petén, Atran a inventorié un certain nombre d’essences employées comme combustibles dans la communauté itza de San José (Atran et al., 2004), mais ses nombreux travaux ont surtout porté sur les usages des plantes utiles, dans l’artisanat, l’alimentation et la médecine traditionnelle, et sur les systèmes agroforestiers en général, plus que sur la gestion des bois de feu en particulier. Il est donc apparu utile de s’interroger sur cette question dans une perspective ethnoarchéologique (David et Kramer, 2001; Picornell Gelabert et al., 2011). Kramer (1996 cité par David et Kramer 2001, p. 12) définit l’ethnoarchéologie comme un « travail ethnographique de terrain mené dans le but manifeste d’améliorer la recherche archéologique, en documentant des aspects du comportement socioculturel susceptibles de laisser des vestiges archéologiques identifiables ». C’est donc pour obtenir d’éventuelles informations complémentaires pouvant inspirer l’interprétation des données archéologiques qu’une courte enquête ethnographique a été menée en avril 2015, à l’occasion de la campagne annuelle du Projet Naachtun.

Origine des informateurs

Parmi les six informateurs interrogés dans le cadre de cette enquête (Tableau 3.1), quatre sont des agriculteurs ladinos ou q’eqchi, résidant dans les villages de Uaxactun et La Libertad (Figure 3.3) et travaillant de façon saisonnière au sein du Projet Naachtun. Dans ces communautés rurales, situées respectivement à 26 km au nord de Tikal et à 32 km au sud-ouest de Flores, l’économie est essentiellement agraire et forestière. La plupart des habitants cultivent le maïs et d’autres cultigènes dans les milpas via la technique de l’agriculture sur brûlis, et de nombreuses familles dépendent encore en partie des ressources forestières pour leur subsistance, notamment de la collecte de bois comme combustible. Jusqu’à récemment, la plupart des habitants y produisaient eux-mêmes leur chaux, composante indispensable à l’économie domestique quotidienne, à partir des ressources locales. Alors que la municipalité de la Libertad a essentiellement fondé son économie commerciale sur l’élevage bovin, la principale activité commerciale de Uaxactun, en tant que concession forestière

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incluse dans la Réserve de Biosphère Maya, est, outre la coupe de bois, la collecte et l’exportation de certaines ressources forestières non ligneuses, en particulier les feuilles du palmier xate et les fruits de la pimienta et du ramón. Développées comme alternatives économiques durables pour lutter contre la déforestation, ces industries forestières, gérées à Uaxacun par l'OMYC (Organisation de gestion et de conservation), emploient une grande partie des habitants qui y trouvent une activité complémentaire à la culture de la milpa, surtout depuis le déclin de l’industrie du chicle à partir des années 1970 (Gretzinger, 1998).

Tableau 3.1 Liste des informateurs.

Les deux premiers informateurs sont des représentants de l’association BioItza dont le siège se situe dans la municipalité de San José sur le lac Petén Itza. Depuis sa fondation en 1991, l’association BioItza encourage l’implication des communautés locales et l’intégration de la culture maya itza traditionnelle dans la conservation de la biodiversité régionale. Une de ses principales activités consiste à promouvoir une gestion durable des ressources forestières, en œuvrant pour la reforestation et pour le maintien des systèmes agroforestiers traditionnels. Ces actions se sont notamment concrétisées via la création de la Réserve BioItza, une zone de 36 km² de forêt au nord de San José concédée par le gouvernement pour une durée de 50 ans. Cette réserve se situe en bordure sud de la Réserve de Biosphère Maya et constitue la première réserve communautaire indigène du Guatemala (Chayax Huex et al., 1998; United Nations Development Programme, 2012).

Les informations collectées au cours de l’enquête ethnographique émanent donc de personnes qui, bien que d’origines diverses ‒ Itzas natifs, Ladinos hispanophones et récents immigrés Q’eqchi ‒, ont toutes une expérience longue, sinon ancestrale, de la forêt et de l’usage des ressources ligneuses, dans de multiples aspects de l’économie locale.

Informateur Date et lieu de naissance

Lieu de

résidence Professsion/Fonctions 7/09/1939, Chaman et guérisseur spécialisé dans

l'usage des plantes dans la médecine traditionnelle Itza

San José Fondateur de l'association BioItza 5/03/1979,

San José 19/12/1955, La Libertad

Travailleur au sein du Projet Naachtun, Président de la OMYC

Agriculteur et xatero

9/06/1964, Travailleur au sein du Projet Naachtun Santa Elena Chiclero et xatero

Travailleur au sein du Projet Naachtun Chiclero et xatero

Adam Peréz Salacán 23/09/1954, Uaxactún

Uaxactún

Enecon Oxlaj Uaxactún

Jorge Adolfo Gerra Ramos 15/11/1964, Uaxactún

Uaxactún Reginaldo Chayax Huex San José

Aderito Chayax Tesucún San José Administrateur de la Réserve BioItza et directeur de l'association BioItza Elfego Pacay Marín La Libertad Logisticien au sein du Projet Naachtun

Feux et forêts mayas

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Figure 3.3 Localisation des sites mentionnés dans le cadre de l’enquête ethnographique sur l’usage des combustibles dans le Nord du Petén.

La démarche ethnographique

L’enquête a consisté en des entretiens en espagnol de type semi-structuré ouvert, qui visent à encourager les informateurs à parler de leur propre perception et de leurs expériences à partir d’un questionnaire préparé (Picornell Gelabert et al., 2011). Deux types d’entretiens, en face à face et en situation lors de trajets en forêt, se sont déroulés sur plusieurs jours sur le site de Naachtun ainsi que dans le village de San José lors d’un court séjour sur place. Les principales questions abordées au cours des entretiens ont été les suivantes :

- Quels bois de feu ou autres combustibles sont employés ? Pour quel(s) usage(s) et pourquoi ? - Quels sont les meilleurs combustibles ?

- Comment, où et quand sont-ils collectés ?

- Certains bois peuvent-ils être collectés et/ou brûlés verts ? - Certains bois sont-ils évités comme combustibles et pourquoi ? - Y a-t-il des périodes de pénurie de bois ?

Lors des entretiens en face à face, s’est posé le problème prévisible de l’ethno-taxonomie des arbres mentionnés, dans la mesure où les noms communs peuvent faire référence à plusieurs espèces. Par exemple, le nom roble désigne aussi bien les espèces de chêne (Quercus spp.) qui poussent dans les savanes du Centre du Petén, que l’espèce Bourreriamollis, un grand arbre des forêts hautes et humides. Les sorties en forêt ont ainsi eu l’avantage de permettre d’interroger l’informateur directement sur telle ou telle essence rencontrée dont le nom scientifique était connu.

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Il ne s’agit évidemment pas ici d’une véritable recherche anthropologique, qui aurait impliqué des séjours prolongés au sein des communautés afin d’observer les comportements sociaux au quotidien (observation participante). De plus, les informateurs n’étant pas tous d’origine maya, les informations recueillies ne relèvent pas systématiquement d’une tradition native. L’objectif de cette enquête était davantage de comprendre comment sont perçus les bois de feu, quels sont leurs modes d’acquisition et de gestion et s’il existe des contraintes dans l’approvisionnement en combustibles, au sein de communautés où l’économie de subsistance est encore en partie dépendante des ressources forestières et dans un environnement tel que celui du Nord du Petén. Nous présentons ici une synthèse des informations recueillies aux cours des différents entretiens.

Types de combustibles et usages

Le tableau 3.2 dresse la liste des essences de bois mentionnées au cours des entretiens. Les bois appréciés comme combustibles sont globalement classés en deux catégories : les bois à braise ou « guarda fuego » et les bois à flammes. Les bois à braise sont ceux dont le duramen est le plus développé, « los que tienen corazón ». Ils servent principalement à la cuisson domestique qui nécessite une combustion lente. Les principaux mentionnés, tous des bois très denses, sont le chicozapote, le sacuché, le silillon, l’escobo negro, le quiebrahacha, le kante ou madre cacao, le tinto, le chaltecoc, les malerios, le chintok, le sapotillo, le nance et le sacwayum. Les bois à flammes sont des bois légers ou moyennement denses tels que les majaguas, le chakah, le chechen negro et le ramón. Ils sont surtout utilisés pour la cuisson du maïs et l’allumage des feux domestiques. Certains bois présentent un comportement mixte et produisent autant de flammes que de braises, c’est le cas du canxan ché et du guayabillo, bois par ailleurs très denses. Les bois peuvent être brûlés sec ou verts, en fonction de leur nature ou de l’usage que l’on en fait.

Dans les communautés de Uaxactun et La Libertad, le chechen negro est le principal bois utilisé pour la combustion des pierres calcaires servant à produire la chaux. Brûlé vert car sa haute teneur en résine est supposée améliorer la qualité de la chaux, le bois du chechen negro est régulièrement accompagné des bois du jobo, du chakah et du guano, ainsi que de tout autre bois sec de différents calibres. Ces essences étant des matériaux légers, cela peut sembler a priori paradoxal puisque l'industrie de la chaux nécessite de hautes températures de combustion que l'on obtient en général plus facilement avec des bois denses. Mais d’après Schreiner (2002), le fait d’user de bois vert pour la production de la chaux sert justement à obtenir une combustion lente et contrôlée. De plus, le pouvoir calorifique dépend surtout du calibre du bois. Chez les Itzas de San José, c’est traditionnellement le habín et le guano verts qui sont employés pour la production de la chaux. D’autres bois peuvent être brûlés verts ou moyennement secs pour les feux quotidiens et ils se consument alors plus lentement. Il s’agit des bois denses, considérés comme retenant moins l’humidité, et des bois à résine. L’allumage des feux se fait avec du petit bois, des déchets de taille du bois, de l’écorce, du pin ocote (acheté sur les marchés uniquement), des épis de maïs et des feuilles de guano. Anciennement, les Itzas employaient également de la graisse animale pour l’allumage des feux, notamment celle du cerdo de monte (Tayassu spp.) mais cela ne se pratique plus de nos jours. Enfin, certains bois sont utilisés pour la production de charbon, en particulier le nance, le ramón, le malerio blanco et le roble.

Feux et forêts mayas

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Sélection et collecte des combustibles

Le bois de feu domestique est collecté quotidiennement dans les forêts proches des habitats (et les savanes s’il y en a), dans un rayon de 1,5 km à pied au maximum. Les bois sont également ramassés ou coupés dans les milpas, au cours des jours qui peuvent s’écouler entre le brûlis et le semis. Pendant cette période, tous les végétaux (branche, racine, palmiers, lianes...) sont secs et peuvent donc être collectés pour servir de combustible. Le bois est principalement collecté sec, qu’il s’agisse de branches ou de troncs tombés à terre ou d’arbres morts sur pied. Tous les informateurs s’accordent sur le fait que le bois ne manque jamais compte tenu de la proximité des forêts et du système du brûlis qui entretient les stocks. En revanche, l’élément central dans la sélection et la collecte des combustibles s’est révélé être la saisonnalité. En saison sèche, tous les bois morts peuvent être collectés et utilisés comme combustibles. Seuls certains bois « sans force » ou se dégradant très vite sont évités, notamment ceux des ficus (Ficus spp.). Le bois de la ceiba n’est pas employé comme combustible, d’une part parce que l’arbre est sacré chez les Itzas, d’autre part parce que ce bois très tendre ne produit que de la cendre. Les bois du chechen negro et du chechen blanco produisent une fumée toxique et ne s’utilisent donc pas comme combustibles communs. En revanche, la saison des pluies ou « invierno » est la période de l’année au cours de laquelle les combustibles doivent être sélectionnés, ou bien coupés directement sur des arbres morts sur pied. Les bois pouvant être collectés en saison des pluies et/ou coupés et brûlés verts sont les bois denses mentionnés précédemment. Des bois comme le ramón, le ramón colorado, le manax, le jobo, le mano de leon, l’amapola, le maculíz, le bojón, le chakah et le cojón sont trop tendres, trop humides, et ne brûlent pas s’ils sont collectés en saison des pluies. D’autres bois issus des marais saisonniers comme le tinto sont inaccessibles en saison des pluies. Ces bois sont généralement collectés en saison sèche puis stockés. Le second critère qui entre en jeu dans la sélection des combustibles est le calibre des bois. Plusieurs informateurs disent ne pas collecter de bois d’arbustes, qui sont trop fins et se consument trop rapidement. Enfin, d’autres bois sont évités comme combustible s’ils ont d’autres usages prioritaires. Les bois du pasaak, du cedro et du palo santo ne sont généralement pas utilisés comme combustibles car ils servent principalement de bois de construction. Le bois du ramón ne s’utilise que s’il est mort mais n’est pas coupé, car les fruits et les feuilles servent pour l’alimentation humaine et animale.

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Tableau 3.2 Essences de bois mentionnées lors des entretiens.

Nom commum Taxon Valeur

Chicozapote Manilkara zapota Apprécié comme combustible commun

Machiche Lonchocarpus castilloi Apprécié comme combustible commun

Silillon Pouteria sp. Apprécié comme combustible commun

Sapotillo Pouteria sp. Apprécié comme combustible commun

Chaltecok Caesalpinia spp. Apprécié comme combustible commun

Palo tinto Haematoxylum campechianum Apprécié comme combustible commun

Pimienta Pimenta dioica Apprécié comme combustible commun

Kante, madre cacao Gliricidia sepium Apprécié comme combustible commun

Quiebrahacha Indéterminé Apprécié comme combustible commun

Chintok Wimmeria concolor Apprécié comme combustible commun

Escobo negro Eugenia spp. Apprécié comme combustible commun

Malerio blanco Aspidosperma cruentum Apprécié comme combustible commun

Malerio colorado Aspidosperma megalocarpum Apprécié comme combustible commun

Sacuché Rehdera spp. Apprécié comme combustible commun

Canxan che Calyptranthes spp. Apprécié comme combustible commun

Ramón Brosimum alicastrum Apprécié comme combustible commun

Habín Piscidia piscipula Apprécié comme combustible commun

Guaya Melicoccus oliviformis Apprécié comme combustible commun

Nance dulce Byrsonima crassifolia Apprécié comme combustible commun

Nance agrio Byrsonima bucidifolia Apprécié comme combustible commun

Sacwayum Matayba oppositifolia Apprécié comme combustible commun

Guayabillo Eugenia/Myricaria spp. Apprécié comme combustible commun

Tzalam Lysiloma spp. Apprécié comme combustible commun

Sastante (majagua) Indéterminé Apprécié comme combustible commun

Guayaba Psidium guayava Apprécié comme combustible commun

Guayaba silvestre Psidium sartorianum Apprécié comme combustible commun

Botán, guano Sabal spp. Apprécié comme combustible spécialisé

Chechen negro Metopium brownei Apprécié comme combustible spécialisé

Chechen blanco Pleradenophora sp./ Sebastiania spp. Apprécié comme combustible spécialisé

Jobo Spondias mombin Apprécié comme combustible spécialisé

Chakah Bursera simaruba Apprécié comme combustible spécialisé

Subín Acacia spp. Utilisé comme combustible d'appo int

Jesmo Acacia spp. Utilisé comme combustible d'appo int

Katsin Acacia spp. Utilisé comme combustible d'appo int

Ramón colorado Trophis racemosa Espèce évitée

Palo de santo Myroxylon balsamum Espèce évitée

Manax Pseudolmedia spp. Espèce évitée

Ceiba Ceiba pentandra Espèce évitée

Ficus Ficus spp. Espèce évitée

Cedro Cedrela odorata Espèce évitée

Cojón Tabernaemontana donnell-smithii Espèce évitée

Mano de león Dendropanax arboreus Espèce évitée

Maculíz Tabebuia rosea Espèce évitée

Bojón Cordia alliodora Espèce évitée

Pasaak Simaruba glauca Espèce évitée

Feux et forêts mayas

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