• Aucun résultat trouvé

Dynamiques socio-environnementales dans les Basses Terres mayas à travers les âges

B) Parc National de Tikal

1.3.1. Brève histoire des dynamiques socio-environnementales dans les Basses Terres centrales

L’histoire précolombienne de l’aire maya (Figure 1), intégrée au cadre chrono-culturel général de la Mésoamérique, se divise en cinq grandes périodes à partir du début de l’Holocène (Tableau 1) : le Paléo-Indien, la période archaïque, le Préclassique, le Classique et le Postclassique, elles-mêmes subdivisées en plusieurs phases.

L’Archaïque (7000-2000 av. J.-C.)

Ce fut d’abord au cours du Paléo-Indien (11000-7000 av. J.-C.), correspondant à la transition entre la fin du Pléistocène glaciaire et les débuts de l’Holocène, qu’eut lieu l’expansion initiale des populations de chasseurs-cueilleurs en Mésoamérique. Au début de la période archaïque, ou pré-céramique (7000- 2000 av. J.-C.), le climat plus chaud et humide entraîne le développement de forêts tropicales comparables aux forêts actuelles. C’est au cours de cette période que des communautés passent progressivement de chasseurs-cueilleurs nomades à un mode de vie semi-sédentaire sur la côte pacifique et dans les Hautes Terres du Chiapas et du Guatemala. Dans les Basses Terres mayas, l’Archaïque est principalement identifié dans la partie nord du Belize, où l’occupation humaine semble avoir été essentiellement semi-nomade, localisée à proximité des zones humides et en grande partie dépendante des ressources aquatiques (MacNeish, 1986; MacNeish et Nelken-Terner, 1983). Cette période correspond au développement de l’industrie lithique et au début de la domestication végétale via l’horticulture (Lohse, 2010). La domestication du maïs depuis le teosinte (Zea mays subsp.

parviglumis), sa forme sauvage, se produit dans l’Occident du Mexique (Guerrero) aux alentours de 6700 av. J.-C. (Ranere et al., 2009). Dans les Basses Terres mayas, les premiers pollens de Zea sp. apparaissent vers 3400 av. J.-C. dans le Nord du Belize (Pohl et al., 1996) puis vers 2600 av. J.-C. dans le Nord du Petén (Wahl et al., 2014, 2006), coïncidant avec les premières évidences de recul de la forêt tropicale. Dans les sites pré-céramiques du Nord du Belize, des restes d’amidon de maïs ainsi que d’autres plantes domestiquées comme le manioc, le piment, les courges (Cucurbitacées) et les légumineuses (Fabacées) ont été identifiées sur des outils lithiques, manifestant un développement de l’horticulture antérieur à l’apparition de la céramique et des établissements permanents au Préclassique Ancien (2000-1100 av. J.-C.) (Rosenswig et al., 2014).

Le Préclassique (2000 av. J.-C.-150 apr. J.-C.)

Le Préclassique ancien (2000-1100 av. J.-C.) est considéré comme le début de la civilisation maya. Durant cette période de transition, les communautés agraires se sédentarisent à proximité des zones humides ou le long des cours d’eau et s’étendent rapidement à l’ensemble des Basses Terres. Elles deviennent plus complexes, développant une architecture et une culture matérielle qui indiquent une diversification des activités et des statuts sociaux à la fin de la période (Sharer et Traxler, 2006). Pour cette période reculée, les évidences d’établissements permanents et les vestiges céramiques n’ont été identifiés que dans les Hautes Terres et sur la côte pacifique. Mais plusieurs carottes sédimentaires provenant des Basses Terres centrales montrent que l’agriculture se développe et s’intensifie dès le

Feux et forêts mayas

54

Préclassique ancien, indiquant que des communautés y sont déjà bien établies. Le recul du couvert forestier et l’érosion des sols s’accélèrent. Néanmoins, le faible taux de micro-charbons dans ces niveaux montre que la technique du brûlis était encore probablement marginale dans la région, suggérant l’existence de pratiques agraires intensives (Anderson et Wahl, 2016; Pohl et al., 1996; Wahl et al., 2013).

Ces premières communautés agraires constituent les bases des centres urbains qui se développent au Préclassique moyen (1100-400 av. J.-C.) dans la région de Mirador et le Nord du Belize. Les plus anciennes céramiques sont datées de 1100-850 av. J.-C. et semblent marquer les débuts d’une hiérarchisation de la société (Estrada-Belli, 2011, p. 37). L’apparition d’une architecture à caractère civique et des pratiques funéraires plus élaborées manifeste l’émergence des sociétés mayas complexes, dès 900 av. J.-C. à Cuello (Hammond, 1991). Ce phénomène culmine avec la formation des premières cités étatiques qui connaissent leur apogée aux alentours de 600 av. J.-C.-100 apr. J.-C. (Estrada-Belli, 2011; Hansen et al., 2002). Au cours de cette période, une architecture monumentale civique et cérémonielle se développe, accompagnée de monuments dédicatoires (stèles et autels sculptés), traduisant une organisation centralisée du travail et l’émergence de la royauté. L’expansion culturelle et économique se manifeste à travers l’élaboration d’un système d’écriture hiéroglyphique et le développement de réseaux d’échanges à longue distance (Sharer et Traxler, 2006). Après l’expansion précoce de Nakbe au Préclassique moyen, le Préclassique récent (400 av. J.-C.-150 apr. J.- C.) est marqué par l’hégémonie politique d’El Mirador sur les cités de la région éponyme telles que Wakna, Tintal et Xulnal. Leur essor démographique a probablement été permis par une agriculture intensive, sous forme de terrasses agricoles en marge des zones humides et de champs cultivés sur les zones hautes via l’apport de sédiments lacustres (Anderson et Wahl, 2016; Hansen et al., 2002; Wahl et al., 2014).

La fin du Préclassique (150-250 apr. J.-C.) correspond à une première période de déclin politique et démographique dans les Basses Terres mayas. La plupart des centres majeurs de la région de Mirador et du Nord du Belize sont abandonnés, alors que les cités de la région des Trois Rivières, comme Río Azul, Río Bravo et Booth’s River, perdent 70 % de leur population. L’hypothèse d’une cause environnementale expliquant ce déclin fait suite à de nombreuses évidences de transformation des paysages à cette période (Aimers et Iannone, 2014). Dès le Préclassique moyen, l’érosion des sols et les dépôts d’argile dans les zones humides sont vraisemblablement la conséquence de l’augmentation de la déforestation sur les zones hautes. Mais ce phénomène s’accélère au Préclassique récent (Beach et al., 2006; Wahl et al., 2013). Des études montrent que des lacs permanents peu profonds autour de plusieurs sites, notamment Yaxhá, la Milpa, El Mirador et Nakbe, se remplissent de ces argiles mayas et deviennent les marais saisonniers actuels (Beach et al., 2009; Dunning et al., 2002). La diminution des ressources en eau a ainsi entraîné une dépendance vis-à-vis des pluies annuelles, rendant les cités vulnérables lors de la saison sèche. En se fondant sur des données ethnographiques (Schreiner, 2002), Hansen et al. (2002) ont proposé que l’augmentation de la déforestation dans la région de Mirador à cette période devait être la conséquence d’une production massive de chaux. Indispensable à la fabrication du mortier utilisé dans l’architecture, la production de la chaux aurait, en effet, nécessité une grande quantité de combustible (Schreiner, 2002). Mais une récente étude du signal incendie menée dans deux zones humides proches d’El Mirador a toutefois démontré que le pic d’activité architecturale de la cité à la fin du Préclassique n’était pas corrélé à des

55

événements de feu intense dans la région (Anderson et Wahl, 2016). Les auteurs ont ainsi suggéré que les techniques de production de la chaux à cette période devaient être moins consommatrices de bois que les méthodes actuelles.

Au-delà de cette possible surexploitation environnementale, d’autres chercheurs ont mis en avant l’importance du facteur climatique dans le déclin socio-politique de la période (Gill, 2000; Gill et al., 2007). Plusieurs épisodes intenses de sécheresse se produisent entre 150 et 250 apr. J.-C. dans la Péninsule du Yucatán (e.g. Hodell, 2001; Medina-Elizalde et al., 2016; Torrescano-Valle et Islebe, 2015). Ces variations climatiques auraient exacerbé le déficit hydrique des cités mayas, en particulier dans les grands centres urbains moins résilients face aux changements environnementaux (Aimers et Iannone, 2014). Toutefois, ces perturbations environnementales n’ont clairement pas eu le même impact dans l’ensemble des Basses Terres puisque de nombreuses cités comme Tikal ou Uaxactún entrent dans une phase de développement précisément à partir de la fin du Préclassique.

Le Classique ancien et récent (250-800 apr. J.-C.)

Après le déclin politique des grands centres du Préclassique, plusieurs états indépendants émergent ou prennent leur essor au Classique ancien (250-600 apr. J.-C.). Chacun est dominé par une famille royale avec à sa tête un roi, le k’uhul ajaw. Le roi est investi d’une autorité sacrée et d’un pouvoir politique, économique et religieux qui s’appuie sur une administration plus ou moins complexe et hiérarchisée. Les nouvelles élites dirigeantes assoient leur autorité via le contrôle de l’eau, entre autres (Scarborough, 1998). Les réservoirs et autres aménagements hydrauliques deviennent dès lors des éléments essentiels du paysage urbain dans les Basses Terres. Les deux super-puissances rivales de la période classique, Tikal et Calakmul, prospèrent aussi grâce au contrôle de réseaux d’échange à longue distance. Tikal entretient des liens avec Teotihuacan, qui se consolident à partir de l’intronisation d’un nouveau roi issu de Teotihuacan en 378 apr. J.-C. Ce changement de régime politique contribue à renforcer l’importance économique et politique de Tikal au niveau régional, qui étend son hégémonie sur d’autres cités des Basses Terres telles que Río Azul, Uaxactún, Naachtun et Copán. Calakmul, dominé par la dynastie Kan, s’allie à Caracol et Naranjo pour finalement triompher de Tikal à la fin du VIe siècle. Il s’ensuit une période d’instabilité socio-politique qui aurait impacté plusieurs cités des Basses Terres, notamment Uaxactún, Naachtun, Xultun, Río Azul, Altar de Sacrificios et Piedras Negras. Mais Calakmul échoue à affermir son hégémonie politique au niveau régional. La fin du VIIe siècle est marquée par la résurgence de Tikal et par la défaite de Calakmul et de ses alliés. Cette phase d’instabilité au cours du Classique récent (600-800 apr. J.-C.) contribue à la fragmentation politique qui caractérise le VIIIe siècle. Celle-ci se manifeste par la prolifération de nouveaux titres de noblesse et l’apparition de nouveaux glyphes-Emblèmes sur des sites mineurs, traduisant une décentralisation du pouvoir politique (Sharer et Traxler, 2006). Les cités sont alors à leur apogée démographique et la compétition pour les terres et les ressources se renforce. La pression anthropique sur le milieu est à son maximum, comme l’indiquent les taux très élevés de sédimentation et le faible taux de pollens arborés, combinés à un signal incendie important dans plusieurs zones humides des Basses Terres centrales (Mueller et al., 2009; Rushton et al., 2012; Wahl et al., 2013).

Feux et forêts mayas

56

Le Classique terminal (800-900/1000 apr. J.-C.) et le Postclassique ancien (900/1000-1200 apr. J.- C.)

Le Classique terminal (800-900/1000 apr. J.-C.) correspond à une période majeure de crise politique et de déclin démographique suivis d’une importante réorganisation sociale dans l’ensemble des Basses Terres. La fin des cités étatiques de la période classique se manifeste par la disparition des marqueurs de la royauté. Les constructions monumentales, les monuments dédicatoires sculptés, les tombes royales et les aménagements hydrauliques de grande ampleur cessent, et la production et la distribution des biens de prestiges chutent (Sharer et Traxler, 2006). Ce phénomène se produit dès le VIIIe siècle et de façon violente dans le Petexbatún, où Dos Pilas et Aguateca sont détruites suite à des conflits armés (Demarest, 2013; Demarest et al., 1997). D’autres centres urbains sont ensuite rapidement abandonnés et la population se disperse dans des zones périphériques plus distantes. Mais des groupes de populations qui disposent probablement de terres agraires et ont accès à des sources d’eau se maintiennent dans plusieurs cités au Postclassique ancien (900/1000-1200 apr. J.-C.), notamment à Tikal, El Zotz, Caracol ou encore dans des communautés agraires telles que Minanha (Aimers et Iannone, 2014; Beach et al., 2015b; Lamoureux-St-Hilaire et al., 2015). Des études paléoenvironnementales montrent, en effet, que les activités humaines persistent dans le Nord du Petén au cours du Postclassique (Brenner et al., 1990; Wahl et al., 2016). L’essentiel des populations migre cependant vers les zones côtières et le Nord de la péninsule, entraînant l’expansion des cités des Basses Terres septentrionales au IXe siècle. Dans la région Puuc, Uxmal atteint son apogée entre 800 et 900 apr. J.-C., avant d’être elle-même abandonnée au début du Xe siècle. Dans la région Nord-est, Chichén Itzá est florissante jusqu’au XIIe siècle (Braswell, 2012, p. 19), alors que Lamanai, dans le Nord du Belize, est occupée jusqu’à l’arrivée des Espagnols (Pendergast, 1986).

Ce phénomène régional, qui s’étend sur près de trois siècles, est vraisemblablement la conséquence d’une combinaison de facteurs sociétaux et environnementaux (Aimers et Iannone, 2014; Demarest et al., 2004) : instabilité politique, facteur de pression économique et environnementale supplémentaire, pression démographique maximale, dégradation environnementale d’origine anthropique et notamment la déforestation qui entraîne l’érosion des sols, changements dans les réseaux économiques avec, peut-être, l’émergence d’une classe marchande, abandon de l’idéologie selon laquelle la royauté est responsable de la prospérité et de la fertilité du territoire. À l’instar du déclin de la fin du Préclassique, cette situation socio-politique, économique et environnementale déjà critique a pu être aggravée par d’importantes perturbations climatiques. En effet, plusieurs études ont mis en évidence des épisodes de sécheresse sans précédent à la fin du Classique et au début du Postclassique (e.g. Douglas et al., 2015; Hodell, 2001; Kennett et al., 2012; Medina-Elizalde et al., 2016). Mais la variabilité spatio-temporelle qui existe dans le déclin ou au contraire la continuité de l’occupation des cités, de même que l’incohérence entre les enregistrements paléoclimatiques et certaines données archéologiques (Douglas et al., 2016; Fleury et al., 2015), mettent aussi en lumière l’importance du facteur humain dans la compréhension de ce phénomène complexe. Les réponses sociétales aux perturbations environnementales dépendent très clairement de la résilience de chaque état, elle-même conditionnée par un ensemble de facteurs démographiques, socio-culturels, économiques et politiques (Aimers et Iannone, 2014; Aimers, 2007; Fedick, 2010; Turner et Sabloff, 2012).

57