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DEUXIEME PARTIE : CADRE THÉORIQUE

Chapitre 4 : Les interactions dans l’apprentissage collaboratif

Pour Jehng (1997, p.27), les moments d’apprentissage collaboratifs doivent être privilégiés par rapport aux moments coopératifs parce qu’ils « suscitent davantage d’interactions et se révèlent plus productifs pour les élèves». Dans la coopération, la tâche est distribuée entre tous les membres d’un groupe (Henri et Lundgren-cayrol, 2001). Une telle distribution dans la coopération peut limiter les interactions puisque chaque membre, responsable d’une sous-tâche, n’a pas nécessairement à interagir avec les autres membres du groupe.

Nous avons vu que, pour Dillenbourg et Baker (1996), la collaboration est une tentative continue pour construire et maintenir une conception partagée du problème à résoudre. Suivant le travail de Vygotsky, l'apprentissage se construit à travers l'interaction sociale (Schneuwly et Bronckart, 1985) et l’apprentissage collaboratif (collaborative learning) est l’effort nécessaire pour construire une compréhension commune (Baker, 2015 ; Dillenbourg et Baker, 1996 ; Schwartz, 1995).

Pour Dillenbourg et al. (1996), la qualité de la collaboration est notamment subordonnée à l’efficacité de la communication entre les élèves et, de façon plus générale, à la qualité des interactions entre les élèves et l’objet de leur activité. Or,

quand les élèves sont censés interagir entre eux, « ils développent rarement des interactions productives, telles que les questionnements profonds, les explications et les justifications données aux autres, l’articulation des raisonnements ou l’élaboration et la réflexion sur leurs propres connaissances »14 (Kobbe et al., 2007, p.4). Les apprentissages sont la conséquence des processus cognitifs déclenchés à partir des interactions. L’analyse des interactions entre les élèves est utile pour la compréhension des processus d'apprentissage dans les activités collaboratives, par exemple en ce qui concerne l'interprétation des conflits sociocognitifs (Doise et Mugny, 1997). Ainsi, Bruner (1997) contribue à la compréhension de l'apprentissage social en évaluant le soutien (étayage) entre les élèves. Pour Dillenbourg et Jermann (2007), l’efficacité des apprentissages est opérationnalisée au moyen des questions- réponses posées dans le groupe, des explications, des négociations, etc. Webb (1982) propose l’évaluation des interactions du type « Proposition-Réponse- Réaction » pour comprendre les processus de l’activité collective.

Les premiers modèles de codage d’interactions des petits groupes ont été élaborés par Bales (1950). Il permet de prendre en considération trois processus de natures différentes (Kumpulainen et Mutanen, 1999) :

- les processus cognitifs : comportements reliés ou non à la tâche ;

- les processus sociaux : comportements de collaboration, d’individualisme, de domination, de conflit et de confusion ;

- les fonctions du langage qui englobent l’information, le raisonnement, l’évaluation, l’interrogation, la réponse, l’organisation, le jugement/accord, le jugement/désaccord, la composition, la révision, la dictée, la lecture, la répétition, l’expérience et l’affection.

Ces trois processus complètent les travaux de Sizmur, qui (1) a proposé un cadre épistémologique quant à l’analyse des fonctions du langage ; (2) a comparé la qualité des cartes conceptuelles produites individuellement avec celles produites collaborativement, et (3) a ensuite analysé les conversations des groupes ayant travaillé de façon collaborative à partir d’une perspective sociolinguistique, afin d’identifier les processus de travail dans la discussion.

Au travers des interactions verbales, nous pouvons analyser les changements de représentations mentales des élèves : « Parler, c’est échanger, et c’est changer en échangeant » (Kerbrat-Orecchioni, 2008). Cette déclaration complète la vision de Searle, pour qui l’intention communicative permet d’extérioriser les phénomènes mentaux, et complète aussi la vision de son prédécesseur Austin, pour qui la façon de parler des individus révèle comment ils structurent les différentes situations et ce qu’ils perçoivent du monde. Pour Blanchet (2015, p.35-36) :

le langage représente par des signes (des mots) un certain état des choses et vise, au moyen de ce support, à modifier l’état de l’auditeur […] Si le langage sert en premier lieu à signifier, il sert en second lieu à agir, c’est-à-dire à altérer d’une manière ou d’une autre l’état de l’auditeur.

Dans la méthodologie de cette recherche, nous décrivons en détail les travaux de Sizmur pour la catégorisation d’interventions orales. Baudrit (2007, p.18) cite différents auteurs (Bruner, 1985; Cole, 1985; Rogoff, 1986; Williams, 1989) pour soutenir que « les connaissances se construisent au travers d'interactions entre les personnes au sein d'une société ». Ainsi, les interactions sont souvent analysées afin d’évaluer les stratégies utilisées par les élèves pour construire des connaissances. Hogan, Nastasi et Pressley (2000) ont proposé des catégories d’analyse du discours pour identifier, entre autres, les questions posées aux membres du groupe, les réponses argumentées ou courtes, les rejets d’actions ou les opinions.

4.1 Le script collaboratif

Nous avons présenté plusieurs méthodes qui montrent la structuration du travail collaboratif en co-présence et qui servent à scénariser les activités collaboratives. Lorsque nous transposons l'utilisation d'un cahier personnel et d’un tableau blanc dans la classe, à un environnement numérique de travail, nous constatons que les technologies permettent la création et le partage rapide des informations. Les caractéristiques techno-pédagogiques des environnements d'apprentissage (face-à-face, en ligne, papier / artefact ...) modifient la conception et l'exécution de l'activité. Dans le domaine du Computer Supported Collaborative

Learning (CSCL), les méthodes qui structurent l’apprentissage collaboratif en co-

présence (Palincsar et Brown, 1984) sont appellées « script ». Dans ce sens, les scénarios pédagogiques sont énoncés avec un script, qui est représenté par un ensemble d’activités qui structurent les interactions des élèves. À ce propos,

Betbeder et Tchounikine (2003) présentent le script Rechercher-Structurer- Confronter (RSC) dans lequel les élèves sont amenés à travailler en projet pendant quelques semaines pour arriver à un objectif commun au groupe. Ce script est divisé en 3 phases : (1) chaque membre du groupe fait une recherche informationnelle sur l’internet pour se familiariser avec le sujet traité ; (2) chaque membre du groupe structure personnellement les informations recueillies en fonction de la tâche demandée ; (3) le groupe construit collectivement à partir des productions individuelles.

Zumbach, Schönemann et Reimann (2005, p.761) ont proposé de catégoriser les interventions des élèves à partir d’une grille d’analyse de la collaboration par dyades qui interagissent en action-réaction (tableau 3). La proposition de ces auteurs a contribué au développement d’un scénario d’apprentissage assisté par ordinateur qui prend en compte 9 types d’actions possibles : proposer une idée, demander de l’aide, aider les autres, coordonner l’activité, construire des connaissances, etc. Ces types d’action font référence à l’identification des actes de langage (proposer ou rejeter une idée, compléter des informations,…) que nous allons approfondir dans la partie empirique de cette recherche.

Tableau 3 Capture d'écran CSCL proceedings, Zumbach, Schönemann et Reimann, 2005, p.761

Le tableau 3 illustre les actions des élèves (accepter [A1], aider [A2], proposer [A3],…) disposées en deux colonnes (action-réaction) représentant la séquence et l’interdépendance des contributions des élèves (Barron et Sears, 2002). Le logiciel de ces auteurs permet de suivre les interactions des élèves. D’après le paradigme d’interactions, les catégories d’analyse du discours permettent d’identifier la

fréquence de chaque type d’intervention, que Baker (2015) a considérée comme des variables permettant d’appréhender des écarts dans les apprentissages de groupes différents. García et Pineda (2010) font état du nombre de recherches que nécessite l’analyse des interactions pour suivre l’activité des participants à partir du nombre et du type de messages que les élèves échangent entre eux. Si différents auteurs (Lapointe, 2005 ; Sringam et Geer, 2000) montrent que les interactions entre les élèves sont bénéfiques pour les apprentissages, d’autres (Mäkitalo-Siegl, 2008; Merrill et Gilbert, 2008) révèlent, au contraire, que tous les types d’interactions entre les élèves ne participent pas de la construction des connaissances. Par conséquent, García et Pineda (2010) proposent de comptabiliser non seulement le nombre d’interactions mais aussi les types d’interactions et leur impact sur les apprentissages des élèves.