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Le paysage urbain au centre des attentions institutionnelles

Pour une intégration du paysage dans les réflexions sur la mobilité pédestre

2. Le paysage urbain au centre des attentions institutionnelles

Institutionnellement, le paysage urbain n’est réellement reconnu que depuis quelques années (Huetz de Lemps, 1999). Bien que tardif, cet avènement politique du paysage est positif même si les textes officiels qui s’y réfèrent laissent une impression mitigée. Lois, conventions, chartes sont autant de preuve qu’un pas a été franchi et que le paysage a cessé d’être cantonné

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public.

à un rôle secondaire. Certes, cela constitue une avancée, notamment pour la pris conscience collective de l’importance du paysage. Mais on se sent quelque peu à l’étroit lorsque l’on examine les définitions et les orientations fixées, souvent trop restrictives.

2.1. Le cadre législatif du paysage

Plusieurs lois se sont succédées en faisant référence au concept de paysage urbain. Les plus importantes sont détaillées ici car elles sont le témoignage d’une prise de conscience institutionnelle tout en constituant le socle des interventions publiques.

La loi de 1977 sur l’architecture institue les CAUE (conseils d’architecture, d’urbanisme et d’environnement) tout en soulignant que "la création architecturale, la qualité des

constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains, ainsi que du patrimoine" est d’intérêt

La loi "paysage" de 1993, qui fait référence en France, a apporté un certain nombre de modifications aux textes législatifs existants. Elle est la première à exposer explicitement les conditions d’une protection et d’une mise en valeur des paysages au sens large. Même s’il ne s’agit pas d’un indicateur à proprement parler, un simple comptage des thématiques des articles suffit à éclairer les orientations paysagères de cette loi : elle modifie 11 articles du code rural contre seulement 4 du code de l’urbanisme. Par ailleurs, la loi "paysage" a ajouté le mot paysager aux anciennes zones de protection du patrimoine architectural et urbain (les ZPPAUP remplaçant les ZPPAU). Elle a attiré ainsi l’attention sur le paysage urbain et les zones de protection doivent désormais reposer sur une connaissance fine du tissu urbain et de la valeur que les habitants lui portent en tant que cadre de vie (Huet, 1998). Ce fut un pas en avant non négligeable puisqu’auparavant, seule la dimension historique des bâtiments était prise en compte. Ces zones de protection "peuvent être instituées autour des monuments historiques et

dans les quartiers, sites et espaces à protéger ou à mettre en valeur pour des motifs d’ordre esthétique, historique ou culturel". La notion de visibilité est déterminante et le texte vise à

préserver les perspectives, places et autres axes qui sont liés visuellement aux espaces protégés. Ainsi, l’objectif est en partie de préserver l’environnement paysager immédiat des monuments remarquables par le biais d’interdictions, de limitations ou d’obligations dans les

normes constructives20 ; à ce titre, les ZPPAUP sont souvent considérées comme des PLU21

qualitatifs. Malheureusement, on perçoit bien que les préoccupations restent davantage centrées sur des sites à caractère remarquable et que l’intérêt pour les paysages urbains reste

r objectif la préservation de ceux qui possédaient un caractère esthétique, historique ou écologique. Les

plantées à moins de 100 mètres des autoroutes ou voies express et à moins de 75 mètres des autres routes à grande circulation.

été créé. Organe encore beaucoup trop circonscrit. Les paysages ne sont pas réellement considérés comme des éléments ordinaires du quotidien des citadins.

Pourtant, il s’agit là d’un non-sens… le paysage n’est ni extraordinaire, ni à préserver à tout prix. Il est potentiellement partout et en constante évolution ; en somme, il est "ultraordinaire". Il n’est pas question de dénigrer les choix de préservation, souvent faits à bon escient mais le fait d’éluder le paysage urbain est préoccupant voire choquant. Déjà les POS, aujourd’hui remplacés par les PLU, prenaient en compte la qualité des paysages et avaient pou

POS avaient donc un impact certain sur les paysages (Dupont, 1994) mais seulement sur les plus exceptionnels d’entre eux.

Un changement important peut être associé à la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement car elle institue le paysage comme une ressource à valoriser et à exploiter tout en reconnaissant que le paysage peut être ordinaire. Parallèlement, elle fixe les "dispositions relatives aux entrées de villes", les nouvelles constructions ne pouvant être im

Par un arrêté datant du 8 décembre 2000, le Conseil National du Paysage a

consultatif, il a pour mission de faire un état des lieux annuel de l’évolution des paysages en France et peut proposer des mesures visant à les améliorer. Ce suivi longitudinal orchestré par les pouvoirs publics est une première en France.

Au final, le code de l’environnement fait toutefois peu de place au paysage urbain et considère plutôt la ville comme un anti-paysage alors que, dans le code de l’urbanisme, le paysage urbain est associé à l’esthétique (Blanc et Glatron, 2005). Naturellement, aucune de ces situations n’est satisfaisante car le paysage urbain reste un élément peu pris en compte.

2.1.1. Les règlements urbanistiques

A ces lois très générales viennent se greffer des règlements22 qui agissent sur le devenir des

paysages urbains. Plus ou moins contraignants d’une ville à l’autre, ou à l’intérieur d’une même ville, ils peuvent être révisés selon les orientations fixées par les autorités compétentes. En terme de construction, les promoteurs doivent donc composer avec des normes précises : emprise au sol, hauteur des constructions souvent dépendante de la largeur de la rue,

20 - Implantation, volume, hauteur et aspect extérieur des constructions sont rigoureusement définis. 21 - Plans locaux d’urbanisme.

22 - Les CAUE (conseil pour l’architecture, l’urbanisme et l’environnement) participent à la formalisation de ces règlements.

prospect23, types d’activités, habitat résidentiel ou collectif, superficie et profondeur de la

parcelle, rapport libre/construit… qui sont autant de restrictions à leurs libres agissements. Ces règlements sont primordiaux pour les décideurs qui peuvent ainsi peser sur le devenir de la ville : pour répondre aux problèmes actuels, ils s’en servent par exemple pour densifier les villes et pour agir contre l’étalement. Logiquement, ces règlements sont aussi au cœur des modifications paysagères des villes.

2.1.2. La jurisprudence

Pour être complet au sujet du rapport entre droit et paysage, il faut rappeler que la

2.2. Les lectures du paysage : privilégier la synergie des conceptions

prendre en compte et ne pas l’imaginer, la simplifier. Car les décideurs qui ne s’intéressent pas

jurisprudence, qui fait force de loi et comble les lacunes législatives, utilise souvent le paysage comme argument dans le cadre de décisions. Notion à la mode donc si l’on en croit le nombre d’arrêts y faisant référence mais éminemment floue si l’on examine quelques citations prononcés dans le cadre de jugements, rapportées par M. Huet (1998) :

- "le paysage a un caractère sauvage" ; - "le paysage est remarquable" ;

- "le paysage a les caractéristiques d’un patrimoine naturel et culturel" ; - "il faut respecter le caractère du paysage urbain" ;

- surtout lorsque celui-ci est "détérioré", "altéré" ou "mité".

Il est aisé de déceler l’embarras dans lequel se trouvent les juristes face au concept de paysage en milieu urbain. On peut noter une débauche de bonne volonté mais quelle réalité, quelle homogénéité dans ces discours ? Qu’est-ce qu’un paysage mité ? Quel est le caractère du paysage urbain ? Le droit n’échappe pas aux erreurs de définition et contribue au contraire à opacifier le débat. Ceci est d’autant plus gênant que les décisions juridiques interviennent en dernier recours en cas de litige.

Trop souvent, les actions paysagères ont comme unique but de préserver des paysages dont on pense a priori qu’ils ont une certaine valeur. La nécessité d’appréhender les préférences des individus pour réellement améliorer la perception d’ensemble des paysages (Denef, 2005) est peu reconnue. Les recherches à ce sujet demeurent trop rares même si la multiplication récente des questionnements paysagers a conduit à la définition de politiques paysagères plus précises, comme en témoigne la convention européenne du paysage (conseil de l’Europe, 2000) dans son objectif de qualité paysagère (encart 3).

Toutefois, on oppose encore aujourd’hui souvent la lecture experte et utilitaire du paysage (celle des scientifiques - architectes, urbanistes… - et des décideurs) à la lecture affective, souvent considérée comme irrationnelle ou sans intérêt, des habitants. La ville n’a pourtant rien à gagner de cette dualité. La lecture experte doit plutôt s’enrichir de la lecture affective, la

aux pratiques individuelles nient l’existence du filtre perceptif ou considèrent qu’il agit de la même manière pour tous ! Il s’agit d’une simplification extrême de la réalité qui ne peut donner satisfaction dans l’optique d’un aménagement urbain durable et réussi. De leur côté, les scientifiques doivent mobiliser leurs représentations théoriques et objectivées de la ville dans le but de préciser les représentations politiques et afin d’améliorer le fonctionnement de la ville des résidents. Car la ville vécue par les habitants doit être considérée comme l’élément central d’une triade dans laquelle les représentations de la ville sont très différentes (figure 23). De toute évidence, il existe encore un décalage important entre la perception des espaces publics des aménageurs et des résidents (Mburu, 2000) qu’il faut résorber.

La convention européenne du paysage a le mérite d’affirmer de façon claire l’existence des paysages en milieu urbain et l’intérêt qu’ils représentent. Elle reconnaît notamment que le paysage est "partout un élément important de la qualité de vie des populations : dans les milieux urbains et dans les campagnes". La prise en compte du paysage est par conséquent primordiale puisqu’il participe à "l’intérêt général sur les plans culturel, écologique, environnemental et social (…) dans les espaces remarquables comme dans ceux du quotidien". Les objectifs de la charte peuvent être appréhendés à partir de quelques définitions clés. On notera avec intérêt la définition d’objectif de qualité paysagère.

Définition du paysage : "il désigne une partie du territoire telle que perçue par les populations, dont le

caractère résulte de l’action de facteurs naturels et / ou humains et de leurs interrelations"

Politique du paysage : "désigne la formulation par les autorités publiques compétentes des principes

généraux, des stratégies et des orientations permettant l’adoption de mesures particulières en vue de la protection, la gestion et l’aménagement du paysage".

Objectif de qualité paysagère : vise à comprendre et à énoncer, pour les décideurs, les attentes des

populations en ce qui concerne les paysages participant à leur cadre de vie.

Aménagement des paysages : dans la charte, l’aménagement des paysages est indissociable de la notion de

prospection, que ce soit dans un but de revalorisation de paysages existants ou de création de "nouveaux" paysages.