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Comme durant la période précédente, Disraeli est invoqué en tant que figure de proue conservatrice dans le domaine social. Il est largement utilisé et en majorité par des conservateurs, alors que les travaillistes concèdent son bilan et parfois son rôle de pionner en la matière. Disraeli incarne la tradition sociale des conservateurs. Son nom apparaît toutefois en compagnie de celui de Lord Shafesbury, ce qui ne change pas par rapport à la période précédente.2 D'autres figures conservatrices font toutefois leur apparition : des noms plus lointains, comme Samuel Wilberforce (1805-1873),3 ou plus récents, comme Joseph Chamberlain4 ou son fils Neville,5 voire Baldwin,6 Butler7 et Macmillan.8 De leur côté, des travaillistes comme Douglas Houghton déclarent : « I think it must be conceded that Disraeli

was responsible for the introduction of the first Workmen's Compensation Act, though I should be quite happy to be contradicted. »9 Ils ne critiquent plus Disraeli et ne le présentent

1 T. Kushner, « One of Us? Contesting Disraeli's Jewishness and Englishness in the Twentieth Century », in T. M. Endelman and T. Kushner (ed.), Disraeli's Jewishness, Valentine Mitchell, Londres, 2002, p. 245.

2 Sir Brandon Rhys Williams (conservateur), Hansard, dcccvi. 279, 10 novembre 1971. 3 Sir Peter Tapsell (conservateur), Hansard, dcccxlv. 876, 7 novembre 1972.

4 Derek Walter-Smith (conservateur), Hansard, cdliii. 1485, 15 juillet 1948.

5 William Shepherd (conservateur), Hansard, cdxliv. 1671-1672, 24 novembre 1947. 6 Sir Brandon Rhys Williams (conservateur), Hansard, dcccvi. 279, 10 novembre 1971. 7 Anthony Crosland (Labour), Hansard, dcccxxi. 1099-1100, 19 juillet 1971.

8 Sir Peter Tapsell (conservateur), Hansard, dcccxlv. 876, 7 novembre 1972. Dans cet extrait, Tapsell s'en prend à Enoch Powell, qu'il présente comme un défenseur du libéralisme économique, contraire à la tradition conservatrice.

9 Hansard, dxxi. 79, 23 novembre 1953. « Je crois qu'il faut concéder le fait que Disraeli était responsable de l'introduction du premier Workmen's Compensation Act, bien que je serai très heureux d'être contre-dit. »

plus comme un opportuniste sans conviction. Au contraire, ils l'utilisent pour fustiger ses héritiers comme Lord Burden (Labour) qui estime que durant deux décennies, le Parti Conservateur n'a rien fait pour améliorer les conditions de vie de la population, en dépit des enseignements de Disraeli.1 De même, en 1971, William Molloy (Labour) s'en prend à Heath en lui rappelant ses invocations de Disraeli :

One Tory leader sincerely wanted to unite the nation. He was a man who is often quoted by the present Prime Minister as a great Tory statesman, as I believe he was. He was Benjamin Disraeli, and when he discovered what sort of a party he was leading he still had the courage to regard it as organised hypocrisy.2

En dépit de la multiplication des références possibles sur le sujet, Disraeli reste la figure incontestée pour représenter la tradition sociale conservatrice. Shafesbury est peut-être son plus grand rival, mais il reste toujours associé à ce dernier et reste une figure mineure. La famille Chamberlain subit les conséquences du discrédit de Neville, en dépit de son remarquable bilan, tout comme Baldwin semble affecté par l'ombre de la Seconde Guerre mondiale. Enfin, les références à Butler et Macmillan n'apparaissent qu'à la fin de la période et ne sont que des cas rares, ce qui s'explique sûrement pas le peu de recul entre la fin de leur vie politique active et le moment de la référence. Toutefois, la filiation semble bien établie comme en témoigne la déclaration de Peter Tapsell en 1971 :

I am a strong believer in the politics of moderation and reconciliation, handed down to us by Disraeli, by Baldwin and by Harold Macmillan.3

Dans un domaine très proche, celui de la politique économique, voire du système économique en lui-même, Disraeli est utilisé par certains individus afin de dénoncer le libéralisme économique. Le fils d'Harold Macmillan, Maurice, fidèle à son père et à son héros, dit ainsi soutenir en principe l'intervention de l'État dans l'industrie, puisque depuis l'époque de Disraeli, le parti conservateur n'est pas le parti du libéralisme économique.4 Enfin, le 13 juillet 1960, le travailliste et syndicaliste gallois Cyril Bence se lance dans un exercice d'admiration assez exagéré de Disraeli afin de critiquer violemment le système financier britannique et son emprise néfaste sur l'industrie du même pays :

It all reminds me of what was written by a politician whom I have always admired tremendously; the founder of the Primrose League, a great statesman and, in my 1 Hansard, ccxii. 307-308, 6 novembre 1958.

2 Hansard, dcccxx. 125, 28 juin 1971. « Un dirigeant Tory voulait sincèrement unir la nation. C'est un homme qui est souvent cité par le Premier Ministre actuel comme un grand homme d'État Tory, ce en quoi je crois aussi. C'était Benjamin Disraeli, et lorsqu'il découvrit le genre de parti qu'il dirigeait il eut encore le courage de le considérer comme une hypocrisie organisée. »

3 Hansard, dcccxx. 139, 28 juin 1971. « Je suis fervent croyant des politiques de modération et de réconciliation, transmises par Disraeli, par Baldwin et par Harold Macmillan. »

view, a literary giant. He coined eight thousand new words in the English language. He wrote a book called Coningsby. Coningsby was a student at Oxford, and the nephew of the Duke of Monmouth. […] There he met a gentleman named Sidonius. [sic] […] Coningsby said to Sidonius, "Excuse me, you are not English, are you?" Sidonius replied. "No, I am not of any nationality. I do not really support any nation." "Good gracious me", said Coningsby, "you are a citizen of the world?" "Oh, yes", said Sidonius, "I can almost say that I control the world." Said Coningsby, "Are you a king?" "No". said Sidonius, "I hate kings, I drag them down." This was written by Disraeli, the founder of the Tory Party. At the end of this dialogue Coningsby said, "You have almost as much power as the Almighty." "My good man", said Sidonius, "I have much more. I am a financier."1

De toutes les références portant sur Disraeli sur les trois périodes étudiées, cette tirade de Cyril Bence est de loin la plus dithyrambique, la plus folklorique et la moins précise. Outre que Disraeli n'est pas le fondateur de la Primrose League, qui célèbre sa mémoire, il n'a vraisemblablement pas ajouté huit milles nouveaux mots à la langue anglaise. Enfin, la citation du roman Coninsgby est plus qu'incorrecte, puisque le héros de celui-ci vient de Cambridge, comme son modèle George Smythe, membre de Young England. Enfin, Sidonia se voit décliné en « Sidonius ». Bence lui attribue de plus une connotation négative alors que Sidonia partage un certain nombre de caractéristiques avec Disraeli et le personnage est souvent présenté comme un mélange de Rothschild et de Disraeli. Toutefois, en dépit des fantaisies de la citation, ce passage prouve une nouvelle fois la versatilité des usages de Disraeli par le champ politique.