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Harold Macmillan, le disraélien

R. A Bulter : l'incarnation du conservatisme One Nation

Toutefois, après-guerre, c'est R. A. Butler (1902-1982), plusieurs fois ministres et un temps président du parti conservateur, qui fonde et qui incarne le conservatisme One Nation,1 comme le confirme Edward Heath dans ses mémoires.2 Son Industrial Charter (1947) est le manifeste du renouveau du parti conservateur (les idées qu'il expose ne sont d'ailleurs guère éloignées de celles du Macmillan de The Middle Way). Butler participe de l'acceptation de l'État-providence et l'objectif de plein-emploi au sein du parti conservateur, bien qu'il soit personnellement battu en 1963 dans sa course à la succession de Macmillan (faisant dire à Sir Ian Gilmour que cet échec marque la fin du conservatisme One Nation pour le vingtième siècle, ce mouvement étant achevé définitivement par Margaret Thatcher).

Butler connaît certes bien son Disraeli, dont il use de certaines de ses formules aux Communes,3 ou dont il vante les réalisations législatives dans le domaine social.4 Butler, tout comme Macmillan, inscrit donc son action en faveur d'un conservatisme doté d'une conscience sociale dans la lignée de Disraeli. Toutefois, les mémoires de R. A. Butler, The art 1 I. Gilmour, « Butler, Richard Austen [Rab], Baron Butler of Saffron Walden (1902–1982) », Oxford

Dictionary of National Biography, OUP, Oxford, édition en ligne. Le terme de One Nation étant bien-sûr une

réponse aux deux nations de Disraeli.

2 E. Heath, The Course of My Life: My Autobiography, Hodder and Stoughton, Londres, 1998, pp. 128-129. 3 Hansard, ccxxxiv. 413, 23 janvier 1930 : citation de Disraeli sur l'industrie sucrière ; Hansard, cdxlv. 1023,

10 décembre 1947 : comparaison de la description de Metternich par Disraeli avec un parlementaire ;

Hansard, cdxcv. 53, 29 janvier 1952 : citation de Disraeli sur l'éducation.

4 Hansard, cd. 461-462, 13 février 1946 : à propos de sa législation sur les syndicats ; Hansard, dlxxii. 46-47, 25 juin 1957 : sur l'œuvre législative sociale de Disraeli.

of the possible: the memoirs of Lord Butler, éclairent l'historien sur les appréciations qu'il

porte sur Disraeli. Butler ne dénie pas l'influence de Disraeli sur son engagement social de l'après-guerre :

I had derived from Bolingbroke an assurance that the majesty of the State might be used in the interests of the many, from Burke a belief in seeking patterns of improvement by balancing diverse interests, and from Disraeli an insistence that the two nations must become one. If my brand of Conservatism was unorthodox, I was committing heresy in remarkably good compagny.1

Bulter reprend au passage l'idée de Macmillan selon laquelle leur conservatisme n'était pas orthodoxe. Leur domination de la scène politique conservatrice a cependant contribué à faire de cette branche du conservatisme le canon de la période. Il convient enfin de noter que R. A. Butler est l'auteur d'une introduction pour une édition de poche du roman Sybil.2

Butler émet toutefois à plusieurs reprises des réserves sur la personnalité de Disraeli, comme lors d'un essai sur Aneurin Bevan et l'art oratoire :

I have always felt that Disraeli, despite all his brilliance, was not as profound as some, his verbal dexterity sometimes masked superficial thinking, and therefore, although I give him very high place, I would not put him above Aneurin.3

Ces doutes s'expliquent en partie par la brève carrière d'historien de Butler, qui lors de sa dernière année de licence à Cambridge choisit d'étudier les quatre années du mandat de Sir Robert Peel. Dans ses mémoires, il ne cache pas que ses sympathies vont en direction de Peel et non de son célèbre opposant.4 Cette préférence est toutefois plus discrète aux Communes et Bulter a plus souvent recours au tombeur de Peel qu'à sa victime. Le 4 mars 1930, alors que la Chambre s'agite sur la question du protectionnisme, il en appelle ainsi à la prédiction de Sir Robert Peel, qui estimait que le libre-échange serait un jour abandonné, afin de remettre en cause le status quo sur les tarifications douanières.5 Enfin et de façon plus anecdotique, le 7 décembre 1949, il s'inquiète du lieu où sera transférée une statue du grand homme, révélant au passage son admiration pour ce dernier :

1 Lord Butler, The Art of the Possible, Hamish Hamilton, Londres, 1971, p. 134. « J'avais retiré de Bolingbroke l'assurance que la majesté de l'État pourrait être utilisée dans l'intérêt des plus nombreux, de Burker une croyance dans la recherche d'améliorations à travers l'équilibre d'intérêts différents, et de Disraeli une insistance sur le fait que les deux nations doivent devenir une. Si ma version du conservatisme était hétérotodoxe, j'étais hérétique en remarquable bonne compagnie. »

2 R. A. Butler (Introduction), in B. Disraeli, Sybil, or, the Two Nations, Penguins Books, Londres, 1980.

3 Lord Butler, The Art of Memory: Friends in perspective, Hodder and Stoughton, Londres, 1982, p. 82. « J'ai toujours eu le sentiment que Disraeli, en dépit de son brio, n'était pas aussi profond que cela, que son habilité verbale voilaient parfois un raisonnement superficiel, et donc, bien que je le place très haut, je ne le mettrai pas au-dessus d'Aneurin. »

4 Lord Butler, The Art of the Possible, Hamish Hamilton, Londres, 1971, p. 17. 5 Hansard, ccxxxvi. 311, 4 mars 1930.

I have a particular passion for Sir Robert Peel and I should like to know whereabouts I shall find him in the future.1

R. A. Butler, bien qu'indéniablement influencé par Disraeli, se révèle moins disraélien que ses engagements, ses réalisations et son association avec le terme One Nation, le laissent à croire.2 R. A. Butler serait-il à Harold Macmillan, ce que Neville Chamberlain fut à Baldwin ? Un grand législateur avançant sur la question sociale grâce aux jalons rhétoriques disraéliens posés par son patron ? L'inscription du terme disraélien de One Nation dans le vocabulaire politique de l'époque est toutefois indéniablement liée à l'action de Butler.