• Aucun résultat trouvé

En terme de statues, Gladstone dépasse vraisemblablement Disraeli, qui se contente principalement d'une statue sur Parliament Square, d'une à Liverpool devant St George's Hall,6 ou dans de petites localités comme Ormskirk, grâce aux initiatives de la Primrose

League. Toutefois, contrairement au précédent, la résidence de Disraeli, Hughenden, près de

High Wycombe, est un monument historique ouvert au public, contrôlé par le National Trust. Disraeli n'est pas le seul Premier ministre dont le lieu de vie ait été transformé en musée. Il est aujourd'hui possible de visiter Hatfield House, le manoir de la famille Cecil et donc du Marquis de Salisbury, tout comme Blenheim fait office de musée de substitution pour Winston 1 Iona Davey, « A Prophecy by Disraeli », The Times, 24 août 1940, No. 48 703, p. 5.

2 « Old and True », The Times, 8 janvier 1941, No. 48 818, p. 7 ; « Old and True », The Times, 4 décembre 1943, No. 49 720, p. 7. Pour une citation de ce discours à la Chambre, voir : Vicomte Cranborne, Hansard, cxxxi. 999-1000, 25 mai 1944.

3 « Old and True », The Times, 23 octobre 1942, No. 49 374, p. 7. » Nous devons nous préparer pour l'heure H. Les revendications du futur sont représentées par des millions de souffrants ; et les Jeunes d'une Nation sont les gardiens de la Postérité. »

4 « Old and True », The Times, 2 décembre 1944, No. 50 006, p. 7.

5 « Old and True », The Times, 13 mars 1945, No. 50 090, p. 6. « Le plus grand ennemi de la prospérité de l'Allemagne n'est autre que la disposition naturelle de ses fils. »

6 La statue, réalisée par Charles Bell Birch en 1883 et financée par le Club Conservateur local, a d'ailleurs été une source de polémiques, puisqu'elle figure de façon proméminente sur la place, contrairement à celle de Gladstone – pourtant né à Liverpool – cantonnée à l'arrière du bâtiment.

Churchill, ce dernier devant partager sa mémoire avec celle de John Churchill, vainqueur de la bataille ayant donné son nom au palais, et avec celle des ducs de Marlborough successifs. Hawarden Castle, qui fut la résidence de Gladstone, est toujours en la possession de ses descendants contrairement à Hughenden mais Hawarden n'est pas ouvert au public.

De son vivant, le Major Coningsby Disraeli, neveu et héritier de Benjamin Disraeli, recevait déjà des visiteurs tous les 19 avril. Lorsque Coningsby décède en 1938, il ne laisse aucun héritier. Le manoir est alors racheté par un certain Mr. W. H. Abbey, qui souhaite voir celui-ci passer entre les mains du National Trust. Ces derniers sont prêts à recevoir la charge de la gestion du manoir à la condition que celui-ci soit accompagné d'un fond permettant son entretien (et qu'il ne soit pas livré avec des dettes). Une Disraelian Society voit le jour et cherche à réunir la somme. À partir de 1941, le château est toutefois occupé par le ministère de l'Air. Le 4 janvier 1944, la Disraelian Society publie un appel visant à récolter £4 500. Elle souhaite voir le manoir transformé en musée, réunissant des objets ayant appartenu à Disraeli, ainsi que sa correspondance politique. L'appel dans le Times est accompagné de photographies du manoir et de reliques disraéliennes.1 Quelques jours après, le Times apprend à ses lecteurs que l'un des premiers membres fondateurs (et généreux donateur) de la Disraelian Society n'est autre que George Arliss, qui espère que son exemple conduira d'autres personnes à se manifester et à contribuer au financement du manoir.2

Le château entre finalement sous la gestion du National Trust grâce à un financement populaire. L'inauguration est conduite sous l'égide de Lord Halifax, Winston Churchill ne pouvant être présent. L'ouverture au public de l'ancienne résidence d'un Premier ministre ne constitue en rien une nouveauté, comme le prouvent les exemples de Hatfield ou de Blenheim. Ces deux derniers exemples sont cependant des demeures aristocratiques appartenant toujours aux héritiers titrés : les Cecil et les Churchill. La gestion par une institution comme le National Trust, dont l'ambition des fondateurs était de « to

monumentalise English political, religious and literary traditions »3 afin de renforcer les liens entre les différentes populations anglo-saxones et de préserver une certaine vision de l'ordre social britannique,4 est un des signes de l'intégration de Disraeli dans le panthéon national britannique à la fin de guerre. Alors que Disraeli commença sa vie comme un intellectuel urbain, il voit la résidence muséifiée de ses derniers jours le consacrer en châtelain installé à 1 « Disraeli's Home », The Times, 4 janvier 1944, No. 49 744, p. 2 et p. 6 (photographies).

2 « Mr. George Arliss's Gift », The Times, 11 janvier 1044, No. 49 750, p. 6.

3 M. Hall, « The Politics of Collecting: The Early Aspirations of the National Trust, 1883-1913 », in

Transactions of the Royal Historical Society, Sixth Series, Vol. 13, (2003), p. 346. « monumentaliser les

traditions politiques, religieuses et littéraires anglaises » 4 Ibid, p. 357.

la campagne, correspondant parfaitement aux canons conservateurs, reposant sur une glorification de la campagne, tels que vulgarisés par Stanley Baldwin durant l'entre-deux- guerres.

Conclusion

La période allant de 1922 à 1945 marque le retour de Disraeli de façon proéminente. Trois traits définissent ce retour. Tout d'abord, la richesse des sujets pour lequel il fait une réapparition est impressionnante. Il ne se cantonne pas aux affaires domestiques comme la réforme sociale mais il embrasse des sujets plus généraux ayant trait à la définition du caractère anglais, à l'Empire, et aux affaires étrangères en général. Disraeli est ensuite réapproprié par le camp conservateur. Le « quiétisme » de Salisbury fait place à une politique plus active visant à stimuler la croissance économique, fondée sur la libre-entreprise, tout en maintenant l'ordre social.1 Enfin, parallèlement à cette réappropriation conservatrice, un grand nombre de travaillistes en appellent à l'œuvre littéraire du Disraeli, romancier et observateur social. Disraeli fait aussi son entrée dans la culture populaire grâce aux films qui lui sont consacrés, alors que sa demeure est achetée par le National Trust afin d'être transformée en musée. Progressivement, la figure de Disraeli cesse d'être principalement partisane pour devenir nationale.

Trois raisons semblent principalement présider à ces changements : un homme, un contexte et un message adaptés. Baldwin est définitivement le principal artisan de ce retour en force de Disraeli. La position occupée par Baldwin durant la période, son goût personnel pour Disraeli et son style de gouvernement fondé sur la communication publique contribuent à faire pour Disraeli, même sur une plus grande échelle, ce que ce dernier avait fait pour Lord Bolingbroke. Disraeli entre dans le panthéon conservateur, mais comme saint patron. Le contexte de lutte contre le socialisme, représenté à la fois par la menace électorale travailliste et la menace fantasmée du communisme rendent le message de Disraeli pertinent et adapté. Face à la montée des idéologies, le parti conservateur et Baldwin trouvent en Disraeli la meilleure approximation disponible de l'idéologue conservateur. Le message de Disraeli, fondé sur trois principes : la préservation des institutions, l'Empire et l'amélioration des conditions du peuple, trouve un écho particulier alors que les troubles sociaux menacent (ou sont perçus comme risquant) de déstabiliser le pays et que les appels à la lutte des classes risquent de menacer l'unité du pays. La présentation du parti conservateur par Disraeli comme un parti résolument national est un atout alors que Baldwin participe à des gouvernements de 1 P. Thane, The Foundations of the Welfare State, Longman, Harlow, 1982, p. 217.

coalition. Disraeli devient alors un des symboles de l'appel d'union nationale, alors que dans le même temps, la tradition sociale du parti conservateur se voit réellement consolidée par les mesures de Neville Chamberlain. Enfin, le choix de Disraeli s'explique aussi par son message positif face au pessimisme d'un Lord Salisbury.

Si Disraeli renaît de ses cendres durant cette période grâce à Stanley Baldwin, il continue à se régénérer après-guerre, bénéficiant doublement du travail de ce dernier. Baldwin ou Chamberlain auraient pu être récupérés par les conservateurs de l'après-guerre afin de justifier de leur engagement social. Le discrédit qui les affecte à cause de leur gestion de la préparation de la Seconde Guerre mondiale conduit à un oubli peu mérité dans le domaine des affaires sociales, à la fois en termes de réalisations et d'apaisement des conflits sociaux. Disraeli est donc repris par les conservateurs, à la fois puisqu'il constitue une inspiration réelle pour certains de leurs dirigeants, comme Macmillan, mais aussi parce qu'il est une référence plus lointaine et moins entachée, contrairement à des ancêtres directs aux réalisations sociales plus solides comme Baldwin et Chamberlain.