• Aucun résultat trouvé

Herbert Samuel et Disraeli partagent trois caractéristiques dans leurs parcours biographiques. Ils sont tous les deux issus d'une famille de confession israélite. Samuel se présente d'ailleurs comme le premier israélite à être membre d'un gouvernement, Disraeli ayant quitté la communauté enfant.3 Durant leur jeunesse, ils se sont intéressés à la question

1 The Times, 18 avril 1931, No. 45 800, p. 11. « peut-être le personnage le plus fascinant et le plus exceptionnel de l'époque victorienne. »

2 The Times, 20 avril 1931, p. 11.

sociale. Enfin, ils se sont tous les deux souciés du sort des Juifs, soit comme les promoteurs d'un proto-sionisme ou comme les défenseurs du sionisme naissant. Toutefois, au-delà de ces points communs, la comparaison s'arrête là, comme en témoigne le témoignage de Samuel dans son autobiographie : « I do not often find myself in agreement with Disraeli's opinions ».1 Né en 1870 dans une famille de banquiers juifs, Herbert étudie à Bailliol College, Oxford, mais c'est lors d'une campagne électorale pour le compte de son aîné, Stuart, qu'il découvre les conditions de vie des ouvriers londoniens. Cette découverte le conduit à s'engager pour le parti libéral, développant une pensée radicale pour celui-ci, s'abreuvant à la source fabienne. Il est élu député en 1902 à Cleveland et ses premiers faits d'armes parlementaires concernent la question coloniale. En 1905, il est appelé au gouvernement et sert comme secrétaire d'État auprès d'Herbert Gladstone, alors ministre de l'intérieur. Il fait passer plusieurs lois sociales avant de changer de poste. Lors de l'exercice de ses fonctions, il se montre efficace, mais n'en reste pas moins impopulaire. Pendant la guerre, il se hisse au poste de ministre de l'intérieur, qu'il perd en 1916 à l'occasion d'un remaniement favorable aux partisans de Lloyd George, dont il ne faisait pas partie. Durant cette même guerre, il développe un intérêt pour le sionisme – surprenant selon son entourage – qui le conduit à devenir haut commissaire pour la Palestine en 1920. Ses cinq années sur place marquent le sommet de sa carrière. Bien que tenté par une retraite anticipée dédiée à la philosophie, il retourne en Angleterre où il s'engage dans des activités de médiation sociale lors un conflit minier. En 1927, il retourne au service du parti libéral comme président et sert fidèlement Lloyd George, en dépit d'une animosité personnelle. En 1931, il devient le dirigeant du parti et entre au gouvernement d'union nationale à nouveau comme ministre de l'intérieur. Il démissionne en 1932 sur les accords d'Ottawa et règne sur un parti libéral diminué et divisé. Durant les trois années suivantes, Samuel est continuellement attaqué par Lloyd George et finit par perdre son mandat lors de la déroute électorale de 1935, qui marque à la fois la fin de son leadership et de sa carrière politique au premier plan. Élevé à la haute Chambre en 1937, il ne reçoit pas les fonctions auxquelles il aspire, mais s'engage dans le secours aux réfugiés juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Tout au long de sa vie, il publie de nombreux ouvrages philosophiques, peu pris au sérieux par les membres du sérail.2

Parmi les parlementaires de la période qui ont le plus souvent recours à Disraeli au Parlement, Samuel se trouve paradoxalement côte à côte avec Baldwin. Cette situation trouve sûrement une de ses explications dans le disraélisme de Baldwin, auquel le leader libéral se 1 Ibid, p. 245. « Je ne me trouve pas souvent en accord avec les opinions de Disraeli. »

2 B. Wasserstein, « Samuel, Herbert Louis, first Viscount Samuel (1870–1963) », Oxford Dictionary of

devait de réagir. Cependant, ce n'est pas l'héritage de Disraeli qui se voit disputé par Samuel. Il se préoccupe surtout de pointer les lacunes de ce dernier afin d'affaiblir l'assise de Baldwin. Le 13 mars 1930, sur la question du protectionnisme, Samuel rappelle qu'à l'époque de Peel, Gladstone et Disraeli, des hommes politiques ont tenu des propos antagonistes à différents moments de leur carrière. Toutefois, il décrit la performance de Baldwin comme unique puisque ce dernier est capable de tenir des propos contradictoires à la même période.1 Le 16 mars 1931, il rappelle que les plans visant à accorder un droit vote particulier pour les « capacités » ne sont pas viables, citant à l'appui les propositions rejetées de J.S. Mill et Disraeli durant les années 1860.2 La célèbre phrase de Disraeli portant sur les colonies et les désignant comme des fardeaux est rappelée à plusieurs reprises par Herbert Samuel alors que les conservateurs se présentent comme le parti de l'Empire.3 Cette présentation de Disraeli comme un « Little-Englander » à ses débuts permet de réhabiliter le parti libéral comme un parti soucieux de l'Empire. Enfin, critiquant Leslie Hore-Belisha, un libéral devenu membre du gouvernement national, il attaque le style de Disraeli remarquant :

As for the Financial Secretary to the Treasury, […] he spoke of the majestic nature of the recovery this country has made; one of the most miraculous rehabilitations ever recorded in history. That is an example of the use of rich rhetorical superlatives, which are his only resemblance to the Disraeli whom he so much admires. As a matter of fact, we have this year the highest unemployment figures ever known.4

Dans ses interventions, Samuel démythifie Disraeli et en particulier l'interprétation orthodoxe que Baldwin établit à la même époque, que cela soit sur les thèmes de l'Empire ou du protectionnisme, dernier sujet sur lequel le libéral – au sens économique du terme – Samuel s'oppose.5