• Aucun résultat trouvé

B : Marie-Antoinette, icône burlesque du marketing industriel

3. LE BURLESQUE DE LA COMMERCIALISATION DE LA REINE

Dans son article, Polanz évoque le service en porcelaine Bernardaud qu’utilise Sofia Coppola pour son film125 et qui serait selon la boutique en ligne de la marque une copie à l’identique de la vaisselle livrée le 2 janvier 1782 au château de Versailles. L’argumentaire de vente de la boutique souligne d’ailleurs la rareté du modèle : seules deux pièces intactes subsisteraient, l’une étant au Louvre et l’autre au château de Versailles. Se bornant à énumérer

l’objet, Polanz ne souligne cependant pas son paradoxe. Sur le site Bernardaud, la vaisselle est en effet décrite via un champ lexical de la simplicité, sa forme « is enchanting in its delicate

simplicity, its decoration placement seemingly improvised », ce qui entre cependant en opposition

avec le public auquel est destiné l’objet. Dans son ouvrage, Assouly consacre ainsi un chapitre à cette simplicité, rappelant que le raffinement s’opère dans la sélection d’un luxe simple et

authentique126. Le prix n’est en effet pas à la portée des plus humbles, une « simple » assiette

125 D’après le générique de fin

coûtant 160 euros127. Ce décalage entre la simplicité voire la rusticité de l’objet, lui conférant une sorte d’authenticité et son prix, hors de portée des ménages les plus modestes rappelle l’engouement européen pour les idées rousseauistes d’un retour à la vive rurale. La reine, soit par adhésion aux idées du philosophe, soit pour suivre une mode128 demandera la création du Hameau,

dissimulant par des extérieurs simples des intérieurs riches et où elle interprétait une vie

modeste129.

Le coût du service de vaisselle reste d’ailleurs un sujet à disputes et dépenses excessives. Ainsi, le président Macron passe en 2018 une commande à la Manufacture de Sèvres pour 1200

pièces, ce que les journaux estiment entre 50.000 et 500.000euros : « Le prix réel de l’opération

n’est pas encore connu (…) devrait atteindre, voire dépasser le demi-million d’euros au vu des tarifs courants affichés par la manufacture » (Canard Enchainé du 13 juin 2018, relayé par

capital.fr).

Des assiettes labellisées Marie-Antoinette se trouvent ainsi sur le site de la boutique des

monuments de France ou du château de Versailles, attestant l’efficacité de l’image de la reine

comme icone publicitaire. Aux côtés d’objets de luxe, telle la boite en laque « Marie-Antoinette »130, son portrait met en valeur différents objets. C’est par exemple cette collection d’assiettes à dessert Gien à 60 euros la pièce qui en quatre portraits différents illustre le destin de la reine « de la jeune dauphine adulée, à la reine épanouie puis déchue ». La nature usuelle et

banale de l’objet s’oppose alors à son image d’unicité et de luxe. La fonctionnalité même des objets

127 Bernardaud, service Marie-Antoinette (www.bernardaud.com/en/us/marie-antoinette)

128 Sa favorite Lamballe avait érigé une chaumière dans le domaine du château de Rambouillet en 1779 quand le hameau de la reine fut commandé en 1782. Mesdames, les tantes de Louis XVI auront-elles aussi un hameau à Bellevue.

129 Duvernois, Christian, Trianon : le domaine privé de Marie-Antoinette, Actes Sud, 2008 et Arizzoli-Clémentel, Pierre, L'Album de Marie-Antoinette : Vues et plans du Petit Trianon à Versailles, Gourcuff, 2008

est à prendre en considération puisque si ces assiettes peuvent être décoratives, leur finalité

première est de manger, de recouvrir le visage reproduit de la reine de nourriture, la salissant et

dégradant la reine de son rang d’intouchable, immaculée. L’utilisation se rapproche alors de la campagne publicitaire pour Mc Donald qui, pour vanter le caractère luxueux de ses sandwichs,

représentait un portrait de Marie-Antoinette, peint par Dagoty en 1775, le visage recouvert de

salade et de sauce blanche.

(Détournement du tableau Marie-Antoinette de Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty, 1775, par l’agence de communication TBWA pour McDonald's, Zürich, 2014)

Les campagnes publicitaires françaises ne sont pas en reste et même les messages

gouvernementaux abusent de son image… non pour vendre un sandwich mais pour prévenir la population que la consommation de fruits et légumes est casse-cou.

Retournant à la boutique de Versailles, nous trouvons différents avatars de la reine, chacun

particulièrement créé selon un public cible. Sous la forme caricaturale et épurée de « La petite

Marie-Antoinette », elle s’adresse à un public cible précis : les enfants. Créée par Jean-Michel

Bouleau, ce personnage accompagne les enfants dans un guide, livret jeu interactif du château.

Cette nouvelle forme adoucie et « liftée » est ensuite reproduite sous forme de poupées, ou brodée

sur différents objets tels des coussins, des sacs à dos ou des trousses. La simplification des traits,

qui allait justement à l’encontre de l’entreprise des portraits, visant à identifier et distinguer la personne peinte des autres. La caricature, inspirée des dessinateurs de manga japonais simplifie

ainsi la personne, la réduisant à une robe de cour ; une perruque de type pouf et un éventail. Ce

faisant, la caricature efface les caractéristiques physiques de son portrait tels son menton fort, la

couleur de ses yeux, ses sourcils, son front dégagé ou l’ovale de la tête. Seuls le rose aux joues et la peau très pâle pourraient évoquer les portraits de Vigée-Lebrun, notamment ceux à la rose ou

en robe de Gaulle. A partir du moment où un personnage est réduit à un costume, toute copie,

(La petite Marie-Antoinette, Jean-Michel Bouleau, ModelUnik)

Pour promouvoir des produits vendus au château de Versailles, la marque la Cocotte Paris

se saisit aussi du portrait et du nom de la reine pour proposer différents objets usuels tels des

torchons, tasses ou tabliers. L’entreprise parisienne sélectionne ainsi des parties du portrait de Marie-Antoinette aisément reproductibles, à savoir sa coiffe aux perles surmontée de plumes ou

rameaux, la fusionnant avec celle de leur mascotte, une poule de profil à l’œil agrémenté de longs

cils. Le gallinacé, animal symbolique de la France par sa paronymie avec la Gaule, est ici employé

pour souligner la spécificité française de l’entreprise131. Le nom de l’entreprise censé refléter le

génie des fondatrices Laetitia Bertrand et Andrea Wainer, qui se désignent elles-mêmes des

« poules », est cependant maladroit. Le terme de « cocotte » est selon le Larousse un mot

polysémique : utilisé par les enfants à la place de poule mais désigne aussi de manière vieillie une

« femme entretenue » et une « demi-mondaine » tels le personnage éponyme du roman de Zola

Nana ainsi que ses amies et rivales. Le CNRTL confirme cette acception citant un exemple issu

131 Qui cependant s’est ouverte à l’Europe pour ses tissus à la suite de son succès, affirmant que le choix d'une fabrication européenne est « une volonté de privilégier à la fois la proximité, un savoir-faire traditionnel et des entreprises à taille humaine et respectueuses de l'environnement » selon leur site internet

du Cahier des plaintes et des doléances de 1789 définissant cocotte comme une « femme de mœurs

légères ».

(Marie-Antoinette selon La Cocotte, reprenant le tableau même portrait de Dagoty page 5)

Outre cette maladresse lexicale, l’image d’une Cocotte Antoinette, même si elle produit un effet comique cher à la marque rappelle une autre transformation graphique subie par la reine 230 ans

plus tôt, dans la continuité de la campagne de diffamation de la reine. En effet en 1791, c’est une

tout autre image de reine volatile qui était émise. Aussi intitulée « poule » et assimilant donc la

reine à une volaille, la caricature attaquait directement et personnellement la reine. Apparemment

tout aussi humoristique que l’image de la Cocotte, la caricature de l’époque révolutionnaire était

beaucoup plus grinçante et critiquait à travers la reine, une partie de la noblesse132. Par le

truchement de la métaphore animale, en un seul dessin, la reine était attaquée immédiatement sous

132 Mis en évidence par de nombreux historiens et qu’Antoine de Baecque définit dans son livre La caricature

révolutionnaire comme : « tenant aussi bien de l’allégorie que de la déformation des physionomies, elle hésite

différents angles, que cela soit son origine étrangère, rappelée par le paronyme autruche / Autriche,

sa nature immorale car poule volage133, ou encore ses dépenses.

(Anonyme, la Poule d’Autru/yche ou La Constitution de 1791, Musée Carnavalet, 1791)

Le régime alimentaire vorace de l’animal est rapproché des dépenses excessives de la reine, l’assimilant à une croqueuse de diamants. Même si cette appellation est anachronique puisqu’attestée uniquement au début du XXe siècle, c’est bien ce sens qui est rappelé par le phylactère de l’image : « Je digère l’or / l’argent avec facilité ». L’autruche, quant à elle, animal omnivore, est toujours représentée aujourd’hui, notamment dans les dessins animés, comme vorace, dévorant avec un même appétit les végétaux, animaux ou objets134. Le détournement

familier de la « digestion » de la reine au sujet de la constitution prend alors un double sens : au

sens premier, elle ne peut digérer le papier ; mais en tant qu’autruche omnivore, elle dépasserait

133 Le terme de POULE désigne dès le XIIIe siècle de manière figurée une femme. Le sème de « frivole, inconstant infidèle » est attesté quant à lui pour le terme de VOLAGE depuis la fin du XIIe siècle selon le CNRTL

134 Voir annexes, l’autruche de Disney en 1937, animal curieusement réutilisé par l’argument publicitaire de la Conciergerie et des monument français en 2020.

cette limite. L’emploi de la « digestion », terme appartenant à un vocabulaire anatomique, est

impropre au langage de cour et créé un effet de burlesque. Par ailleurs, le sens figuré de digérer :

« supporter en silence ; accepter » est attesté dans le Littré dès le XVIIe siècle et est donc

vraisemblablement connu du caricaturiste.