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A : La première star moderne ?

2. DE LADY DI A MARIE-ANTOINETTE

Si F.F. Coppola compare Marie-Antoinette à Lady Di, cette comparaison devrait être inversée, la

reine de France précédant chronologiquement la princesse de Galles. Coppola ne parle cependant

pas de la figure historique mais de l’héroïne éponyme du film de sa fille qu’il découvre ou redécouvre. Le parallèle est cependant tellement réussi qu’il est par la suite justifié par des historiens et professeurs d’université. Ainsi, si Annie Duprat écrit en 2013 un essai sur les images et visages de Marie-Antoinette, l’éditeur est forcé d’évoquer le lien entre les deux royautés dans

la quatrième de couverture : « S’appuyant sur une riche iconographie, l’historienne Annie Duprat

démêle les représentations contrastées de la postérité de Marie-Antoinette, devenue malgré elle

« la Lady Di du XVIIIe siècle ». Ce lien est d’ailleurs évoqué dès l’introduction de l’essai par

l’auteure elle-même : « Héroïne pour tabloïds, elle est la Lady Di du XVIIIe siècle, une fashion

victim qui aimait et faisait la mode » (Duprat 11). Dans le même ouvrage, Duprat fera d’ailleurs

une autre référence aux deux figures royales, associées encore au film de Coppola : « L’échec

relatif du film de Jacquot tendrait-il à montrer qu’une seule image de Marie-Antoinette

conviendrait désormais au public, celle d’une Lady Di aguicheuse et frivole ? » (Duprat 173). Nicole Foucher Janin, spécialiste du cinéma qui cite la formule de Coppola père analyse cette

reine de l’écran », Foucher-Janin s’appuie ainsi sur une sorte de syllogisme que la réalisatrice livre à l’Express : « Marie-Antoinette était ce qu’on appelle aujourd’hui une fashion victim. À cette

époque, les cycles de mode étaient de très courte durée. C’est pourquoi [sic] dans chaque scène elle porte une robe différente. »276. Reprenant le terme de fashion victim, le film impose la vision

personnelle et moderniste assumée par Sofia Coppola.

Bien que réductrice, la comparaison rappelle que les deux figures couronnées vécurent des

tensions médiatisées dans le cercle familial de leur belle-famille royale. Toutes deux prirent aussi

un amant étranger, que ce soit l’Egyptien Dodi Fayed ou le Suédois Axel de Fersen. Outre ces similarités, Marie-Antoinette et Lady Di furent toute deux des aristocrates étrangères mortes à

Paris, confrontées à l’opinion publique, et entretenant avec cette dernière une relation d’attirance et de répulsion. Jugée par cette dernière, Marie-Antoinette est condamnée à mort notamment pour

sa prétendue corruption de mœurs et Lady Di, tentant d’échapper à l’opinion publique personnifiée par les journalistes et paparazzis avides de potins277 meurt dans un accident provoqué par ces

derniers. Marie-Antoinette semble ainsi comparable à Lady Di dans la mesure où toutes deux sont

prises dans un jeu de regard établi avec des spectateurs. Si Lady Di a affaire à des journalistes, ses

images et propos sont ensuite relayés et relatés dans les tabloïds pour satisfaire la curiosité des

abonnés. Durant leur vie, les deux femmes tentent de se ménager une vie privée, vie « secrète ».

Si l’une tente de se cacher en construisant le Trianon où elle se créé une vie artificiellement champêtre et intimiste ; l’autre essaie de se cacher des photographes en inventant différents

stratagèmes. Le secret devenant pour l’une synonyme de dissimulation et tromperie alors que pour l’autre, il s’associe au sensationnalisme, d’autant plus vendeur qu’il est difficilement atteignable,

276 L’Express, 15 mai 2006, p. 23, repris par Nicole Foucher-Janin dans « Marie-Antoinette, reine de l’écran »,

Apparence (s), L'autre scène de l'habit de cour : cinéma, théâtre, podium, 2015

sujet à scoop. Le destin de ces deux figures nous apprend que leur vie est forcément publique et

appartient au public, dans le prolongement de la phrase de Morin sur les stars : « leur vie privée

est publique, leur vie publique est publicitaire, leur vie d’écran est surréelle, leur vie réelle est

mythique » (Morin 13).

Célébrités similaires, leur niveau de popularité est cependant différent puisque si

Marie-Antoinette fut impopulaire durant sa vie, elle l’est devenue à postériori au travers des fictions biographiques dont elle est l’héroïne. Diana fut au contraire excessivement populaire, jouant de son image publique pour des actions humanitaires notamment contre le sida, les mines

anti-personnelles, le cancer. Si l’une est accusée de négligence et de mépris envers le peuple, devenant l’antonomase pour l’ignorance hautaine l’autre porte le pseudonyme de « princesse du peuple », ce dont témoignent ses obsèques en mondiovision.

Dans un article analysant la réception globalement empathique de Marie-Antoinette par les

femmes, Katherine Binhammer278, avance que la reine de France tout comme Lady Di fut

interprétée de deux manières contradictoires : comme symbole de la Femme, elle incarnerait des

valeurs nobles, esthétiques et morales, définies par le point de vue masculin ; comme symbole de

toutes les femmes, son rang n’aurait rien à voir avec son destin, elle se limiterait à son genre. Cette opposition entre deux figures de femmes fut cependant occultée pour s’assembler dans l’opposition de genre entre les hommes et les femmes. Binhammer introduit cependant cette idée par une réflexion lors du décès de Lady Di

Like many other feminist intellectuals I know, I found myself weeping in the

aftermath of the death of Diana, Princess of Wales (…) Like Princess Di, Marie-Antoinette was a woman in her mid-30s, also a young mother who died of unnatural

causes and in both cases commentators evoked sympathy through turning a

powerful royal figure into a symbol of sacrificed and victimized womanhood

(Binhammer 233).

Comment comprendre l’émoi suscité par une figure couronnée ayant cependant un style de vie très éloigné de son public en grande partie roturier ? Dans son ouvrage sur la visibilité, Heinich propose

ainsi un chapitre sur Lady Di, expliquant l’origine de la fascination que la princesse de Galles exerce :

Aristocrate richissime et célébrissime [elle] est devenue un objet d’adoration populaire pour des centaines de millions d’anonymes, qui l’ont transformée en quasi-sainte ou quasi-martyre, victime de cela même qui fit une part de sa grandeur,

à savoir son appartenance à une famille royale ; le second est qu’elle est morte

d’avoir voulu échapper à cela même qui fut l’autre part de sa grandeur, à savoir sa visibilité (Heinich 139).

Les commémorations et hommages qui ont suivi son décès permirent de révéler les paradoxes du

monde savant entre son idéalisation de la culture populaire et sa haine de la culture de masse.

Heinich explique que si les universitaires « mâles » ont émis des objections lors de la

transformation de la princesse en martyre ou sainte, évoquant des valeurs démocratiques, ces

critiques furent rejetées du fait notamment de leurs émetteurs. Ces derniers sont en effet considérés

comme méprisants, représentant « l’Establishment » qui avait déjà désapprouvé la princesse de

son vivant et faisant toujours sentir un décalage dans leurs propos avec le grand public. Lady Di

est par opposition une figure démocratique, associée au peuple : « fantasme par beaucoup comme

étant d’origine populaire (…) anorexique incomprise incarnant une souffrance à laquelle chacun peut s’identifier » (ibid 141). Ce rapprochement de la princesse, reine ou célébrité à ses fidèles

inconnus corrompt d’ailleurs le rapport au monde de ces derniers, influencés par les discours de la star affirmant comme vérités ses expériences et ses pensées.

Dans les gazettes contemporaines, les figures royales d’Angleterre sont des célébrités, des « people » démocratiques. L’effervescence autour des mariages des princes Harry et William en

sont de bons exemples. Comparant le magazine anglo-saxon People et Paris Match, Heinich cite

55 couvertures du premier magazine consacrées à la princesse Diana entre 1974 et 1994 contre 17

pour Madonna. Citant Paris Match, Heinich avance le nombre de 1566 célébrités ayant fait l’objet

des 2935 couvertures recensées de 1949 à 2005 dont 42.5% proviennent des arts et spectacles

contre 17% de l’aristocratie, ces dernières obtenant cependant le score le plus élevé dans le nombre de fois que la même personnalité fut utilisée, à savoir Diana ou Stéphanie de Monaco. Citant

Chenu, Heinich avance que l’on assiste à une « revitalisation symbolique des aristocraties » beaucoup plus qu’à une « persistance économique et politique de l’Ancien régime, » la visibilité médiatique constituant une valeur ajoutée à l’excellence généalogique279. Cette affirmation semble cependant à prendre avec précaution, la visibilité médiatique, qui était de l’apparat aristocratique garde en effet ses sèmes politiques de performance et supériorité économique. Autrefois réservée

à l’élite aristocratique, elle serait convoitée par tous pour prouver valeur et maitrise du système, procédant d’ailleurs différemment selon les visées : agent d’autopromotion lorsque les célébrités agissent en leur nom propre comme les popstars ou bien révélateur social, reprenant ainsi la

définition d’Andrea Brighenti « visibilité de type social, en tant que ressource associée à la reconnaissance » (Heinich 24), Heinich explicitant « s’il est vrai que l’invisibilité est devenue

l’une des formes de la pauvreté, la visibilité, à l’inverse, signe l’appartenance à une nouvelle élite », parlant du statut de la vedette qui constitue « une catégorie sociale à part entière et non une

addition d’individualités » (ibid 67). Les invisibles sont ainsi le nom que se donnent ceux que les médias traditionnels ne portent pas sur le devant de la scène que ces invisibles soient d’une catégorie sociale particulière, d’une ethnie ou même de la majorité (majorité silencieuse).280

De manière ironique, le terme people, est passé de la définition démocratique de la masse

des citoyens, à celle de nouvelle cour. L’incipit de la Constitution des Etats-Unis commence en effet par « We, the people281 », mots mis en exergue dans le document officiel. Dans sa

prononciation anglaise de people ou pipole, le terme désigne finalement les stars de l’actualité aux

Etats-Unis, mais aussi en France.

Moyen de communication démocratique, les journaux mettent ainsi sur le même niveau les

stars et les royautés conformément à une mode qui remonte à la star de cinéma selon Morin :

La star féminine se conforme à l’étiquette suprême, celle des princes. Mais aussi,

comme les princes (…) Star Royale, Ava Gardner refuse de s’incliner et sourit à la reine, son égale. Les rois et les dieux veillent à l’ordre mais peuvent se dispenser d’y obéir. (Morin 47)

Si le processus de démocratisation de ces journaux met au même niveau les représentants de la

noblesse et des acteurs, politiciens, artiste ou autre personne médiatisée, c’est pour en exploiter les fautes et défaillances. Ces figures font ainsi la première de couverture des journaux à images,

Bildzeitung, leur vie intime et sexuelle exhibée sans vergogne « Charles caught in palace sex

ring ! » ou titrant des hypothèses fondées ou farfelues à l’égal des théories de complot ou de

conspiration « Secret succession Plot dethrones Charles ».

280 Un film de ce nom est sorti en 2018 et porte sur les femmes sans domicile fixe. Les Invisibles de la République est un livre paru en 2019 sur la jeunesse des provinces. Le discours d’Aïssa Maïga aux Césars de 2020 revendique aussi la visibilité comme égalité sociale.

(Photos personnelles, une de magazines « people » aux caisses d’un magasin Walgreens, mars 2018.)

Si les présentoirs mettent au même niveau deux tabloïds, l’un sur les stars, les People, l’autre sur les personnages royaux britanniques, c’est que pour les spectateurs, consommateurs, il y a une assimilation entre les deux catégories permettant tout à la fois une projection mais aussi une

critique via le voyeurisme. Cette recherche du sensationnalisme, exploitée méticuleusement par la

presse à sensation, s’attache aux défauts des personnages royaux ou princiers et répond à une attente des bas instincts des lecteurs, consommateurs de ragots. On voit une tendance similaire à

l’époque des pamphlets sur Marie-Antoinette qui véhiculaient une image exagérément dépravée de la reine, aux appétits sexuels inextinguibles et fomentant des trames pour renverser la France et

venir en aide aux armées étrangères.

Robert Darnton has discussed the excesses of the fringe literature of the day – what

Voltaire referred to as “the canaille” of literature – in the direction of sexual sensationalism about the royal circle (…) a whole series of lewd “private lives” dealt with figures at the royal court (De Baecque 169).

Marie-Antoinette, est donc bien une des premières cibles historiques des journaux à sensation. Les

siècle, signifiant la constance dans les centres d’intérêt du public pour les faits et gestes des figures publiques, notamment leurs maladresses voire erreurs.