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B : Marie-Antoinette, icône burlesque du marketing industriel

1. MARIE-ANTOINETTE, LE NOM D’UN PRODUIT DERIVE 102 ?

Par l’utilisation du référent « Marie-Antoinette » la qualité de l’objet mais aussi la connaissance historique de son possesseur seraient mis en valeur. Cette assertion est cependant remise en

question par l’image d’origine de ces objets. Si certaines études historiques prennent comme source paradoxale des fictions historiques103, les objets cités par Polanz tels les parfums, savons,

gâteaux sont postérieurs au film de Coppola et vraisemblablement dans le sillon commercial du

film. Les éventails que cite Polanz sont ainsi des « goodies » ou gadgets offerts avec le DVD, dans

un coffret « collector » alors que les macarons qui apparaissent dans le film sont anachroniques.

Bien que pâtisserie attestée depuis le Moyen-Age, ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle qu’ils

101 Benjamin, Walter, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée, Gallimard, 2008 p.41

102 On entend par produit dérivé la définition employée en marketing : « un produit dérivé est un produit créé pour exploiter commercialement la notoriété et la popularité d’une œuvre intellectuelle, d’un événement, d’un individu ou d’une organisation (…) les produits dérivés peuvent reprendre les personnages des œuvres exploitées

(figurines) des objets ou des éléments de décor ou simplement reprendre des visuels ou symboles liés à l’œuvre » Bertrand Bathelot, www.definitions-marketing.com, 2016

103 Juliet Grey, dans Days of Splendor, Days of Sorrow, réécrit en 2012 les lettres entre Thérèse et Marie-Antoinette, bien que ces lettres existent et qu’une traduction eut été suffisante. Elle précise ainsi dans ses notes d’édition : « Days of Splendor, Days of Sorrow is a work of historical fiction. Apart from the well known actual people, events and locales that figure in the narrative, all names, characters, places and incidents are the products of the author’s imagination. Any resemblance to current events or locales or to living persons, is entirely

coincidental » mais sa lettre du 17 février 1775 reproduit approximativement la lettre d’origine : imagine my surprise when I unwrapped the miniature (page 78) », le texte faisant écho à la lettre XVI du 5 mars 1775 mais relatant un fait erroné. (selon Léon de la Mothe)

prendront la forme dévoilée par Coppola104. Le film devient alors une sorte de publicité pour la

pâtisserie et son générique de fin permet de guider le spectateur vers la marque adéquate105. Le champ scolaire et universitaire n’échappe pas à la règle et si le festival de Cannes décerne le prix de l’Education nationale au long-métrage en 2006, ce dernier devient un exemple voire une source historique pour d’autres études et d’autres productions culturelles sur lesquelles nous reviendrons. Ainsi, à l’occasion de la présentation de son ouvrage Pink : History of a Punk, Pretty, Powerful

Color106, Valerie Steele, Historienne culturelle, utilise une image issue de ce film pour introduire l’historicité de la popularité de cette couleur à travers les âges.

(Valerie Steele, conférence de l’ISCH au Fashion Institut de New York, photo personnelle, 13 septembre 2018107)

104 Castellane, « À Paris, ce n’est qu’en 1830 que les pâtissiers parisiens ont décidé de les assembler deux par deux en les garnissant d’une petite confiture appelée « ganache ». Puis, le magasin Ladurée, l’un des plus connus, l’a popularisé en le nommant « Le Macaron Parisien » »

105 Ladurée apparait ainsi à la toute fin du générique aux côtés de l’Oréal et Bernadaud. La fameuse “infamous” scène des chaussures propulsant la marque Converse en arrière-plan sous forme d’un clin d’œil commercial anachronique est un autre exemple de cette utilisation. Voir annexes.

106 Steele, Valerie, Pink : History of a Punk, Pretty, Powerful Color, Thames and Hudson, 2018

107 Conférence que l’on peut retrouver dans son intégralité sur Youtube, l’image en question étant à 1minute 10 : https://www.youtube.com/watch?v=XHzcGIErsiE

Avant d’aborder ce nouveau statut accordé au long-métrage de Coppola, il faut rappeler

qu’une série d’objets et d’images s’est rapidement développée, bientôt appelée « Toinettomania » : Grâce à Sofia Coppola, Marie-Antoinette devint superstar. Paillettes et macarons,

musique décalée sous les masques grimaçants du Palais Garnier108 (…) Créateurs de mode, publicitaires, artistes, tous se l’approprièrent. Marie-Antoinette défile désormais sur les podiums de la haute couture : elle assure avec sa sœur jumelle la

promotion à la télévision d’un numéro de renseignement téléphonique, ou sur les abribus d’une marque de café (Salmon 17).

Outre sa commercialisation, cette manie se définit par une réhabilitation de la reine, idéalisée par

Hollywood, et trouve selon l’historien Michel Biard une résonnance particulière chez les Français « pris de remords » des conséquences de la Révolution Française. Cette correction ou révision

historique cache cependant un argument économique puisque cette « manie » est commerciale,

comme l’affirme Biard : « Mettant à profit l’effet de mode, relayé par une grande partie de la presse, nombreux sont ceux qui ont alors tenté de glaner quelques espèces sonnantes et

trébuchantes en marge de la sortie du film109 ». A la suite du film qui ne fut pourtant pas un succès

triomphal au box-office, on a vu en effet la reine se décliner en produits de luxe métonymiques,

au travers de reproduction de portraits, de caricatures ou d’une association à la mode rococo. Outre le côté commercial du film, sa prétention à supplanter toute autre vision de la reine se retrouve

dans son titre. Sobrement appelé Marie-Antoinette, il tend à imposer la vision d’un réalisateur

comme réalité historique à l’image des précédents films biographiques sur Marie-Antoinette110.

108 Anachronique puisque créé en 1875, tout comme les macarons et les chaussures Converse.

109 Michel Biard dans Dupuy, Pascal et al « L’an deux mille six, ou la « Toinettomania », rêve étrange s’il en fût jamais », ANNALES HISTORIQUES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE 347, 2007, p. 157-175

110 On citera ainsi les films de Pathé frères en 1903, de Rudolf Meinert en 1922, de Dick Van Dyck en 1938 ou de Jean Delannoy en 1956

Au contraire d’une prise en compte historique de la réalité monarchique, les émanations commerciales récentes de la reine semblent la conséquence de l’œuvre culturelle de Coppola. L’acte d’achat des produits Marie-Antoinette ne serait alors pas la conséquence d’un désir de posséder une relique historique de la reine ou de l’Ancien Régime mais une tentative d’acquérir des goodies et gadgets d’une apparence moderne de luxe, véhiculée par le film de 2005. Ainsi, si les copies, reproductions d’images ou dérivés d’objets uniques et hors de prix estampillés « Marie-Antoinette » créent tout d’abord un effet de nivellement social selon la cherté et donc la rareté du

produit, certains sont juste des émanations d’émanations.

Ce constat n’est cependant pas une nouveauté et bien avant le film de 2005, des ustensiles de cuisine reproduisaient déjà les portraits de Vigée-Lebrun, de Dagoty, Ducreux ou Van Meytens.

De manière singulière, le tableau ou l’artiste d’origine sont parfois tus111 ou relégués au second

plan, considérés comme moins important que l’historiette, argumentaire de vente accompagnant l’objet et se focalisant uniquement sur l’histoire « tragique » de la reine. L’entreprise Gien reproduit ainsi quatre différents portraits de Marie-Antoinette sans citer leur modèle d’origine, et

réduit la vie de la figure historique à une phrase : «la reine de France à différentes périodes de sa

vie, de la jeune dauphine adulée à la reine épanouie puis déchue112 ». L’industrie moderne copie

en série des images de Marie-Antoinette passées par le filtre et l’objectif de la caméra ou de

l’artiste. Chacune de ces émanations culturelles produit donc des gadgets, incarnations d’un produit culturel au signifié fluctuant.

111 La plateforme commerciale Zazzle propose ainsi de nombreux produits étiquetés Marie-Antoinette et reproduisant ses portraits. Aucune indication n’est cependant fournie sur le peintre d’origine.

2. MARIE-ANTOINETTE DANS LES SODAS, UNE VISION