A : Marie-Antoinette en politique comme blâme Républicain
3. UN PRESIDENT REINE
La relative proximité temporelle de ces Marie-Antoinette Républicaines semble associée à
l’élection de Donald Trump. Ces comparaisons ont en effet plusieurs raisons à savoir non seulement son attitude vis-à-vis des populations démunies, mais aussi sa richesse personnelle avant
l’accession à la présidence et le cercle constitué par son cabinet ministériel. Dans son article de 2017 appelé « Trump, de très loin le président le plus riche de l’histoire américaine »176, le
journaliste Frédéric Bianchi liste les fortunes personnelles des différents candidats à la présidence
américaine depuis Washington. Trump figure ainsi en tête de liste avec une fortune dont il a
pourtant refusé de révéler l’ampleur177, mais qui s’élève à un montant situé entre 3.7 et 4.5
milliards de dollars. Seul milliardaire à accéder au poste suprême dans l’histoire du pays, il
contraste radicalement avec son prédécesseur, Obama qui n’occupe que la 31e place.
173 The Washington post Op. Cit.
174 Clancy, Dean, senior Républicain retraité dans “The 'Let Them Eat Cake' Party” US News, 3 Octobre 2017 175 Lundin, John, “Let Them Eat Cake!” The GOP Tax Bill Scam Throws Democracy Under the Bus.” Journal Medium, 20 décembre 2017
176 Bianchi, Frédéric, BFM TV, 20 janvier 2017
(Diagramme mettant en évidence la fortune des présidents et candidats, BFM TV)
Bianchi liste ensuite les différents membres qui constituent le cabinet de Trump, à savoir les
milliardaires De Vos ou Wilbur Ross, « le roi des faillites », ancien banquier de Rothschild ayant
créé sa fortune sur l’achat et la revente d’entreprises en faillite ou le millionnaire Steven Mnuchin, ancien de Goldman Sachs. Ces deux derniers hommes, nous le verrons plus tard, seront aussi
qualifiés de Marie-Antoinette par l’actualité. Selon les médias, la vraie Marie-Antoinette serait
Trump lui-même, épicentre de cette nouvelle cour. Le 19 mars 2017, CNN titrait ainsi “Donald
Trump: America’s Marie-Antoinette178”. Le journaliste listait les dépenses effectuées par la
population américaine alors que le président réduisait les programmes d’aide aux pauvres. Utilisant le champ lexical associé à la reine, le journaliste concluait :
It's becoming increasingly clear that Trump -- like Antoinette -- is a person more
concerned with living a lavish lifestyle and less with helping those most in need.
The question is, will Trump's base continue to support him once they feel the pain
of his policies? Or, like the French did to Antoinette, who continued to live an
extravagant lifestyle while they suffered, reject him?
Le nom de Marie-Antoinette ou sa citation apocryphe semblent unanimement utilisés dans le
discours politique actuel pour dénoncer le dédain, l’ignorance mais aussi les dépenses superflues des membres du parti Républicain au pouvoir. Marie-Antoinette perd cependant de sa dimension
historique pour se limiter à un nom, une antonomase synonyme d’insulte.
Par effet de contamination, le cercle intime et familial de Trump est touché et des libelles
appellent sa femme « Melania Antoinette », détournant sur un compte twitter en mars 2017 la une
du tabloïd Vanity Fair Mexico de février 2017. Ces critiques ciblent non la richesse en tant que
telle de la First Lady mais son manque d’empathie et de décence dans l’exhibition ostentatoire de sa richesse et de sa chance dans un contexte économique de crise. Cette dernière pose en effet pour
le tabloïd, illustrant parfaitement l’expression française de « croqueuse de diamants », consommant des bijoux argentés que ce soit dans une assiette comme des spaghettis ou dans un
verre, comme un soda. Propre à sa définition de tabloïd, le journal fait état du parcours de la First
Lady et dévoile des « secrets », anecdotes personnelles.
L’image est reprise par les médias sociaux peu de temps après en l’accolant avec une photo d’un sans-abri sous les ponts, permettant d’interpeller les lecteurs par le contraste entre une célébrité
riche et gaspilleuse et un anonyme vivant dans le plus complet dénuement. L’ironie se fonde aussi
sur le fait que la photo de Mélania Antoinette n’est pas retouchée par le nouveau média et provient
effectivement du magazine people. Contrairement aux photos précédentes qui recouraient au
photo-montage pour rendre visible l’objet de leur dénonciation, ici, Melania est juste positionnée
à côté d’une autre image. Cette simple juxtaposition invite le lecteur à tirer lui-même le constat de la terrible réalité. Si la First Lady pose pour le mensuel, assise le dos bien droit, maquillée,
dégustant avec des couverts des diamants, habillée de blanc propre sur un fond gris, ce qui fait
ressortir sa couleur de peau et contraste avec la carté de sa robe ; la « pose » du SDF est naturelle.
Il est étendu à même le bitume gris, près d’un mégot de cigarette, barbu et le pantalon déchiré. Derrière lui, une autre couverture étendue suggère d’autres semblables dans la même condition. Cette confrontation rappelle aussi le rapport entre la reine unique et les sans-abris multiples.
Renforçant cette image de reine supérieure et dédaigneuse, la métaphore filée se poursuit lorsque
Melania Trump se laisse photographier avec une veste Zara portant la mention : « I really don’t
care do u ? » le 21 juin 2018 alors qu’elle prend l’avion de l’Etat pour rendre visite aux mineurs
mexicains séparés de leur parents et détenus dans des camps au Texas. La contradiction entre
l’action de la Première Dame des Etats-Unis et le message explicite qu’elle envoie, à savoir son désintérêt réel, est tout à fait dans les actions charitables de l’Ancien Régime et du dernier couple royal, dédommageant quelques familles par temps de disette sans pour autant restreindre leur
(Source, article Dailymail du 21 juin 2018)
Se justifiant à postériori, la First Lady fait porter le blâme aux médias et à l’opposition. Jouant la
carte de la victime harcelée et privée de vie privée puisque chacun de ses faits et gestes sont
décortiqués, elle assume la préméditation de sa tenue vestimentaire : “It was for the people and for
the left-wing media who are criticizing me (…) And I want to show them that I don’t care. You
could criticize. Whatever you wanna say, you can say. But it will not stop me to do what I feel is
right.”179 La politique nationaliste de Donald Trump et notamment le projet de construction d’un
mur avec le Mexique ainsi que les contrôles répétés de l’IS, déportant les immigrants clandestins ou en situation irrégulière dans le pays fait cependant paraitre cette démonstration de dédain au
premier degré et du sarcasme. Meghan O’Rourke, journaliste au Guardian commente ainsi : « it
appeared at best stunningly clueless and at worst a horrific expression of disengagement, on par
with Marie-Antoinette’s “Let them eat cake”.»180 Ces marques de dédains semblent d’ailleurs une constante chez la première dame, que ce soit le casque colonial qu’elle porte lors de sa visite en au Kenya en octobre 2018 ou l’ensemble italien Dolce Gabbana évalué à plus de 50000 dollars lors du déplacement du couple présidentiel en Sicile en mai 2017, les talons aiguilles qu’elle porte
lorsqu’elle visite le site des dégâts de l’ouragan Harvey en août 2017 ou encore son ensemble à lavallière, appelé aux Etats-Unis un « pussy-bow » en octobre 2016 soit au lendemain de la
révélation de l’enregistrement audio « grab them by the pussy » de Donald Trump. Cette succession de maladresses onéreuses ou d’actes délibérés contribuent effectivement à peindre
Melania Trump comme une Marie-Antoinette, dépourvue de bon sens ou volontairement
polémique.
Le même procédé de collage est utilisé pour la fille du président, lorsqu’elle poste sa photo sur Instagram en janvier 2017. La fille du président pose avec son fiancé, portant une robe signée
Carolina Herrera et évaluée à 5000 dollars par les spécialistes offusqués :
Critics on the internet fired back at Trump, calling her silver-gown-wearing shot an
example of a Marie-Antoinette-like attitude. The hashtag #letthemeatcake was
applied to several retweets; Trump also posted the photo on her twitter account181.
C’est surtout le contexte temporel qui provoque l’ire des commentateurs et critiques. Si pour
Melania, ce contexte était celui de la crise du logement, l’actualité de la photo d’Ivanka, fin janvier 2017, est celui de la guerre en Syrie et surtout de la décision du gouvernement Trump de refuser
les réfugiés de pays en guerre ou « à risque ». Renforçant et soulignant ce fait, des journalistes
mettent côte à côte la couverture de survie d’une petite fille en Syrie et la robe métallisée. Des
180 O’Rourke, Meghan, ““Being Melania” Interview proves her of the queen of barely coded messages”, The
Guardian, 13 Octobre 2018.
181 Bennett, Kate « Ivanka Trump’s Instagram post causes stir during outcry over immigration ban », CNN, 31 janvier 2017
similitudes peuvent en effet se créer dans le coloris et la matière de la robe de la fille Trump. De
nouveau, un écart est souligné entre deux populations, les ultra privilégiés et les très défavorisés.
Dépense inutile dans un contexte de nécessiteux. Nous sommes bien dans la même critique de la
famille royale rappelée par Vuillard lorsqu’il avance que la reine « réalisa sur les articles de sa table et de sa chambre une économie d’un million ; c’était avouer le montant faramineux de ses dépenses » (Vuillard 25)
(Capture du compte Twitter Betches)
La comparaison semble coller ensuite à la fille du président, puisque réutilisée quelques temps
plus tard pour une autre situation conflictuelle : « Ivanka Trump smiling in Jerusalem like a Zionist
Marie-Antoinette”182. Ces libelles juxtaposent en fait deux images contradictoires se produisant
simultanément au même endroit : l’opulence de Melania est accolée à l’image d’un
sans-domicile-fixe dormant à même le trottoir ; Ivanka sourit alors que des insurgés palestiniens sont
massacrés183 ; Ivanka pose sur Instagram dans une robe métallique à $5.000, similaire selon un
libelliste à une couverture de survie184, alors que Trump vote le même jour le « travel ban ».
En janvier 2019, trois nouvelles Marie-Antoinette émergent à la suite du « shutdown »
américain, période pendant laquelle de nombreuses personnalités politiques Républicaines ou
affiliées aux Républicains se sont exprimées. La belle fille du président Trump, Lara Trump, parle
ainsi du mur du Mexique en des termes dédaigneux ou ineptes. Elle avance en effet que la
construction de ce mur fera « a little bit of pain185 » pour un plus grand bien ; Kavin Hassett,
secrétaire de la Maison Blanche, comparait quant à lui cette situation de congés forcés non payés
comme des vacances. Wilbur Ross, enfin, proposait aux employés gouvernementaux qui ne
pouvaient travailler à cause de l’opposition entre Démocrates et Républicains de souscrire à des
prêts de consommation puisqu’ils ne touchaient pas leur salaire. Ironiquement, ce milliardaire est connu pour avoir fait sa fortune en rachetant et soldant les entreprises en faillite, ce qui lui vaut le
nom de « King of Bankruptcy ». Si Wilbur Ross porte le surnom de roi de la banqueroute, il n'est
ainsi pas si loin de Marie-Antoinette dont le surnom était Madame Déficit.
183 55 selon NPR, 50 selon le Washington Post ; des douzaines selon le NY Times 58 selon la BBC des 14-15 mai 2018
184 Voir image précédente
(Nate Beeler, Columbus Dispatch)
Dans cette caricature de Nate Beeler parue dans le Colombus Dispatch (Ohio) le 25 Janvier 2019,
Wilbur Ross porte un éventail à l’inscription MAGA pour Make America Great Again ; lisant un journal portant la nouvelle du jour, soit le congé forcé des travailleurs Furloughed Workers et
annonce dans sa bulle la solution : s’ils n’ont de travail et sont forcés aux congés non-rémunérés,
ils n’ont qu’à prendre un prêt à intérêt pour subvenir à leurs besoins… soit un crédit non à la consommation mais à la survie, puisque Ross intervenait en réaction à la demande des employés
fédéraux qui faisaient la queue aux restaurants pour indigents.
L’antonomase de Marie-Antoinette est ainsi suscitée trois fois durant le même week-end et pour le même événement politique. Ciblant trois personnalités du même parti, l’attaque évoque
leur richesse mais aussi leur attitude, révélatrice de la fracture sociale. Porte-paroles
auto-proclamés d’une classe moyenne à laquelle ils n’appartiennent pas, ces politiciens médiatiques révèlent par leurs discours et jugements leur ignorance et dédain. Ces différentes situations se
retrouvent donc dans le « qu’ils mangent de la brioche » indissociable de la reine de France.
traitement accordé au comparant historique186 : le journal français 20 minutes rappelle ainsi que la
phrase « qu’ils mangent de la brioche » fait l’objet de contestation quant à sa paternité, le
journaliste a recours à une incise qui vient nuancer son propos : « phrase attribuée, par erreur
semble-t-il, à Marie-Antoinette pendant la disette de 1789 ». Aidé de la distance temporelle et
spatiale, l’article de CNN ne s’embarrasse pas de l’authenticité historique de l’expression d’origine, titrant « a let them eat cake approach » ou «a Marie-Antoinette attitude ».