Ce travail s’intéressera aux représentations contemporaines de la reine, qu’elles soient américaines mais aussi qu’elles soient mondiales ou françaises, transformées par le regard américain. Pour aborder ces différentes représentations, les images stéréotypées observées dans les rues de la
Nouvelle-Orléans seront tout d’abord récoltées et organisées. La reine y apparait en effet comme
l’antonomase du luxe ou comme baromètre de ce dernier, touchant simultanément et indifféremment, semble-t-il, les champs politique, économique, dramaturgique, culinaire ou
vestimentaire.
La reine véhicule en effet l’idée du raffinement, que ce soit celui esthétique de la mode,
illustrant l’idée principale de Queen of Fashion, ouvrage de Caroline Weber ou par exemple de la gastronomie, et des desserts sophistiqués. Réduite à un mannequin publicitaire synonyme d’une
construction mentale continue du faste et de la richesse, la reine met en valeur des produits de luxe
uniques et coûteux. Elle devient alors un marqueur du niveau social du consommateur qui se laisse
séduire par les formules superlatives des commerçants : le plus beau mariage et les macarons les
plus fins seraient dans le style Marie-Antoinette.
“Elegance never goes out of style! We’re still in love with this luxurious Marie-Antoinette-inspired fashion editorial we created for our Spring 2012 Edition” New Orleans Weddings
Magazine, “Age of Opulence”, February 15, 2017
Carl Mack is at the Court of Two Sisters “let them eat cake” says our Marie-Antoinette
A travers l’analyse d’un corpus contemporain, il sera tout d’abord vu que l’association de Marie-Antoinette au luxe relève d’un fétichisme de la marchandise. Posséder une relique de la reine ou un objet à son nom permettrait l’élévation sociale de son possesseur. Cette revendication serait d’autant plus importante dans une société homogène composée d’une middle-class en manque de repères. L’accès à un rythme de vie économiquement confortable dynamiserait la recherche d’objets permettant une distinction et une reconnaissance. Un mariage dans le style Marie-Antoinette s’inscrirait alors dans le même esprit qu’un mariage des royautés britanniques ou des célébrités. La fascination entourant cette thématique royale occulterait cependant la réalité
historique de ces unions : que ce soit l’idée du mariage forcé ou arrangé ; le tragique destin du
couple royal français ou leurs infidélités supposées.
La grande distribution et la production sérielle d’objets labellisés du nom de la reine seraient cependant contre-productives. En multipliant des images de la reine, notamment dans des
situations communes, la grande distribution la banalise et fait d’elle une femme aspirant à une vie
simple. Au-delà de la démocratisation de la reine, femme parmi les femmes, les utilisations de la
reine semblent donner une vision démocratisée du luxe. Le côté excentrique comique et burlesque
de la figure historique, déjà esquissé par certains objets de luxe, se retrouve accentué voire justifié.
Ce ridicule semble d’ailleurs déjà présent en français dans le choix de l’acception moderne du
terme de brioche : « brioche de luxe » semble en effet un oxymore et l’utilisation de la tête
décapitée de la reine par le restaurant the Court of Two Sisters, agit effectivement comme une
perversion assumée de l’idée du raffinement.
Par effet d’exagération et d’usure, la reine désigne le mauvais goût du luxe mais aussi ses méfaits. Ces images burlesques commerciales sont exploitées par le champ politique par écho et
la caricature fut utilisée pour critiquer la reine au XVIIIe siècle, l’emploi d’images similaires
aujourd’hui serait apparemment révélateur de la résurgence d’une nouvelle société inique. Au-delà de similarités historiques troublantes entre les deux époques, telles la répartition sociale ou
l’inconscience de certains propos, l’emploi de Marie-Antoinette montre une empathie pour la reine de France mais aussi une stagnation dans les moyens de critiquer et de s’adresser au public cible.
Les blâmes labellisés « Marie-Antoinette » copient en effet les pamphlets du XVIIIe siècle et
substituent l’insulte à l’argumentation. Cet usage, qui provoque le rire sans discuter du fond, est exploité par des partis politiques pourtant opposés et montre une société divisée qui ne
communique plus. L’utilisation de cette figure historique comme blâme pour désigner le camp
adverse rappelle aussi les loges, salons et clubs de la fin du XVIIIe, groupes imperméables les uns
aux autres, transformés aujourd’hui en blogs, forums voire comptes personnels tels les tweets. Ces blâmes évoluent d’ailleurs en s’intensifiant et se répondant dans une course médiatique au plus
visible, s’adaptant au public de la vidéosphère et de la médiasphère définies entre autre par Régis
Debray.
28
Illustration de l’article de Jeff Adelson sur le mouvement de protestation lors de la visite du président Trump. 28 Adelson, Jeff, « New Orleans' Donald Trump protest: 'Impeach dat,' mocking statue, as crowd takes to streets »,
Le caractère infâme et le destin de la reine ne sont ainsi pas ignorés de la population puisque le 14
janvier 2019, lors de la visite du président Donald Trump à la convention de l’American Farm
Bureau à la Nouvelle-Orléans, une guillotine est exhibée avec la mention Let them eat King Cake.
Si le King Cake est une spécialité culinaire de la ville inspirée par notre galette des rois29, l’inscription de la machine parodie la traduction de la phrase apocryphe de la reine. Comme l’énonce le journaliste Adelson, le message politique voire menaçant de la structure de la guillotine de parade doit être nuancé par la coloration spécifique de la ville.
Placée sur un trépied à roulette, cette structure est courante lors des défilés de Mardi Gras
et notamment ceux du Mardi Gras de 2018, qui faisait coïncider l’élection de Donald Trump et le tricentenaire de la fondation de la ville par les Français. Lors de cette célébration, de nombreux
chars étaient décorés en Trump Antoinette et comportaient parfois aussi une guillotine.
(Parade de Krewe du Vieux, 27 janvier 2018, photos du Times-Picayune et photo personnelle)
Le 27 janvier 2018, lors de la parade de Krewe du Vieux qui parodie chaque année l’actualité de
manière irrévérencieuse, un personnage de Trump en papier mâché, patibulaire, disproportionné
29 Généralement sous la forme d’une couronne à la cannelle parfois garnie de crème ou confiture et dont la fève est un bébé en plastique.
mais aussi travesti en reine de France défile quelques chars avant les Merry Antoinettes, elles-aussi
accompagnées d’une guillotine sur roulettes30. Cette reconstitution historique du destin de la reine,
modernisée et finalement détournée du contexte d’origine est spécifique à cette parade politique. En effet, durant d’autres parades, le sérieux historique ou du moins approximatif semble respecté. Lors d’une recherche dans les fonds de l’Université de Tulane, l’esquisse d’un char de la parade Proteus de 1883 fut ainsi découvert :
(Briton, Charles, Exécution of Marie-Antoinette, 1883)
Intitulée « Execution of Marie-Antoinette », l’esquisse porte en légende la position du char dans
la parade, 16e char (16 pour Louis ?) ; le nom de cette parade historique exclusivement masculine :
Proteus ; ainsi que la thématique : « History of France »31. Dans le coin droit, l’esquisse porte le
30 Une centaine de Marie-Antoinette défile aux côtés d’autres personnages français stéréotypés tels Marcel (le Mime) Marceau ou Napoléon
31 Schindler Henri, Mardi Gras Treasures: Invitations of the Golden Age, Pelican Publishing Company, Gretna, 2000, p. 123
sceau authentifiant le dessin : Reynolds drawing board. Sous le dessin, une échelle permet de se
représenter la taille des différents éléments et acteurs de l’échafaud mais aussi de reproduire scrupuleusement la scène. Proteus est la troisième parade la plus ancienne de Mardi-Gras et est
officielle en 1882, un an avant la parade de thématique française. Si les membres de la parade sont
tous des hommes, il parait surprenant d’avoir choisi Marie-Antoinette comme personnage pour cette reconstitution sur char. Il parait aussi surprenant d’avoir choisi la scène de son exécution pour une ville pourtant francophile. Le caractère tragique de la scène ainsi que le choix d’une femme pour l’exécution contribuent cependant à rendre cet événement plus spectaculaire que l’exécution d’un homme, fût-il roi de France.
Si le char dénonçant le président offrait un contrepoint monstrueux et négatif à la reine de
France, son inspiration pourrait se trouver dans la fortune personnelle de l’homme politique, ses
propos inconscients et méprisants32 mais pourrait aussi se référer au festival de Southern
Decadence antérieur, festival annuel célébrant la communauté LGBTQ. La communauté LGBT a
ainsi recours à de nombreuses reprises au personnage de Marie-Antoinette que ce soit comme
personnage extravagant ou en référence à sa vie personnelle supposée. Lors de la parade LGBT
Southern Decadence du 3 septembre 2017, la reine est sélectionnée comme personnage à imiter33. Marraine de l’événement, sa phrase apocryphe est assumée et détournée en Let Them Eat Cock, slogan déjà reproduit sur le char de Trump de Mardi Gras où il était entendu comme un message
péjoratif.
32 Notamment lors de la crise portoricaine de septembre 2017, qui fera l’objet d’un traitement plus approfondi au chapitre II, A
(Défilé du Southern Decadence 2017, photos personnelles)
La phrase apocryphe, qui dans l’esprit français constitue une marque de dédain et souligne l’écart entre une population affamée et une reine ignorante de la dureté de vie de son peuple est cependant
réinterprétée par la communauté LGBT et serait traduisible par « laissez-les préférer les hommes ».
En effet si cake (gâteau ou brioche) et cock (bite) sont des paronymes en anglais, l’intention des
slogans semble opposée : le dédain de la phrase de la reine « ils n’ont qu’à manger des brioche »
se transformant en une permission « laissons-les manger des bites »34.
Les célébrités politiques comparées à la reine dans des blâmes ironiques et satiriques sont
alors curieusement secondées par des célébrités médiatiques qui choisissent de la représenter pour
la célébrer ou pour se mettre en valeur. Si certaines de ces célébrités comme Boyfriend rappellent
le blâme que la reine représentait, la plupart se servent de la reine pour révéler politiquement la
force économique d’une communauté comme Big Freedia ou d’une catégorie de population. Madonna, Lady Gaga ou Katy Perry donnent de Marie-Antoinette l’image d’une féministe chacune
à leur manière. Si la reine prend des apparences de libertine, de femme fatale ou d’adolescente
rebelle, elle est dans tous les cas élevée (ou descendue) au rang de star et de célébrité qui se prétend
incomprise.
Marie-Antoinette est alors dépeinte comme une célébrité irresponsable mais aussi ingénue.
Son destin concrétise la menace qu’encourt toute célébrité ou actrice devenue impopulaire : tout comme la reine, la vie privée de la célébrité disparait avec la renommée. Par ailleurs, cette vie
forcément publique et médiatisée prend son autonomie, quitte à créer un personnage public, double
médiatique de la star. Les faits et gestes de ces célébrités, même ceux réalisés hors de la scène,
sont relayés par les gazettes et tabloïds où ils sont analysés, suscitant des polémiques entre lecteurs
et fans. Les deux chanteuses de la performance du Jazz Fest en font d’ailleurs les frais : bien que critiquant les ultras riches dans la chanson, Big Freedia purgeait en 2018 une condamnation pour
détournement de fonds et abus d’aides au logement35. Boyfriend, quant à elle, suscitait à l’époque
l’ire de ses fans en participant à des concerts soutenant la plateforme Airbnb tout en prétendant s’opposer à la gentrification36.
Aux côtés de cette apparence de blâme, une réhabilitation de la reine a lieu, personnage
fascinant et éclipsant les autres femmes du XVIIIe siècle, qu’elles soient connues ou inconnues. Sous cette apparence de La Femme, Marie-Antoinette devient un modèle à copier, voire à surpasser
pour se faire un nom. Si cette utilisation de la reine comme agent d’autopromotion réduit le message féministe dans certains cas, il permet cependant de rendre visible les communauté.
Marie-Antoinette est ainsi un personnage de rue, qu’elle soit agent publicitaire, mais aussi
festif lors des spectacles tels Mardi-Gras ou Jazz Fest. Prolongeant ces derniers, le champ théâtral
35 Lane, Emily “Big Freedia pleads guilty to federal theft charge” Times-Picayune, 16 Mars 2016
36 MacCash, Doug, “Boyfriend, provocative feminist rapper, criticized for partnering with Airbnb” Times-Picayune,
vient réécrire la biographie de la reine, invitant le public à une révision de son jugement via un
nouvel éclairage. La troupe de théâtre de la Nouvelle Orléans Nola Project met ainsi en scène en
septembre 2018 The Revolutionists, une pièce à quatre voix, mettant sur le même plan
Marie-Antoinette aux côtés d’Olympe de Gouge, de Charlotte Corday et d’un personnage fictif symbolisant la révolution haïtienne, Marianne Angelle. Précédant l’assassinat de Marat lors de la Révolution Française, la pièce fait uniquement parler ces quatre femmes, qui gravitent autour
d’Olympe, personnage central de la pièce et double de son auteure. La pièce est en effet une mise en abyme, puisqu’Olympe tente durant toute la pièce d’écrire une œuvre théâtrale sur la Révolution Française. Elle est cependant régulièrement interrompue par les trois autres personnages qui
viennent plaider leur cause et lui demander de l’aide.
Trois années auparavant, aux mêmes dates, c’était la pièce éponyme Marie-Antoinette de David Adjmi qui était jouée par la même troupe. Ecrite en 2014, la pièce est continuellement
représentée aux quatre coins des Etats-Unis avec prolongations depuis sa création. Biopic partiel,
la pièce aborde la vie de la reine en six tableaux. Biopic partial, la reine est uniquement vue comme
Nola Project, Marie-Antoinette de David Adjmi, affiche de 2015
Nola Project, the Revolutionists de Lauren Gunderson, affiche de 2018
Le fait que Marie-Antoinette soit jouée par la même troupe de la Nouvelle-Orléans à la même
période n’est pas anodin. Tout d’abord, le personnage permet à Nola Project d’exprimer sa créativité. La troupe est effectivement récente (créée en 2005) et se définit comme une compagnie
itinérante, sans but lucratif. Par ailleurs, septembre est la période des premières pièces du
répertoire. Les responsables de la programmation semblent ainsi tabler sur le succès d’audience et la popularité de la figure historique pour la vente d’abonnements annuels.