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A : La première star moderne ?

3. LA STAR, HERITIERE ASSUMEE DE LA REINE ?

Dans leurs ouvrages sur les célébrités, les sociologues Edgar Morin et Nathalie Heinich reviennent

sur ce qui idéalise la star de cinéma, la différenciant du commun des mortels, du simple acteur, de

la vedette et de la starlett. Ce faisant, ils établissent un parallèle et une filiation avec les royautés

de l’Ancien Régime, les stars se révélant des royautés contemporaines. Les essais des sociologues sont parsemés d’un champ lexical explicite de la royauté. Heinich titrant « de Versailles à Hollywood » pour parler de ce glissement « sur les transformations de l’imaginaire » (68) avant

d’évoquer « le mariage princier d’une star de Hollywood », celui du prince Rainier de Monaco et de l’actrice Grace Kelly. Une transformation semble en effet s’être effectuée dans les imaginaires, substitution de la star à la reine, Heinich affirmant une évidence : « l’élite des grands acteurs et

actrices s’est substituée à l’élite des courtisans du temps de Louis XIV, à cette différence près qu’une bonne partie d’entre eux n’étaient pas d’origine noble mais au contraire d’extraction souvent populaire » (Heinich 70). Outre le caractère élitiste de cette nouvelle « classe » et ses

privilège, elle semble aussi posséder la même caractéristique de sang bleu et de filiation. Heinich

cite ainsi les familles Cassel, Galabru, Delon, Sardou282 auxquels nous pourrions rattacher bien d’autres famille et notamment la famille Coppola dont le neveu Nicolas « Kim Coppola » dit Cage, changea de nom pour faire ses preuves mais fut quand même sélectionné pour ses débuts de

carrière dans les films de Francis Ford283.

282 Heinich, « Fils et Filles de », op. cit. p. 64

Si Heinich parle d’une simple substitution de classe, c’est en fait à un réel bouleversement des valeurs que nous assistons. En effet, dans la conception de l’Ancien Régime, l’actrice est associée à la prostitution ou à l’immoralité. Considérée comme une femme publique et souvent de petite vertu, son enterrement est problématique comme le témoigne Bossuet, évêque et homme de

lettres :

On prive des sacrements, et à la vie et à la mort, ceux qui jouent la comédie, s'ils ne

renoncent à leur art. On les passe à la sainte table comme des pécheurs publics, on

les exclut des ordres sacrés comme des personnes infâmes ; par une suite infaillible,

la sépulture ecclésiastique leur est déniée (Bossuet 45).

Dans son discours, Bossuet ne milite cependant pas en faveur des acteurs mais au contraire justifie

l’infamie qui est associée à leur statut par la pratique ecclésiastique. Quelle révolution entre l’enterrement d’un artiste de l’Ancien Régime, fut-il Mademoiselle du Parc ou Molière enterré de nuit dans l’indifférence de Louis XIV, et par exemple Elvis Presley… Ou Marylin Monroe284,

suivis par une foule de fidèles !

Le lien entre star et royauté est ainsi une métaphore filée tout au long des ouvrages des

sociologues, se déclinant selon les arguments avancés par les sociologues. Dans le début de son

essai, pour parler du déclin des stars lors du lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en raison

notamment de la concurrence de la télévision, Morin utilise l’expression : « la royauté de la star semblait se muer en monarchie constitutionnelle » (Morin 29). Marie-Antoinette est d’ailleurs

implicitement invoquée pour parler des retraites des stars, le Trianon étant la métaphore des villas

Hollywoodiennes285, où la star chercherait tout à la fois la simplicité et la démesure. Ce goût de simplicité se retrouverait d’ailleurs dans l’apparence physique de la star, qui allierait une beauté

284 Attirant une foule de fidèles inconnus maintenue à distance.

« naturelle » à une qualité supérieure sur laquelle nous reviendrons : « Les stars aiment aussi les

robes sans apprêt, les blue-jeans, chandails, velours qui autant que les tenues somptueuses, mettent

en relief leur royale beauté » (47) ». Marie-Antoinette éprouva en effet ce même engouement pour

la simplicité, notamment en suivant la mode rousseauiste de la fin du XVIIIe siècle. Le fameux

tableau de Vigée-Lebrun de 1783 en robe de Gaulle en témoigne notamment… créateur d’un des

premiers succès de scandale du domaine de la mode.

Ces références explicites sont ainsi renforcées par des descriptions pouvant s’appliquer aux acteurs mais aussi aux courtisans et à la reine. Tout d’abord, Morin revient sur la dimension

vestimentaire qui distingue la star des autres acteurs dans un long métrage : « Leur costumes [celui

des stars] tranchent sur ceux des acteurs secondaires et figurants, dont les vêtements symbolisent une condition sociale (…) Les figurants habillent des costumes. La star est habillée. Son costume est une parure » (Morin 44). L’importance de ces costumes rappelle non seulement la distinction

parmi les courtisans, distinction induite par le vêtement, mais aussi le caractère purement

fonctionnel de la catégorie sociale du valet, identifié par sa livrée.

Le vêtement revêt effectivement sous l’Ancien Régime des significations très importantes puisque permettant aux nobles de se situer les-uns par rapport aux autres et donc en fonction de

l’étiquette. Si Louis XIV l’impose puisque voulant connaitre à vue d’œil ceux qui l’entourent, les questions d’étoffe mais aussi de longueur de robe est un débat que les courtisans s’imposent entre eux mais aussi imposent par effet d’imitation à toute la société par répercussion.

Dans un passage sur le maquillage, Morin établit aussi malgré lui un autre parallèle avec

les courtisans et leur visage quasi divin puisque masque immuable, inaltérable par le temps et les

Le maquillage de cinéma n’oppose pas un visage sacré au visage profane de la vie quotidienne ; il élève la beauté quotidienne au niveau d’une beauté supérieure,

radieuse, inaltérable. La beauté naturelle de l’actrice et la beauté artificielle du maquillage se conjuguent en une synthèse unique. La beauté maquillée de la star

impose une personnalité unificatrice à ses vies et ses rôles. C’est pourquoi « une vedette n’a pas le droit d’être malade, pas le droit d’avoir mauvaise mine » (Jean Marais, préface à comment devenir une vedette de cinéma). Elle doit en

permanence être identique à le même dans sa perfection rayonnante (43).

Outre le maquillage, Morin rappelle notamment le cas de stars recourant à la chirurgie esthétique,

nommant Juliette Gréco ou Silvana Pamparanai qui dut trois fois se « faire retoucher son nez ».

Que dire aujourd’hui de la plupart des célébrités subissant une réelle métamorphose, parfois ratée ? Dans un article du magazine Elle du 30 janvier 2019, la journaliste Marie Munoz revient sur les

différentes opérations chirurgicales et leur coût. Listant sous forme de blason les célébrités et les

modifications de leur corps elle évoque le front lisse de Naomi Watts, la mine rayonnante de Cindy

Crawford, la bouche « chic » de Pamela Anderson, le regard lumineux d’Eva Longoria, le menton

volontaire de Jennifer Aniston… avant de revenir sur le moyen utilisé : laser, collagène, liposuccion, injection d’acide… 286 ? Ce faisant, les stars apparaissent auprès de leur public comme

des dieux grecs qui ont bu l’ambroisie et le nectar, soit la vie éternelle mais aussi la jeunesse éternelle.

Elles se rapprochent aussi des Grands de l’Ancien Régime qui se distinguent du commun des mortels par différents stratagèmes. Ces derniers ont en effet une silhouette agrandie par une

perruque et des talons, leur taille est modelée par un corset et la robe à paniers dissimule l’obésité,

leur grossesse ou la maigreur de leurs hanches. Imperméables à la vieillesse, à la maladie mais

aussi grâce à la poudre au bronzage ou au changement de couleur, ils imposent mais aussi

confortent le système monarchique par leur apparence, ne désirant pas de changement puisque le

changement viendrait à remettre en cause le système et leur incarnation de demi-dieux.

Le thème de la chirurgie esthétique se trouve aussi dans les références à l’image de la reine. Dans le documentaire sur la peintre Vigée-Lebrun, l’historien Joseph Baillo commente ainsi le

travail de l’artiste sur les portraits de la reine : « la ressemblance est parfaite et pourtant elle les transforme comme le ferait un chirurgien esthétique ». Ce travail de correction « chirurgicale »

porte ainsi sur la pellicule à savoir sur les représentations graphiques de la reine, ses portraits.

Marie-Antoinette met en effet du temps avant d’arrêter son choix sur Elisabeth de Vigée Le Brun,

se disant toujours déçue de ses portraits. Elle écrit ainsi le 16 novembre 1774 « les peintres me

tuent et me désespèrent. J’ai retardé le courrier pour laisser finir mon portrait. Il est si peu ressemblant que je ne puis l’envoyer » (Lever 198). Vigée Le Brun, choisie par la reine, met alors son talent à son service, opérant cependant une modification de ses traits tout en les conservant.

Xavier Salmon directeur du département des arts graphiques au Louvre et commissaire de

l’exposition Elisabeth de Vigée Le Brun de 2015-2016 livre ainsi un portrait de la reine superposant les traits naturels du visage et les retouches de l’artiste :

Ce visage Habsbourg, c’est-à-dire le menton qui avance, la lèvre inférieure épaisse, les yeux légèrement globuleux, et puis petit à petit elle a ce talent d’adoucir ses défauts physiques pour créer une image qui dix ans après est celle d’une femme d’une très grande beauté mais qui ne répond plus du tout à la réalité287.

Le portrait de cour rappelle ainsi le travail caricatural, les deux genres artistiques devant en effet

permettre de reconnaitre le sujet reproduit mais l’un agissant en nuances quand l’autre agirait en outrance. Cette correction de l’image de la reine, par le truchement du crayon et du pinceau, non

de maquillage mais de peinture est d’ailleurs l’ultime étape d’un travail préalable sur le corps et sur l’image de la dauphine initié dès son enfance. Weber cite ainsi les opérations portant sur le visage de la dauphine, alors encore en Autriche, pour correspondre aux critères de beauté français :

Choiseul and his emissaries also suggested alteration to the Archduchess’s physical person. During the marriage negotiations, they noted that the girl’s teeth

were lamentably crooked. Straightaway, a French dentist was summoned to

undertake the necessary oral surgeries (Weber 18).

Que cela soit pour les dents ou pour les cheveux, Weber rappelle dans le même passage

l’intervention des diplomates français transfigurant l’apparence de la dauphine en vue des attentes de son futur peuple, public et spectateur. Modifiant la largeur du front par une différente

implantation des cheveux, modifiant la force de la mâchoire par un travail de correction dentaire,

le visage de la dauphine est adouci par de subtiles nuances tout en permettant son identification et

sa reconnaissance immédiate :

Choiseul’s contingent also decreed that something had to be done about the princess’s hair. Marie-Antoinette’s unruly mess of reddish blond curls was habitually worn pulled back off her forehead with a harsh woolen band that

ripped at her scalp. The band however was beginning to cause slightly bald

patches along the Archduchess’s hairline (…) to address these alarming problems, Choiseul’s stylish sister the Duchesse de Gramont came to rescue by

dispatching Larsenneur, who had served as hairdresser to Louis XV’s own queen, to Vienna to coif the Archduchess à la française ( Weber 18).

Attribuant à la célébrité des qualités de physiognomonie, le physique de la star est à l’origine du

mythe de la supériorité de sa personnalité. Dans son chapitre « dieux et déesses », Morin revient

sur la fascination que produit la star, celle-ci étant à l’origine d’un culte sur la pellicule mais aussi

en-dehors. Morin avance ainsi :

La star est profondément bonne et cette bonté filmique doit s’exprimer dans sa vie privée. Elle ne peut être pressée, inattentive, distraite à l’égard de ses admirateurs. Elle doit toujours les aider ; elle le peut car elle comprend tout (Morin 46).

On est ici très proche du portrait du monarque absolu et omnipotent, qui sait tout et est forcément

bonté, rappelant que si malheur il y a, c’est parce qu’on le dissimule au roi « si le roi savait ». Ce qu’évoque aussi Morin dans ce passage est le caractère forcément trouble entre le personnage à l’écran et l’acteur réel, dont les frontières sont devenues floues par le succès d’interprétation mais aussi la projection effectuée par le spectateur dans le personnage. Morin voit ainsi la star comme

une construction, la superposition de l’acteur et du rôle :

La star n’est pas seulement une actrice. Ses personnages ne sont pas seulement des personnages. Les personnages de film contaminent les stars. Réciproquement, la

star elle-même contamine ses personnages (…) La star n’est pas seulement

idéalisée par son rôle : elle est déjà, du moins en puissance, idéalement belle. Elle

n’est pas seulement magnifiée par son personnage, elle le magnifie. Les deux supports mythiques, le héros imaginaire et la beauté de l’actrice, s’interpénètrent

et se conjuguent (Morin 40) « Dans la dialectique de l’acteur et du rôle, la star