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B : Marie-Antoinette, icône burlesque du marketing industriel

4. UN BURLESQUE LIBERTIN

Le rapprochement de Marie-Antoinette et d’une cocotte, voire d’une actrice à plume135, n’est pourtant pas anodin et est d’ailleurs une métaphore récurrente dans les pamphlets de la fin du XVIIIe siècle qui ciblaient la reine. Ces pamphlets eurent plusieurs motivations, que cela soit

une phobie de l’Autriche136, une origine antimonarchique ou la volonté d’un renversement par le

parti orléaniste137, tous prenant pour cible la sexualité de Marie-Antoinette. Outre des portraits caricaturaux d’animaux et de monstres mythologiques, Marie-Antoinette apparaît souvent comme une nymphomane, incapable de se réfréner et portant ses désirs charnels sur tous les hommes et

femmes de son entourage mais aussi sur sa progéniture. Malgré l’invalidité de ces arguments lors de son procès et l’exemption des accusations d’inceste138, l’industrie d’aujourd’hui produit en

masse des images d’une reine libertine ainsi que le rappelle Polanz dans sa conclusion : « les objets

estampillés MA se déclinent sur une gamme de plus en plus variée, alliant le fantasme du luxe

inaccessible, une vision édulcorée (le libertinage soft dans un décor pseudo-XVIIIe) ». Pour

soutenir son affirmation, Polanz cite notamment les déguisements de Marie-Antoinette émis par

135 Rapprochement que fait supposément Marie-Thérèse dans sa Correspondance, voir note 22 page 15, II A. 136 Nation rivale à laquelle fut imputée la défaite de la guerre de 7 ans selon Kaiser, Thomas « Who is afraid of Marie-Antoinette ? Diplomacy, Austrophobia and the queen », French History, vol 14, Oxford University Press 2000 137 Louis- Philippe d’Orléans, appelé plus tard Philippe Egalité et supposé un temps remplacer Louis XVI selon la faction d’Orléans est aussi l’instigateur de campagnes visant à renverser son cousin.

138 Waresquiel, Emmanuel, Juger la Reine p.155 « Herman se tourne ensuite vers les jurés et leur soumet les questions sur lesquelles ils auront à se prononcer (…) Curieusement, il n’est plus question d’inceste »

l’industrie, costumes pseudo-historiques et versant tantôt vers l’horreur de la reine décapitée, tantôt vers la provocation sexuelle. Une recherche sur l’internet montre ainsi qu’un costume

Marie-Antoinette peut se limiter à une perruque et une robe très courte laissant non seulement les genoux

mais aussi les cuisses à nu, l’image de la reine étant ainsi associée à un type de vêtement érotique qu’elle n’a cependant jamais porté. Paradoxalement, sous son appellation, les corsets sont remis en valeur avec une réécriture commerciale de ce vêtement. Valerie Steele inclut ainsi un tableau

de la reine en robe de cour avec corset lorsqu’elle revient sur l’historique de ce vêtement, précédant

l’usage sexuel contemporain qui y est associé139. Si la reine a effectivement porté cet habit, cela

n’est cependant pas par choix ni dans une volonté personnelle de séduction, mais pour suivre une étiquette à laquelle elle était opposée. Caroline Weber revient également sur cet épisode de refus

de porter ce vêtement dans son chapitre « Corseted », appelant d’ailleurs cet épisode l’affaire du

corset140. En 1770, mal conseillée par les « tantes » de Louis XVI, Marie-Antoinette refuse de porter des corsets, ce qui fait dire d’elle qu’elle se néglige et grossit de manière malsaine puisque cette grosseur n’est pas la conséquence d’une grossesse. Marie-Thérèse l’écrit ainsi à sa fille dans le courrier du 1er novembre 1770

Il [le courrier, l’homme qui portait les lettres] vous trouve grandie et engraissée. Si vous ne me l’assuriez sur les corps [corsets] que vous portez, cette circonstance m’aurait inquiété crainte, comme on dit en allemand, auseinandergehe, schon die Taille wie eine Frau, ohne es zu sein. Je vous prie,

ne vous laissez pas aller à la négligence (Lever 60).

139 Tableau Marie-Antoinette in court dress, c. 1778, dans l’ouvrage de Valerie Steele, The Corset: a cultural History, 2001 p.29

Ce refus de porter des corsets fait ainsi paraitre Marie-Antoinette comme une femme mûre (eine

Frau) ce qui ne « convient » ni à son âge, ni à sa position comme l’affirme Marie-Thérèse. De plus,

cette situation produit une publicité diffamatoire, au moment où la dauphine était fragilisée par les

dévots, par le clan de la favorite du Barry ainsi que par l’arrivée d’une concurrente pour la succession en la personne de la comtesse de Provence. Associer aujourd’hui Marie-Antoinette au corset, à une mini robe serait ainsi non seulement erroné mais aussi à l’opposé de la réalité historique, prolongeant en cela les images caricaturales pornographiques qui la ciblaient.

Par le truchement de l’industrialisation, la commercialisation du libertinage soft vire en effet aux mêmes extrémités que les caricatures pornographiques, déjà étudiées par Chantal Thomas

ou Lynn Hunt. Lürzer, magazine allemand de marketing et d’étude publicitaires qui compare

l’innovation des campagnes depuis les années 80 affiche dans la couverture de son anthologie de 2012 une image de la reine Marie-Antoinette, non avec un sandwich ou un soda mais avec un hot

dog141. Outre la contradiction entre le mets présenté et la finesse d’un repas, le côté érotique de l’image globale est tangible à travers le regard lascif du modèle, son décolleté ou la nature de l’objet même mis en valeur, à savoir un un hot-dog, au symbolisme populaire.

(Weinzettl, Michael, 200 Best Food & Drink Ads 2000-2010, Luerzer, 2012)

La consommation alimentaire de mets roturiers et gras qui est contradictoire avec l’élégance supposée du personnage, crée un effet comique burlesque. Même si le top modèle qui incarne la

reine est d’une allure impeccable et affiche un air hautain, l’hypothèse que la reine puisse se salir

avec la moutarde comme dans cette image ou de sauce blanche comme dans la vignette précédente

de Mc Donald rompt aussi avec l’étiquette et à la dénotation d’un luxe raffiné et hors du commun. Que la reine mange avec les mains et boive au goulot est contraire à l’étiquette, comme le rappelle Weber, qui reprend les propos de Mme Campan : « Custom held that the Dauphine could reach

nothing herself – which, for instance meant that unless Madame de Nouailles, who as dame

d’honneur held the privilege of handing her a glass of water, was nearby, the princes had to go

thirsty” (Weber 64). Sans ce cérémonial, la reine est déchue à un statut de simple roturière. La consommation sexuelle sous-jacente renoue quant à elle avec la littérature érotique.

comme étant un public plutôt masculin, consommateur de bière, objet curieusement absent de

l’image.

L’image de Weinzettl provient en effet d’une campagne publicitaire espagnole pour la bière Damm, boisson produite en Espagne mais d’inspiration alsacienne. Le texte de l’image originale

précise ainsi : « Caràcter Alemàn. Refiniamiento Francés / A.K. Damm Receta Original

Alsaciana ». Le côté européen de cette bière rappelle judicieusement mais sûrment par hasard

différents éléments réels de la vie de la reine : les Habsbourg régnant en Espagne jusqu’au début

du XVIIIe siècle, Marie-Antoinette séjournant à Strasbourg avant de joindre Paris. De plus, bien

que d’origine Autrichienne, sa mère Marie-Thérèse lui rappelle constamment de garder son « caractère » allemand dans leur correspondance : « n’adoptez pas la légèreté française, restez

bonne Allemande et faites vous une gloire de l’être »142 (Lever 70)

On peut d’ailleurs supposer que le spectateur mâle, se trouve face à la reine et possède justement

cette bière, devenant ainsi le parfait complément hétérosexuel de l’affiche : bière avec saucisse,

femme avec homme. Par ailleurs, nous voyons que de par leur forme même, les objets de

consommation courante se déclinent selon des substituts de phallus, à la connotation sexuelle

continue : la bouteille de coca cola, la saucisse, la bouteille de bière, impliquent l’utilisation des

mains nues et la mise en bouche, reproduction d’un acte bucco sexuel143.

TRANSITION :

Paradoxalement, c’est cette image de Damm qui est récupérée et détournée politiquement lors de la crise portoricaine due à l’ouragan Maria. En septembre 2017, le président Donald Trump est

142 10 février 1771, Lettre de Marie-Thérèse à Marie-Antoinette.

143 Les reconstitutions élogieuses ou luxueuses de la reine évitent ces objets, ayant recours à des verres ou flûtes de champagne pour éviter tout dérapage vers la grossièreté

appelé à de nombreuses reprises une Marie-Antoinette, que cela soit suite à ses critiques de la

gestion du maire de San Juan ou plus tard lorsqu’il fait le déplacement à Porto Rico pour venir aider physiquement (et symboliquement) la population affligée. Lors d’une conférence sur l’île, il est sollicité par le public et est filmé distribuant des rouleaux d’essuie-tout en les lançant à travers

la salle. L’image est cristallisée et devient symptomatique de l’aide de Washington : aide insignifiante et inefficace, révélatrice de l’ignorance ou du dédain de l’Etat fédéral concernant la véritable ampleur des dégâts. Faisant donc écho à la phrase apocryphe de Marie-Antoinette,

Donald Trump est grimé en reine de France dans un montage superposant la photographie de

Damm et substituant son visage et le rouleau de papier au visage du mannequin pris en photo et à

la saucisse. L’image finale reproduit alors les mêmes effets de couleurs sur les lèvres et la peau, la même inclinaison du visage, la même grimace et le même plissement des yeux. La provocation

sexuelle évoquée par l’image originale est cependant évacuée et reprend le sens premier du terme de provocation, à savoir « exciter quelqu’un, le pousser par un défi lancé ou par des outrances

d’attitude à une action souvent violente et appelant elle-même une riposte » (CNRTL). Par l’émission de ce photo-montage, les caricaturistes cherchent à créer une réaction chez leur public, attribuant à la nouvelle « Marie Trump Antoinette » des intentions sciemment dédaigneuses et

méprisantes. Transportant le blâme et l’image dans le champ politique, les caricaturistes atténuent

cependant involontairement l’image. Moins irrespectueuse, le choix de cette image publicitaire

CHAPITRE II : UTILISATION POLITIQUE COMME