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B : Une antonomase apolitique et visuelle

1. APOLITIQUE, UN BLAME POUR DEMOCRATES

A. Bernie Sanders

Blâme économique mais sans couleur politique, le nom de la reine est ainsi attribué par certains

médias de droite à Bernie Sanders en 2016, dénonçant la gestion économique de sa femme197.

Sanders, candidat malchanceux aux primaires du parti Démocrate en 2016 puis de nouveau en

2020, s’auto proclame social-démocrate, définissant ce concept par une égalité de la population

face au pouvoir politique mais aussi économique. Les journaux de droite profitent de ce terme pour

assimiler sa politique à celle du totalitarisme de l’URSS et à une conception du socialisme comme un contrôle de l’économie par une élite gouvernementale. Dans son article intitulé : “The Marie-Antoinette socialism of Bernie Sanders’s wife”, le journaliste Robert Tracinski assimile tout à la fois Marie-Antoinette au socialisme mais aussi à l’Ancien Régime sans tenir compte de la

contradiction qu’il énonce. L’article qui cite la faillite de l’école gérée par la femme de Sanders semble un oxymore et insinue que c’est en voulant soi-disant offrir à tous les élèves un accès à

l’éducation que l’école a fait faillite. La figure de la reine ne se profile alors pas derrière un rythme de vie somptueux mais derrière de belles idées, une forme d’autoritarisme et une ignorance de la réalité :

Socialism is probably the worst political system ever. (There’s a lot of competition.) It has all the vices of absolute monarchy—the arrogance, the opulent excess, the

oppression, the contempt for its powerless subjects—but with the extra insult of

claiming to rule in the name of “the people.” The starry-eyed college kids who embrace it because they want to be “progressive” and “idealistic” might as well sign up for the Marie-Antoinette Appreciation Society. This has been demonstrated over

and over again, but if you want just another small sample, consider the case of Jane

O’Meara Sanders, the wife of Bernie Sanders, the great idealistic figurehead of “democratic socialism” in America. While her husband has been out promising everyone free college, she used to run a $25,000-per-year private college—which

just announced it will be closing down due to the crushing weight of debt it incurred

under her leadership.

Le couple Sanders présente en effet un paradoxe : si Bernie Sanders prône la gratuité des

universités et finalement du système éducatif, sa femme dirige une école privée. Le journaliste se

contente cependant de critiquer le socialisme, assimilant personnalités et étudiants de gauches à

des idéalistes. Dans une seconde partie encore plus étonnante, il assimile ces idéalistes d’horizons

divers à des avatars de la reine de France. La définition du socialisme mais aussi de la monarchie

absolue de droits divins se confondent alors dans ses propos du journaliste : ils partageraient selon

lui les mêmes vices de « dédains des plus humbles, d’opulence excessive, d’arrogance et

d’oppression ». Leur différence, avance-t-il, résiderait dans l’intention des dirigeants puisque seul le socialisme serait un système qui prétend agir pour le bien du peuple, prétention hypocrite

d’ailleurs.

Partiel et partial, l’article ne mentionne ni les qualités de ces deux systèmes politiques ni l’intention du système monarchique, suggérant que ce dernier n’agit pas pour le bien du peuple mais sciemment pour celui de ses dirigeants. Le fonctionnement supposé de la monarchie se

constitue pourtant comme un échange de service entre les trois pouvoirs (ceux qui prient, ceux qui

protègent et ceux qui travaillent) mais aussi comme une famille, le roi étant père de la nation198.

198 Point de départ de l’analyse de Lynn Hunt dans son ouvrage Le roman familial de la Révolution française, Albin Michel, Paris, 1995

Marie-Antoinette est ainsi réduite à signifiant connu mais au signifié historique méconnu.

Ironique, le journaliste utilise l’image de la reine pour accuser les groupes bien-pensants d’être des utopistes au travers de l’expression Marie-Antoinette appreciation society, qu’on pourrait traduire par « groupe qui s’auto-congratule ». La reine contraste cependant temporellement avec

Robespierre, « père » du socialisme selon Tracinski et père donc de ses défauts et, tel un

prédicateur, le journaliste voit après l’élection d’un Démocrate, le retour de la guillotine, sans

douter un instant de l’association entre la Terreur et Robespierre :

All of this derives from the model of the man who came along after

Marie-Antoinette and laid down most of the precedents for the modern socialist

revolutionary who overthrows the corrupt old system, only to resurrect all of its

worst aspects: “the humanitarian with the guillotine,” Robespierre” (ibid).

Un parallèle aurait pu pourtant facilement être réalisé puisque comme Marie-Antoinette, la

déficitaire reine Sanders s’oppose à la politique de son mari. Louis XVI tentait de faire réaliser des économies à l’Etat et tentait de raisonner en douceur sa femme, surnommée comme on le sait Mme Déficit, pour qu’elle limite ses dépenses via l’épisode de l’aigrette ou le choix du terme de puce pour nommer la couleur de la nouvelle robe de sa femme : « The King was the only member of

Marie-Antoinette’s inner circle who seemed willing to challenge her immoderate oestentation »

(Weber 116).

B. Michelle Obama

Sous la présidence Obama, la Première dame avait essuyé à de nombreuses reprises des

comparaisons avec la reine de France. Lorsqu’elle avait tenté d’imposer une diététique dans les cantines scolaires, par exemple, cette action fut considérée comme une ingérence de la Première

Dame dans la politique, mais aussi de l’Etat fédéral dans les affaires privées et personnelles. La phrase « Let Them Eat Kale » 199 ainsi que des caricatures avaient fait leur apparition :

(Daletoons, Caricature légendée du 18 février 2011)

Michelle Antoinette, the queen of deified fiber,

cares about you. After all, the them she's

talking about is you. Too slack-jawed to feed

yourselves properly, much less your kids, the

First Lady is sacrificing herself by doing battle

with Big Chow on our behalf. Unfortunately,

Americans having freedom, will probably not

eat from the list of State sponsored foods until

the food you love is made too expensive to

buy. Look what we're making them do! Let

them eat taxes. –Dale

Disclaimer: No bustles were harmed during the

making of this picture. As a matter of fact, no

bustles were used.

L’image, détournement du portrait réalisé par Vigée-Lebrun de Marie-Antoinette à la Rose (1783), s’oppose à l’original dans la substitution d’éléments alimentaires (les feuilles de choux) à des éléments décoratifs (la rose) et par la substitution du visage serein de la reine par une grimace

colérique de Michelle Obama. Le collier qu’elle porte forme les lettres FLOTUS pour First Lady Of The United States parodiant les chaines, parfois extravagantes, des artistes de hip-hop et

199 Au lieu de « let them eat cake ». Paradoxalement, ce kale, chou frisé, est le régime prôné par Samantha Bee comme alternative du sandwich du républicain de Scott Walker. Voir Chapitre II, A, page 8

insinuant l’origine populaire de la Première Dame voire son origine afro-américaine. Ce tableau qui montre une reine bourreau des icônes de fast-food sera réutilisé par plusieurs sites de droite ou

d’extrême-droite américaines. Mais combat pour l’hygiène alimentaire de la First Lady est aussi tourné en dérision par l’image, les commentaires insultants soulignant que contrairement à Marie-Antoinette, le postérieur de Michèle Obama sur l’image n’est pas la conséquence d’un panier. Bien que semblant illustrer la guerre diététique que livre Michèle Obama aux cantines scolaires, le

commentaire du caricaturiste déplace sa critique du domaine culinaire au domaine économique.

Le champ lexical de l’économie est perceptible à travers les termes de « State sponsored », « expensive » et « taxes », rappelant que les décisions de la First Lady sont subventionnées par les

citoyens. Cette même image est ainsi utilisée pour illustrer le montant élevé des dépenses de la

First Lady mais aussi à travers elle de Barack Obama durant ses déplacements lors du G-8 :

In 2013 Michelle Obama spent $7,921,638.66 just for accommodations during a

trip to a G-8 conference in Belfast, Ireland. Obama and her entourage booked 30

rooms at the Shelbourne Hotel. The first lady's room alone was a 1,500 square-foot

Princess Grace suite costing $3,500 per night. So far, the Obama's and Vice

President Biden's "Royal Travel" expenses have cost the taxpayers of America over

$58 million dollars. Now how's that hope and change – no pun intended - grabbing

you ? (Sunbay Paper, 23 juillet 2015200).

Afficher le montant précis et au centime près des dépenses du couple présidentiel vient renforcer

l’idée d’authenticité des sources du journal. Ce dernier cible le président Obama au travers des

200 Le Sunbay Paper est un journal populiste républicain aux messages homophobes, anti-avortement et prônant le recours des pleins pouvoirs au président Trump dans son projet de construction du mur avec le Mexique.

Paradoxalement, la revendication de liberté évoquée par le journaliste et caricaturiste ne s’applique ni aux homosexuels, ni aux femmes qui veulent avorter, ni aux immigrants. Si nous avons choisi ce journal, l’information relayée par d’autres journaux de droite tels le Judicial Watch, Newsmax ou le Washington examiner.

dépenses de sa femme et tente de créer un sentiment d’impopularité en faisant état des dépenses

du couple présidentiel puisque ces déplacements et frais d’hébergement sont réglés par les taxes des contribuables. Curieusement, ce chiffre précis de 7,921,638.66 est absent des résultats Google

et des journaux de centre ou Démocrates. Ces derniers n’évoquent d’ailleurs pas le montant des

frais de déplacement du couple présidentiel mais ne relaient comme information au sujet du G8 si

ce n’est le succès de ce sommet. L’analogie est cependant déjà établie en août 2010 dans le magazine du New York Daily News201, article repris par Libération202 : « Michelle Obama

ressemble à une Marie-Antoinette des temps modernes (…) la Reine française qui faisait des

dépenses extravagantes en vêtements et bijoux sans une pensée pour les difficultés économiques

de ses sujets. » Tout comme pour les frais d’hôtel en Irlande, l’article détaille les nombreuses

vacances de la Première Dame, précisant que même si elle propose de les payer, son personnel et

escorte restent à la charge des citoyens américains.

Par ailleurs, l’expression apocryphe « let them eat kale » se changeant en « let them eat taxes », mentionne le processus de l’ingestion. On pourrait ainsi rappeler que la caricature de

Marie-Antoinette à la poule d’Autru/iche de 1791 aurait été plus judicieuse puisque la femme

oiseau représentée ne parvenait pas à digérer la Constitution. Le recours à ce portrait de

Vigée-Lebrun montre que le caricaturiste s’est borné à récupérer une image qui serait reconnue par la plus grande partie de son public selon le processus de l’art satirique. Parodie d’une image officielle,

la caricature de Dale s’inscrit dans un ensemble de copies et détournements sur cette image de

Marie-Antoinette à la Rose. Non seulement, ce portrait de Vigée-Lebrun est un des plus reproduits,

201 ”Material Girl Michelle Obama is a modern-day Marie-Antoinette on a glitzy Spanish” New York Daily News, 4 août 2010

en étant associé à la reine mais il est lui-même la variation du tableau Marie-Antoinette en robe de

Gaule, peint quelques temps auparavant et jugé trop libertin par le public de l’époque.

Vigée-Lebrun, Elisabeth, Marie-Antoinette en Robe de Gaule ou Gaulle, 1783, The Met

Vigée-Lebrun, Elisabeth, Marie-Antoinette à la rose, 1783, The Met

Outre l’écart physique entre Marie-Antoinette et Michelle Obama, les deux femmes partagent un goût certain pour la mode. Si Caroline Weber qualifie Marie-Antoinette de « reine de la mode »,

le magazine Vanity Fair classe Michelle Obama parmi les célébrités les mieux habillées, même

après le mandat d’Obama. La caricature de Daletoons montre ainsi que le dessinateur se conforme à un lieu commun médiatique motivé par la volonté de toucher un large public. Cette caricature

témoigne aussi du renversement des crispations de la société. Si au XVIIIe siècle, la société était

choquée par la relative simplicité de la robe de Gaulle, habit représentatif de la personnalité

licencieuse supposée de la reine ; la société du XXIe siècle est choquée par le raffinement de la

C. Hillary Clinton

La reine comme comparaison de personnage dispendieux et onéreux cible aussi Hillary

Clinton. La révélation de ses frais engagés en 2016 lui vaut un article qui se veut accusateur :

« Hillary Clinton’s $675,000 Paean to Marie-Antoinette, and Goldman Sachs » 203. Corroboré par

le New York Times et CNN, ce montant s’avère une manière inavouée pour la banque Goldman

Sachs de financer la campagne de la candidate à la présidence. La métaphore filée entre la reine et

Hillary se poursuit au-delà du montant disproportionné de ses conférences puisqu’au moment de

cette « fuite », la banque d’investissement était dans une politique de restriction de personnel et de

licenciement : “While Goldman Sachs was in the middle of laying off 1,700 workers in 2013, it

decided to spend more than two-thirds of a million dollars on Hillary Clinton”204. Par ailleurs, interrogée sur le montant de ses prestations, la candidate répondit l’ignorer. Evitant de revenir sur les dépenses de la reine de France, le journaliste se borne à comparer les deux femmes sur leurs

propos : stipulant que si la reine n’a jamais dit « qu’ils mangent de la brioche », Clinton n’aurait

pas répondu non à la rémunération disproportionnée de ses trois heures de conférence. De nouveau,

l’image de Marie-Antoinette et de la brioche semblent se dessiner, le sème de son ingénuité, voire de sa négligence se profilant chez Clinton.

L’argent détourné et l’attitude de la candidate viennent confirmer et réactualiser l’image émise auparavant. Lors de la présidence de Bill Clinton, l’analyse de certains tabloïds de droite

calomniant Hillary avaient permis à Saint-Amand une comparaison à la reine française :

In order to understand Marie-Antoinette’s peculiar situation during the French

Revolution and the negative political representations of her, we might consider the

203 « L’éloge de 675000 dollars d’Hillary Clinton à Marie-Antoinette et Goldman Sachs ». Dyckman, Martin, « Hillary Clinton’s $675,000 Paean to Marie-Antoinette, and Goldman Sachs », Flaglerlive, 11 février 2016 qui reprenait un article du New York Post du 5 février

more recent case of Hillary (…) the hatred trained upon Hillary Clinton during the last presidential election was reproduced in the very same language as the discourse

of infamy that sent Queen Marie-Antoinette to the guillotine on 16 October 1793

(Saint-Amand 379).

Dans cet article de 1994, Saint-Amand revenait sur le traitement injurieux dont avait été sujette la

reine dans les pamphlets mais aussi de l’accusation d’ingérence politique d’une femme dans les affaires d’hommes. Selon lui, cette ingérence suscite de la misogynie auprès de la population,

notamment masculine, ce que l’historien nommait d’après la reine le syndrome Marie-Antoinette : « the fear of women in power, of woman’s empowerment, might be designated the Marie-Antoinette syndrome » (ibid). Saint Amand compare ensuite Hillary Clinton, alors Première dame

des Etats-Unis à Marie-Antoinette pour montrer la récurrence et continuité des insultes misogynes

surgissant dans le champ politique, listant trois champs et caractéristiques de ce syndrome : «

demonization and cloning of the woman’s influence ; the accessibility of the woman’s genitalia as the very organ of influence ; and a seizing of the woman’s body by way of sexual appropriation ». Etudiant la première de couverture du magazine satirique Spy de Février 1993, Saint Amand

montre bien la campagne de diffamation ciblant Hillary Clinton et à travers elle, toutes les femmes

politiques. Cette campagne se réalise par le détournement d’images et produisant un collage, montage photographique d’une First Lady en tenue de sado masochiste. Voulant illustrer que la diffamation d’un homme politique peut avoir lieu au travers de sa femme et notamment de ses pratiques sexuelles, Saint Amant rapproche Hillary Clinton de Marie-Antoinette qui était aussi

dessinée nue ou au milieu d’ébats. Il est cependant amusant de constater que non seulement Bill Clinton aura à faire face à des critiques concernant ses propres pratiques sexuelles deux années

après l’article205 mais aussi que presque 25 ans plus tard en 2016, Hillary Clinton se présentera à

la candidature de la république. A l’opposée de la reine de France accusée de tenter avec plus ou

moins de succès d’influencer plusieurs fois la politique royale sur le choix des ministres et en faveur de la maison d’Autriche dans l’ombre de Louis XVI, Hillary Clinton vient sur le devant de la scène politique pour revendiquer les pleins pouvoirs, passant de première dame à candidate à la

présidence.