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B : Une antonomase apolitique et visuelle

2. LE CAS FRANÇAIS : DE SARKOZY A MACRON

Traversant le temps et l’espace, la comparaison à Marie-Antoinette ne cible cependant pas seulement les personnalités américaines Républicaines ou Démocrates. Le 17 septembre 2018,

c’est le couple Macron qui est appelé une Marie-Antoinette. La chaine France 24, pourtant chaine d’Etat206, titre ainsi : « Macron sparks Marie-Antoinette Jibe after jobless remark ». L’article

reprend notamment la dernière ligne du journaliste de Libération, Laurent Joffrin. Ce dernier

établit le parallèle dans un article du 16 septembre : « Responsabiliser les Français ? Cela se

conçoit. Mais les culpabiliser sur le ton de Marie-Antoinette : c’est ce qui plombe cette

présidence207 »

Un peu plus tôt, en 2014, Catriona Seth, professeur de littérature du XVIIIe siècle liste les

célébrités ciblées par cette antonomase : la porte-parole du gouvernement Fillon, Nathalie

Kosciusko-Morizet ignorant le tarif d’un ticket de métro ; Mitt Romney et ses « moments

Marie-Antoinette », évoquant ses Cadillacs en pleine crise automobile ; Cecilia Sarkozy puis Carla Bruni,

205 avec l’affaire Monica Lewinsky

206 Chaine en partie subventionnée par l’Etat Français depuis l’action de Nicolas Sarkozy en 2008

nouvelles reines de France exhibant des produits luxueux après l’élection de Nicolas Sarkozy ; ou encore Asma Al Assad, femme du dirigeant Syrien, visitant « Harrods pendant que son époux

massacrait des milliers de personnes » (Seth 343).

Plantu, Septembre 2007, « A la veille du passage symbolique des cent jours à l'Elysée, le président de la République manifeste, après trois mois

d'omniprésence, un premier signe de retrait. »

Plantu, Août 2007, Nicolas Sarkozy de retour des vacances qu'il a passées

dans le New Hampshire.208

Si ces blâmes ciblent avec une certaine constance une attitude réduite à un « moment » dans le

vocabulaire américain, ils prennent différentes formes synthétiques de jugements immédiats que

ce soient des caricatures ou des phrases péremptoires. Ces blâmes se popularisent aussi sous une

forme théâtrale, parodiant et ridiculisant les effets médiatiques employés par Emmanuel Macron

dans sa campagne.

Si Christian Biet, dans son article sur la performance, rappelle que le théâtre permet

d’explorer les questions politiques sur scène, c’est que la politique peut être aussi envisagée sous la forme d’un jeu théâtral. La scène se prête en effet à la pratique oratoire puisqu’elle se constitue d’un espace spécifique où les fictions, hypothèses ou possibles, doubles de la réalité peuvent momentanément prendre forme : « le théâtre fait entrer les représentations qu’il propose et surtout

sa représentation même dans le politique, dans la cité, en figurant les zones et les questions sur

lesquelles, par exemple, la politique et le droit achoppent ou qu’ils ignorent » (Biet, 33). De plus, le politicien, semblable à son prédécesseur antique, emprunte certains de ses effets tel l’art de la

déclamation, au genre dramaturgique. Les médias ont d’ailleurs souligné à de nombreuses reprises l’importance du théâtre dans la vie du nouveau chef d’Etat, mentionnant sa formation, mais aussi son entourage. Les performances médiatisées d’Emmanuel Macron tiennent en effet de celles d’un

acteur qui interprète le rôle d’un roi et dont le mandat emprunte les symboles de l’Ancien Régime : Il est arrivé au palais de l'Élysée en adoptant l'allure d'un roi. Son investiture, le 14

mai 2017, Emmanuel Macron l'a scénarisée, répétée avec son épouse (…) il a fait

le show dans les salles municipales, ménageant ses silences, travaillant ses effets,

modulant sa voix lors d'une tournée de stand-up politique209.

Comparant le chef de l’Etat à un monarque qui parade, les journalistes soulignent son attention à réactualiser les cérémoniaux de la cour de Versailles.

(Etienne Laurent / Reuters, Emmanuel Macron dans la galerie des Bustes, château de Versailles, 3 juillet 2017)

Ce cérémonial monarchique passe non seulement par la récupération du symbole de Versailles,

mais aussi par la société formée par les proches du président, favoris ou ultra-riches. C’est ce que

l’acteur Pierre Arditi semble malgré lui avouer dans l’article du Parisien : « Je les [Macron] aime bien, je les estime, nous confie-t-il. Mais je ne suis pas un courtisan 210». La relative complaisance de la justice à l’égard de ces derniers, notamment dans l’affaire Benalla, révèle un droit que certains voient comme partial, à deux niveaux et rappelant les traitements de faveur d’un autre temps. La

situation économique de la France semble par ailleurs similaire à celle de la fin du XVIIIe siècle

avec une tentative désespérée d’attirer et de conserver les capitaux en séduisant les investisseurs : « Petits fours et Roi-Soleil. Persuadé que l’attractivité est aussi affaire de symbole, le chef de l’Etat

invite 140 PDG dans l’enceinte du Château de Versailles211 ». Le chef de l’Etat leur accorde des

réductions d’impôt, la suppression de l’ISF212 alors même que pour renflouer les caisses de l’Etat

210 Pierre Arditi cité dans l’article du Parisien

211 Pietralunga, Cédric, « Emmanuel Macron se pose en héraut du France is back », Le Monde, 22 janvier 2018 212 Macron Emmanuel, Le Grand Oral – 15 minutes pour convaincre, France 2, 20 avril 2017 « Ce n’est pas injuste parce que c’est plus efficace »

une politique plus pénalisante touche les plus modestes via une hausse du prix du carburant, une

diminution des APL ou des retraites. Ces considérations sur les impôts qui privilégient les plus

forts rappelle la tentative d’instauration de l’impôt du vingtième sous Louis XV. Cet impôt instauré en 1749, est décrit comme plus égalitaire car il devait toucher toute la population à raison d’une taxe de 5% du revenu. Sous la pression du groupe des dévots, le clergé s’y soustrait en 1751 et la

noblesse, la même année, est autorisée à acheter un abonnement à moindre coût lui permettant

d’être exempté de cette taxe213 suscitant l’indignation de Diderot qui rédige un long article critique

dans son Encyclopédie214.

Cette politique à deux niveaux creuse les écarts de représentation de la population, qui

semble de nouveau constituée en classes imperméables. Visible sous le mandat de Nicolas

Sarkozy, c’est cependant sous celui de François Hollande qu’on voit la nouvelle « noblesse » revendiquer en secret son lien de parenté avec l’ancienne. Carlos Ghosn, par exemple, choisit deux fois de privatiser à titre gracieux le château de Versailles. Pour son anniversaire le 9 mars 2014215

puis pour son mariage le 6 octobre 2016, il fait sien, non seulement un lieu symbolique, mais aussi

le cérémonial des fêtes qui y sont rattachées. Les vidéos révélées en mai 2019 montrent ainsi un

personnel, des musiciens et danseurs en costume qui offrent une reconstitution historique supposée

fidèle des spectacles du roi-soleil, lesdits spectacles clôturés par un feu d’artifice. Son repas apprêté

par le chef Alain Ducasse comporte cependant en dessert une pièce-montée de macarons,

anachronique au XVIIIe siècle mais révélateur de l’efficacité et de l’influence du film de Coppola dans les conceptions historiques. L’acteur François Cluzet, le Camille Desmoulins du film de

213 Cornette, Joel, « l’affaire du vingtième ou le réveil des oppositions », 2008

214 Diderot et d’Alembert, « VINGTIEME, imposition », L’Encyclopédie, 1ère édition, 1751

215 Voir chapitre I A. Vidéo révélée par Laurent Léger dans l’Express le 9 mai 2019 et par Clément Lacombe dans

Robert Enrico, fait étonnamment partie des privilégiés, malgré ses prises de position humanitaires

dans la sphère publique.

(Anniversaire de Carlos Ghosn du 9 mars 2014, anniversaire prétendu du groupe Renault)

(Mariage de Carlos Ghosn du 6 octobre 2016, location « offerte » par le château)

La médiatisation de ces fêtes privées, financées « à son insu » par le groupe automobile ou

« cadeau » du château de Versailles prend une autre signification quand on sait que cette vidéo est

uniquement rendue publique à la suite de l’arrestation de Carlos Ghosn au Japon pour détournement de fonds et abus de confiance. La justice japonaise a mis en évidence que le

détournement d’argent, dissimulé derrière l’appellation de « primes de performance », servirent à financer les entreprises de son fils aux Etats-Unis ou de sa femme dans les îles Vierges

Britanniques216. Le népotisme dont ferait preuve Ghosn se double donc d’une sorte de mégalomanie et cette volonté d’incarner un roi moderne semble donc une épée à double tranchant, les fastes de Louis XIV étant proches du destin de son successeur Louis XVI.

Le parallèle avec la Révolution Française et la dernière reine de France semble d’ailleurs avoir appris de la période présidentielle de Nicolas Sarkozy puisque l’attitude politico-économique menée par Emmanuel Macron suscite un mouvement de protestation rapide, violent et fortement

médiatisé. Ce rapprochement se réalise aussi à travers d’autres acteurs et affaires en marge du président, que cela soit le personnage de Brigitte Macron, accusée d’ingérence dans les affaires de l’Etat ou l’affaire Benalla, qui tout comme la prison de la Bastille, cristallise les abus du pouvoir. Si la Bastille symbolisait les lettres de cachet et donc l’autoritarisme injuste dont pouvait faire preuve le pouvoir royal, Benalla, sa violence, la dissimulation de son action et l’immunité dont il

aurait bénéficié avant, pendant et après le procès symbolisent aussi les dérapages du nouveau

pouvoir. Professeur de communications à l’Université d’Assas et directeur de l’IFP, Arnaud Mercier commente ainsi :

La première dame se met en avant depuis le début du quinquennat sur un mode

‘paillettes', notamment dans les pages de Paris Match, et revendique incarner l’élégance à la française (…) Chez les Gilets jaunes, il y a globalement une appropriation du vocabulaire révolutionnaire. Brigitte Macron, c’est

Marie-Antoinette […] tandis que l’on veut la guillotine pour Emmanuel Macron217.

216 Mesmer, Philippe, « Carlos Ghosn inculpé une quatrième fois au Japon », Le Monde, 22 avril 2019 217 BFM TV, 8 décembre 2018

Si Mercier cite la guillotine, c’est bien parce que, semblable à une scène de théâtre, une pièce politique fut jouée dans la rue ou dans les espaces publics : « des manifestants avaient cousu un

pantin de taille humaine posé sur un échafaud plus vrai que nature. Sur le billot était écrit : « Te

guillotiner c’est notre projet » » 218. Que ce soit au Puy-en-Velay le 1er décembre 2018 ou à

Angoulême le 21 décembre, des manifestants jugent et exécutent le chef de l’Etat dans une parodie de procès. Mise en scène morbide, le pantin du président est ainsi décapité simultanément dans

différents lieux, sans beaucoup de conséquences car si les manifestants d’Angoulême furent tout

d’abord poursuivis pour « provocation au crime et outrage » dès les jours qui suivirent, l’accusation fut annulée pour vice de forme. Les manifestants inconnus du Puy n’ont, quant à eux, pas fait l’objet de poursuites219.

Représenter un roi ou un couple royal sur la scène de l’espace public semble alors similaire à la montée vers l’échafaud dans l’opinion publique. Christian Biet théorise cette proximité entre l’échafaud et l’échafaudage de la scène théâtrale, lors de laquelle les images publiques ne font

218 Bacqué, Raphaëlle et al, “Depuis la crise des “gilets jaunes”, la vie à huis clos d’Emmanuel Macron”, Le Monde, 22 décembre 2018.

219 Dequier, Loic, « Décapitation d’un pantin de Macron à Angoulême : trois gilets jaunes placés en garde à vue »,

qu’un avec le corps physique, exhibé et vu de tous pour être vu, perçu ou exécuté de manière spectaculaire :

Le public est donc face à un praticable installé en hauteur, face à un échafaud,

autrement dit à un espace scénographique déjà vu et conçu comme en référence à

l’échafaud des places publiques (…) estrade sur laquelle on exécute les condamnés, les personnages de théâtre, les pièces et les cérémonies religieuses. L’échafaud est en effet avant tout un dispositif scénique surélevé destiné à permettre au public de

mieux voir ce qu’on lui donne à voir, qui indique d’abord le lieu du supplice, puis la scène mais aussi l’autel (Biet 83).

La répétition de ces parodies d’exécution et la légèreté des condamnations qui les réprime instaure une émulation en France mais aussi dans le monde, que ce soit lors du festival d’Avignon le 4 mai 2018 ou lors d’une manifestation à Nantes le 7 avril 2018. Dans la tradition du carnaval, les manifestants de la Nouvelle Orléans s’inspirent des révolutionnaires français, utilisant aussi bien le dispositif de la guillotine que les dossards des gilets jaunes pour manifester contre leur propre

président en janvier 2019220.

220 Voir introduction: Adelson, Jeff, « New Orleans’Donald Trump protest: ‘Impeach dat’, mocking statue, as crowd takes to streets” The New Orleans Advocate, 14 janvier 2019

S’il a été démontré que la France était une référence pour le luxe, ces derniers développements

prouvent qu’elle est aussi une référence imagée internationale pour les révoltes et manifestations.

Cette accumulation de symboles qui assimilent Marie-Antoinette, Napoléon ou les Gilets Jaunes

en adeptes ou adversaires politiques brosse le portrait d’une France championne d’une économie morale selon la définition qu’a donné E.P. Thomson pour l’Angleterre du XVIIIe siècle. Si la

Maison Blanche tente de se hisser au même niveau que Versailles, la famille Trump devenant les

nouveaux Bourbons et la misère causée dans le monde étant la conséquence de leur train de vie et

de leurs décisions inconséquentes, les manifestants semblent à première vue le menacer par le

truchement de la mise en scène.

La référence à Marie-Antoinette, nous l’avons vu, est cependant aussi parfois un argument

de mauvaise foi, subjectif ou vide de sens, évoluant sur un barème allant de l’insulte à la distraction. La ligne politique et l’intention des rédacteurs doivent donc être analysées pour saisir les clés d’interprétation de la référence à la reine. Cette dernière semble en effet parfois citée sans arrière-pensée comme dans cet article du tabloïd Gala intitulé « Brigitte Macron à nouveau

Marie-Antoinette était la figure de proue des chevelures en volume, elle utilisait ses

boucles pour imposer son pouvoir à la cour de France (...) On retrouve ce même

souci d'élégance et cette démonstration de confiance en soi, mais sans la suffisance,

aujourd'hui. Cette ère de la "Big Hair Energy" (comprendre l'affirmation de soi par

les cheveux) est incarnée par Brigitte Macron qui porte un carré blond sphérique221

Cet article semble tourner en dérision l’association entre les cheveux et le pouvoir dans les

imageries, que ce pouvoir soit politique ou sexuel. Prétendument traduit du journal britannique

Financial Time, le rédacteur français omet de signaler que c’est à la rubrique « beauté » qu’il a

trouvé l’article source. Article partial, le journaliste effectue des coupes dans le texte original et

intervertit ses paragraphes puisqu’en dépit du titre français, le Financial Time ne fait qu’évoquer

succinctement la première dame de France. Article de mode ou fait divers « sensationnel », le

tabloïd français, qui adapte un magazine financier, vient divertir et donner de l’importance aux

célébrités via la symbolique de la chevelure sans développer le rôle (ou l’insignifiance) politique

effectif des différents personnages évoqués.

L’utilisation d’une reine de France, que ce soit pour un éloge ou une attaque concède certes que nous sommes face à une bataille d’images mais aussi que les arguments se sont réduits dans les deux camps à une intention, à une direction dans l’interprétation de ce symbole polysémique. Cela rappelle aussi l’usage que fit le pouvoir au XVIIIe siècle de la littérature du caniveau et des rumeurs :

La police les poursuit et les manipule : elle a grand besoin d’elles pour s’informer,

pour être au courant et encore plus besoin d’elles pour les nourrir de ragots et de rumeurs qui doivent contrecarrer d’autres rumeurs jugées dangereuses (Farge 56).

221 Durand, Thomas, « Brigitte Macron à nouveau comparée à Marie-Antoinette pour une drôle de raison » Gala 22 mai 2019

Ainsi, l’image de Marie-Antoinette est popularisée par les studios de cinéma dans une logique

commerciale et financière. Loin de condamner la figure historique, celle-ci, nous l’avons vu, est

génératrice d’une économie du luxe, économie directe ou dérivée, et elle représente une forme de

savoir-vivre. Ces représentations sont alors opposées aux visions des révolutions menées par les

peuples, bouleversements populaires et sociaux qui dès lors sont occultés, niés ou dépeints comme