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A : Marie-Antoinette en politique comme blâme Républicain

1. UN BLAME HISTORIQUE

« Qu’ils mangent de la brioche ! », si la phrase apocryphe a déjà fait l’objet d’une étude

approfondie153 attribuant sa paternité à des prédécesseur de la reine, il semble cependant malaisé d’affirmer qu’elle a, réellement ou non, répété oralement cette phrase, détracteurs et supporteurs de Marie-Antoinette émettant chacun des documents authentiques pour infléchir l’Histoire.

Cependant, le décalage entre le train de vie de la reine et la pauvreté du peuple semble faire de la

reine un exemple illustrant efficacement cette phrase.

Tout au long de sa correspondance de lettres manuscrites et authentiques que nous

conservons d’elle154, se dessine le portrait d’une reine consciente des problèmes de la population

mais refusant d’agir pour elle, préférant se complaire dans les distractions et le luxe. Ainsi, le 14 juillet 1775, Marie-Antoinette annonce à sa mère compatir avec le peuple français, annonçant la

153 Voir Campion Vincent et al, « Marie-Antoinette et son célèbre dire », ANNALES HISTORIQUES DE LA

RÉVOLUTION FRANÇAISE 327, 2002

résolution de la cour et du roi à limiter le nombre de fêtes grandioses. Elle avance ainsi : « on

épargnera de l’argent mais ce qui est bien plus essentiel, c’est le bon exemple pour le peuple qui a tant souffert de la cherté du pain » (Lever 219). Cette économie de la cour, qui est en fait une

simple restriction, fait suite à la disette occasionnée par la mauvaise récolte de blé et les réformes

de Turgot. Les décisions du physiocrate, malgré sa bonne volonté, occasionneront de la spéculation

et une inflation du prix du pain et les révoltes qui s’ensuivront porteront conséquemment le nom de « la guerre des farines ». Ce « bon exemple » de la cour, que la reine prétend suivre de manière

ingénue et compatissante s’avère cependant un faire semblant. La reine continue en effet ses dépenses, ce qui est révélé dans les lettres de Mercy d’Argenteau ou Rosenberg. Elle dote et nomme ses favoris à des positions élevées155, achetant des bijoux hors de prix qu’elle est incapable

de régler avec sa large cassette et dont elle demande le remboursement à Louis XVI156, cela avant ses dettes de jeux au pharaon. Cette attitude associée à l’interception d’une lettre au Comte de Rosenberg dans laquelle elle appelait Louis XVI « pauvre homme » provoque la colère de

Marie-Thérèse et Joseph II, qui la tancent sévèrement157. Marie-Thérèse répond tout de suite après

réception de sa lettre le 30 juillet : « Où est ce cœur si généreux (..) je n’y vois qu’une intrigue (…)

comme une Pompadour, une Barry (…) les flatteurs m’ont toujours fait trembler pour vous depuis

cet hiver où vous vous êtes jetée dans les plaisirs et les ridicules parures ». (Lever 223) Beaucoup

plus incisif, Joseph II ébauche un projet de lettre critiquant sévèrement la reine et son ingérence

irréfléchie dans les affaires de l’Etat :

155 Lettre de Rosenberg du 13 juillet 1775

156 Note 2 de la lettre du 31 juillet 1776 « la reine venait d’acheter des bracelets de diamants pour 250000 livres après avoir déjà acquis des boucles d’oreilles pour 450000. Elle avait été obligée de demander au roi de régler ses achats » (Lever 253)

157 Renseignés par d’Argenteau et Rosenberg qui révélaient que la reine s’était ingérée dans les affaires publiques pour influencer le jugement en faveur de Guines et promouvoir Lamballe, preuves de népotisme autoritaire

De quoi vous mêlez-vous, ma chère Sœur, de déplacer des ministres, d’en faire

envoyer un autre sur ses terres, de faire donner tel département à ci ou à

celui-là de faire gagner un procès à l’un, de créer une nouvelle charge dispendieuse à votre cœur, enfin de parler d’affaires (…) Vous, aimable jeune personne qui ne pensez qu’à la frivolité, qu’à votre toilette, qu’à vos amusements toute la journée ; qui ne lisez ni n’entendez parler raison un quart d’heure par mois (Lever 222).

Cette ingérence irréfléchie, cause, se flatte la reine, le départ de M. D’Aiguillon et de celui de la Vrillière. Réputée pour être à l’origine du renvoi de Turgot : « Marie-Antoinette herself – had effectively turned the king against Turgot’s proposals and policies » (Curran 355) et à celui du

rappel de Choiseul, les actions de la reine se révèlent un mélange de caprices associés à une volonté

lointaine de suivre les recommandations maternelles de renforcer la maison d’Autriche. Le renvoi de Turgot proviendrait notamment du soutien de ce dernier pour d’Aiguillon dans l’affaire de Guines158, mais proviendrait surtout de l’échec de ses méthodes : « Manipulée par la faction

choiseuliste, elle (Marie-Antoinette) avait intrigué contre Turgot autant qu’elle avait pu, mais ce

n’est pas à ses caprices que l’on doit imputer la décision de Louis XVI » (Lever 243). Et dans le contexte de complot de famine, la figure de Marie-Antoinette paraît celle d’une affameuse, Turgot

prétendant en effet résoudre le problème du pain.

L’opposition entre un train de vie fastueux et la famine qui menace constamment sont le contexte tendu qui contribue à la Révolution. Tentant d’expliquer la formation de cette dernière, Taine évoque la « disette » qui fut selon lui « prolongée pendant dix ans » et qui s’associe à la

naissance d’une réflexion personnelle lors des Etats-Généraux.

158 Procès opposant le Comte de Guines à son secrétaire Tort de la Sonde et illustrant l’autoritarisme royal puisque le comte ne gagne son procès que parce que Marie-Antoinette le décide.

En 1788, année très sèche, la récolte avait été mauvaise : par surcroît, à la veille de

la moisson, une grêle effroyable s’abattit autour de Paris, depuis la Normandie jusqu’à la Champagne, dévasta soixante lieues du pays le plus fertile et fit un dégât de 100 millions. L’hiver vint et fut le plus dur qu’on eût vu depuis 1709 (Taine 4).

Par opposition, la reine est dans une dépense continuelle qui ne semble pas affectée par la

considération de ses citoyens. Mercy d’Argenteau liste ainsi dans sa lettre du 17 septembre 1776 : 40000 livres de pension à son frère (Lamballe) et 14000 livres d’appointement

comme colonel, quoique les appointements des colonels ne soient que de 4000

livres. Ces dépenses, qui sont entièrement du fait de la reine, lui en ont fait imputer

d’autres (…) La pension de la reine a été plus que doublée ; cependant la reine a contracté des dettes, et néanmoins, on ne voit pas qu’elle ait augmenté ses charités

et générosités, si ce n’est peut-être pas quelque galanterie à Mme de Lamballe ou autres favorites. Le principe des dettes de la reine est connu et n’excite pas moins de cris et de plaintes. La reine a acheté beaucoup de diamants, et son jeu est devenu

fort cher ; elle ne joue plus aux jeux de commerce dont la perte est nécessairement

bornée. Le lansquenet est devenu son jeu ordinaire et parfois le pharaon159.

Ces attitudes de la reine semblent ainsi confirmer l’association de la reine à une attitude

déconnectée de la réalité et du peuple. Elle l’avoue d’ailleurs en juillet 1774 : « le peu que j’entends des affaires me fait voir qu’il y en a de forts difficiles et embarrassantes160 », aveu d’indécision

partagée par l’abbé de Vermond, son tuteur, qui la dit étrangère à la politique par principes et par

159 Correspondance secrète entre Marie-Thérèse et le Comte de Mercy d’Argenteau, p.496-497 160 Lettre du 30 juillet 1774, Lever p. 192

goût161. Tout comme le « Make America Great Again », MAGA de Trump, phrase concurrencée

par son « Grab’em by the pussy » ou « Yes, We Can » d’Obama, la reine associe son nom à un

slogan, voire à une attitude.

Phrase pourtant attestée avant le règne de Marie-Antoinette, cette dernière, par sa conduite

spécifique, est parvenue à éclipser les prédécesseurs, inconnus et oubliés, qui avaient effectivement

prononcé la fameuse phrase « Qu’ils mangent de la brioche ». Peut-on cependant comparer les

attitudes et actions des célébrités politiques et médiatiques à des Marie-Antoinette avec la même

mesure sans entrer dans l’excès, l’anachronisme ou la caricature ?