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LA RÉVOLUTION CHIMIQUE

Dans le document Histoire des sciences (Page 153-155)

Nous avons vu dans le chapitre précédent comment l’hypothèse atomique s’est insérée dans l’étude de la chaleur et nous avons fait allusion à la controverse de la fin du XIXe siècle sur la réalité des atomes dont Boltzmann fut victime. Nous allons maintenant faire un retour en arrière et décrire les progrès de la chimie jusqu’à l’adoption de l’hypothèse atomique.

A

Les ancêtres de la chimie

La Chimie comme science est née au XVIIIe siècle. Elle est l’héritière de trois types d’activités : la métallurgie, la pharmacie et, surtout, l’alchimie. Le mot chimie vient évidemment du mot alchimie, lui-même dérivé de l’arabe al-Kîmiyâ. Ce mot arabe proviendrait soit du grec khuma (Χυμα) qui désigne un écoulement (comme celui d’un métal en fusion), ou, plus probablement, du grec Khêmia (Χημια), qui désigne l’Égypte1(probable- ment le berceau de l’Alchimie).

7.A.1

L’alchimie

Le but de l’alchimie est principalement de découvrir des principes qui permettent de transformer la ma- tière. En particulier, elle vise la transmutation des métaux vils (le plomb, le mercure) en métaux nobles (l’or, l’argent). Une telle définition est cependant trop simplifiée, car beaucoup d’alchimistes recherchaient non seulement le secret de la transmutation des métaux, mais aussi une médecine universelle, un élixir de longue vie qui leur permettrait de vivre pendant des siècles. En fait, le but ultime du véritable alchimiste était d’ac- quérir, par une pratique longue et patiente et une méditation non moins longue, le secret de la pierre phi-

losophale, substance (ou principe) qui permettrait de fabriquer à la fois l’élixir de longue vie et la poudre de projection qui sert à la transmutation des métaux. La pierre philosophale est réputée s’obtenir par une suite

très longue d’opérations sur des matières premières communes, mais cette matière première et ces opéra- tions sont gardées secrètes. Le procédé ne peut s’obtenir qu’en recevant le secret d’un initié et les textes al- chimiques ne contiennent que quelques indications mineures, parfois trompeuses. L’alchimie est donc avant tout une activité ésotérique, c’est-à-dire qui procède par transmission d’un savoir caché. Les ouvrages alchi- miques sont délibérément obscurs et cachent leurs secrets dans un langage symbolique dont la signification n’est pas claire. Citons un alchimiste mettant en garde ses lecteurs :

1. ce mot vient probablement de la langue égyptienne, où il signifierait «terre noire», une allusion à la fertilité des terres égyptiennes.

Je t’affirme en toute bonne foi que si tu veux expliquer les écrits des alchimistes par le sens vulgaire des paroles, tu te perds dans les embûches d’un labyrinthe sans issue d’où tu ne pourras sortir, n’ayant pas pour te diriger le fil d’Ariane, et, quels que soient tes efforts, ce sera autant d’argent perdu. – Arthephius [49]

Origine de l’alchimie D’où vient l’alchimie et quand est-elle apparue ? La plupart des spécialistes pensent qu’elle est née en Égypte, au début de l’ère chrétienne. D’autres pensent qu’elle re- monte à plus loin et qu’elle tire ses origines de la science ésotérique des prêtres égyptiens. La légende veut qu’elle ait été fondée par le dieu égyptien Thot, dieu du calcul et du savoir, conseiller des autres dieux. Les Grecs identifièrent ce dieu à Hermès et le qualifièrent de «trois fois grand» ou Trismégiste. Pour cette rai- son, les principes «philosophiques» et mystiques à la base de l’alchimie sont appelés philosophie hermétique.2 La philosophie hermétique, telle que contenue dans la littérature alchimique, montre une parenté évidente avec la doctrine néo-platonicienne, sorte de mariage des philosophies de Platon et d’Aristote avec les idées mystiques des religions orientales. Du point de vue de la pensée rationnelle, le néo-platonisme est certaine- ment en régression face à la philosophie grecque et son apparition, vers la fin du IIe siècle, coïncide avec une baisse de l’activité scientifique.

Après le déclin de l’Empire romain, l’alchimie, comme les sciences grecques, fut reprise et relancée par les Arabes. L’alchimiste arabe le plus célèbre est Jabir Ibn-Hayyan (ou Geber pour les Occidentaux). La traduc- tion de ses oeuvres suscita des émules dans l’Occident médiéval : l’alchimie devient populaire au moyen-âge à partir du XIIIe siècle et ne commença à décliner qu’au XVIIe siècle. Certains textes alchimiques sont attri- bués à des théologiens reconnus comme Albert le Grand, Raymond Lulle et Arnaud de Villeneuve. Les textes hermétiques anciens avaient un immense prestige au moyen-âge et surtout pendant la Renaissance : on les faisait remonter à l’époque de Moïse et on y décelait ce qu’on interprétait comme des annonces de la venue du Christ. Ceci explique que plusieurs théologiens aient pu s’y intéresser. Ils avaient en cela la bénédiction de Saint-Augustin (Ve siècle) qui croyait qu’Hermès Trismégiste avait annoncé la venue du Christ. Or, en 1614, Isaac Casaubon, un helléniste passant comme «l’homme le plus savant d’Europe», étudie les textes hermé- tiques et conclut, en raison de leur style et des idées auxquelles ils font référence, qu’ils datent du début de l’ère chrétienne et non de l’époque de Moïse ! Cette critique contribue peu à peu à diminuer le crédit de la philosophie hermétique, qui demeure néanmoins très populaire au XVIIe siècle, en pleine révolution scientifique. Peu à peu, les alchimistes d’hier font de moins en moins appel à des arguments surnaturels et deviennent des chimistes…

Principes de l’alchimie Les conceptions des alchimistes sur la matière, pourvu qu’on puisse en juger de leurs écrits, ne sont pas très éloignées de la tendance platonicienne ou aristo- télicienne. Ils font généralement référence aux quatre éléments classiques (terre, eau, air, feu) et ajoutent par-dessus des «principes», qui ne sont pas des éléments comme tels, mais plutôt des qualités, des arché- types. Geber distingue le principe «soufre», qui est mâle, actif, chaud, fixe et dur, en opposition au principe «mercure», qui est femelle, passif, froid, volatile et fusible. Basile Valentin et Paracelse ajoutent un troi- sième principe, le «sel», intermédiaire entre les deux premiers. Les sept métaux connus des anciens (or, ar- gent, mercure, plomb, étain, fer, cuivre) sont associés aux sept astres (Soleil, Lune, Mercure, Saturne, Jupiter, Mars, Vénus).

Ce qui distingue peut-être le plus l’alchimie de la science moderne est sa vision organique, plutôt que méca- nique, de l’Univers. Au contraire de la philosophie mécanique qui a en quelque sorte tenté, depuis Descartes,

2. En français moderne, le mot hermétique qualifie soit un texte obscur et incompréhensible, comme ceux de la philosophie hermétique, soit un récipient parfaitement fermé, comme ceux utilisés par les alchimistes.

A. Les ancêtres de la chimie

d’expliquer la vie par des mécanismes, l’alchimie attribue à la manière «inerte» les qualités du vivant. Ainsi, toute chose est créée par la conjonction de principes mâle et femelle. Par exemple, on croyait que le métal était en croissance au sein de la terre et que, dans sa forme achevée, ce métal était de l’or. Mais si sa croissance était interrompue (par extraction ou par avortement naturel), ce métal adoptait une forme plus vile (argent, plomb, etc.). La tâche de l’alchimiste était de rassembler les conditions propices à la gestation normale du métal afin de lui permettre d’atteindre le plus haut degré de maturité, c’est-à-dire de devenir de l’or. Pour ce faire, il fallait accélérer la gestation naturelle en extrayant des substances grossières les principes actifs (mâle et femelle) sous forme concentrée.

Héritage de l’alchimie La contribution des alchimistes n’est cependant pas à négliger. La littérature al- chimique est énorme : des dizaines de milliers de textes. Il semble même que New- ton ait écrit plus de textes sur l’alchimie que sur la physique et les mathématiques [85]. Les alchimistes ont contribué à la conception d’instruments et ont dans certains cas découvert des éléments nouveaux. L’un des alchimistes les plus connus du moyen-âge, Basile Valentin, moine bénédictin, découvrit un nouveau métal. La légende dit qu’il utilisa un sel de ce métal comme remède qu’il administra à plusieurs moines de son mo- nastère, qui en moururent. Pour cette raison, cet élément fut appelé antimoine. Dans son traité alchimique

Le char de triomphe de l’antimoine, Valentin dit «Toutes les choses proviennent d’une même semence, toutes,

à l’origine, ont été engendrées par la même mère…», ce qui montre l’importance que les alchimistes atta- chaient à la recherche d’un principe premier, d’une compréhension unifiée des substances. Mises à part ses vaines tentatives de transmutation, Valentin expliqua comment produire l’acide chlorhydrique et comment produire l’eau de vie (aqua vita, ou aqua ardens) par distillation.

Dans le document Histoire des sciences (Page 153-155)