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5.A.1 Les anciens, la lumière et la vision

Dans le document Histoire des sciences (Page 109-112)

Les premières conceptions sur la lumière sont inséparables du problème de la vision. Nous distinguerons trois théories que les anciens avaient à ce sujet.

1. Les atomistes anciens croyaient que la vision est causée par l’arrivée dans l’oeil d’une réplique éthérée de l’objet observé. Autrement dit, de chaque objet sont projetées en permanence une myriade d’éma- nations appelées simulacres, ou écorces, qui ont la forme de l’objet et qui, en s’approchant de l’oeil, s’amenuisent de manière à le pénétrer et à nous communiquer une sensation de la forme de l’objet. Dans cette curieuse conception, la lumière n’existe pas : ce sont les simulacres qui se déplacent et qui causent la vision.

2. Les Pythagoriciens avaient de la vision une théorie tout à fait différente. C’est l’oeil, selon eux, qui émet des rayons en direction des objets observés. Ces rayons émanent en fait du feu intérieur contenu dans chaque être vivant. L’un des arguments appuyant cette théorie est le suivant : si on cherche un petit objet, comme une aiguille, qui est tombé par terre, on ne peut le trouver que si notre regard tombe sur

lui. Il y a donc quelque chose (qu’on surnomme le quid, en latin) qui émane de nos yeux en ligne droite

et se dirige vers les objets observés. Les pythagoriciens prétendaient que les chats ont un feu intérieur plus intense que les humains, ce qui leur permet de voir la nuit. Euclide est un adepte de cette théorie pythagoricienne. Il a publié un ouvrage sur le sujet : l’Optique.1Par ailleurs, la théorie d’Euclide est

essentiellement géométrique : elle décrit les ombres, la réflexion de la lumière sur un miroir plan ou sphérique, la réfraction. On y trouve l’égalité de l’angle de réflexion à l’angle d’incidence : i= i, mais

la réfraction est incorrectement décrite.

3. Enfin, Aristote s’oppose à l’idée que l’oeil émet la lumière, pour la plus simple des raisons : si l’oeil émettait la lumière, nous pourrions voir la nuit aussi bien que le jour. Aristote pense plutôt que la sensation de vision est causée par une propagation de l’objet vers l’oeil, à travers le milieu intermé- diaire. Aristote croit donc que l’oeil ne pourrait voir dans le vide (il rejette l’existence du vide de toute manière). Aristote donne donc à la lumière une existence indépendante, mais cette conception plus moderne de la lumière ne sera pas généralement adoptée dans l’Antiquité, en dépit de la grande influence d’Aristote dans tous les autres domaines.

Alhazen Alhazen (Ibn Al-Haytham) est le plus grand physicien arabe du moyen-âge et peut être considéré

comme le fondateur de l’optique. Selon lui, la lumière a une existence indépendante de l’objet qui l’émet et de l’oeil qui la reçoit. L’oeil ne peut sentir un objet que par l’intermédiaire de la lumière que cet objet lui envoie. La lumière est d’abord émise par des objets autolumineux (sources principales) et elle se propage en ligne droite. Il considère aussi une émission secondaire de lumière, par une source accidentelle, plus faible, tel un grain de poussière (cette idée préfigure la conception de Huygens). Il énonce les lois de la réflexion et les explique par analogie avec le rebondissement d’une particule sur un mur, une approche remarquablement moderne. Mieux encore, il explique la réfraction par un changement de vitesse de la lu- mière à l’interface entre les deux milieux, exactement comme le feront Descartes et Newton plus tard. Cette façon de penser préfigure la composition des mouvements de Galilée. Après observation, il conclut, incor- rectement, que l’angle de réfraction est proportionnel à l’angle d’incidence (cette conclusion est cependant correcte dans la limite des petits angles). Il croit, incorrectement aussi, que l’image de la vision se forme dans le cristallin et non sur la rétine.

Dietrich de Freiberg En Occident, au moyen-âge, l’oeuvre d’Alhazen est traduite et diffusée. On com- mence même à utiliser des verres correcteurs, formés de lentilles convexes, pour corriger la presbytie. Le moine polonais Witelo (1220/1275) publie des tables d’angles de réfraction en fonc- tion de l’angle d’incidence dans différents milieux. Mais la plus grande figure de l’optique en Occident au moyen-âge est Dietrich (ou Thierry) de Freiberg (?/1311), le premier à donner une explication satisfaisante de l’arc-en-ciel :

1. Il comprend que l’arc-en-ciel est causé par la réfraction et la réflexion de la lumière solaire par des fines gouttelettes d’eau et étudie par conséquent la réflexion et la réfraction dans une fiole de verre remplie d’eau pour modéliser la gouttelette.

2. Il conclut que l’arc principal est dû à la combinaison de deux réfractions et d’une réflexion sur la face interne de la goutte.

3. Il observe que la couleur de la lumière observée à travers la fiole change en fonction de l’angle que fait la fiole avec la source lumineuse (le Soleil). Elle paraît rouge quand cet angle est de 42◦et la couleur

passe vers le bleu si cet angle est diminué. Il en conclut que les différentes couleurs de l’arc-en-ciel proviennent de gouttelettes différentes, situées à des angles différents par rapport à l’observateur.

A. Visions de la lumière

4. Il affirme que l’arc secondaire est situé à 11◦au-dessus de l’arc principal et explique qu’il est causé

par deux réfractions et deux réflexions à l’intérieur des gouttelettes, ce qui explique que l’ordre des couleurs est inversé.

5. Il conçoit la lumière comme composée d’un mélange de deux qualités : l’éclat et l’obscurité. La lumière rouge comporte plus d’éclat et la lumière bleue plus d’obscurité, alors que la lumière blanche est un mélange équilibré. La lumière rouge est moins réfractée que la bleue justement parce qu’elle contient plus d’éclat et que cette qualité, vertu positive, s’écarte moins du droit chemin, alors que l’obscurité s’en éloigne plus ! Des considérations morales influencent étrangement sa théorie.

rouge

bleu

Figure 5.1

Schéma de la réfraction et réflexion de la lumière dans une gouttelette, expliquant le phénomène de l’arc-en-ciel. Le rayon rouge sortant de la goutte fait un angle de 42◦avec le rayon entrant. Le rayon bleu est plus réfracté, mais l’écart angulaire entre les rayons bleus entrant et sortant est moindre, de sorte que le bleu apparaît vers le centre de l’arc et le rouge vers l’extérieur.

Kepler En plus de ses travaux en astronomie, Kepler a aussi écrit sur l’optique : Ad Vitellionem paralipomena (1604). Dans ce traité, il introduit la notion d’image virtuelle et explique comment une image peut être formée par la combinaison de divers rayons émanant du même point. Il explique correctement la vision comme procédant de la formation d’une image sur la rétine. Il explique ensuite comment les lunettes peuvent corriger la vision.

Descartes et la loi de la réfraction

Kepler, comme Alhazen, observe que l’angle de réfraction est proportionnel à l’angle d’incidence quand les angles sont petits. En fait, la relation correcte entre les deux angles est que le rapport sin r/sini est constant. Cette loi a été établie expérimentalement par Willebrord Snell (1580/1626), mais non publiée. Le premier à y apporter une sorte d’explication théorique est Descartes, dans sa Dioptrique (1637).2Sa pensée là-dessus est la même que celle d’Alhazen : il explique que la lumière court plus vite dans les milieux plus denses et que la composante de la vitesse du rayon perpendiculaire à l’interface est modifiée en conséquence, alors que l’autre composante ne l’est pas, «car il est bien aisé à croire que l’action , ou inclination à se mouvoir, que j’ai dit devoir être prise pour la lumière, doit suivre en ceci les mêmes lois que le mouvement.» Il est alors simple de démontrer que la relation entre les angles i et r est

sin r sin i =

vi

vr

(5.1) où viet vr sont les vitesses de la lumière dans le milieu incident et dans le second milieu, respectivement.

Descartes considère la lumière comme un phénomène de pression qu’une matière subtile exerce de proche en proche jusqu’à la rétine. Il compare la vision à la sensation du toucher qu’utilise un aveugle pour se diriger :

…la lumière n’est autre chose, dans les corps qu’on nomme lumineux, qu’un certain mouve- ment, ou une action fort prompte et fort vive, qui passe vers nos yeux, par l’entremise de l’air et des autres corps transparents, en même façon que le mouvement ou la résistance des corps, que rencontre cet aveugle, passe vers sa main, par l’entremise de son bâton.

Il affirme que la lumière est un phénomène instantané (vitesse de propagation infinie). Pourtant, sa démonstration de la loi de Snell par analogie avec un phéno- mène de collision, en utilisant un modèle de particules en mouvement, nécessite une vitesse de propagation finie de la lumière. Sa théorie contient donc des contradictions évidentes.

A B O i r air verre Figure 5.2

Schéma de la réfraction d’un rayon lumineux à une interface, par exemple entre l’air et le verre.

Le principe de Fermat Pierre de Fermat rejette l’explication de Descartes pour la réfraction, car il lui semble absurde que la lumière se propage plus rapidement dans un milieu plus dense. Il suppose le contraire et réussit à démontrer la loi de Snell en invoquant le principe du moindre temps : la lumière se propage entre deux points de manière à minimiser le temps de parcours entre ces deux points. Si les deux points sont dans le même milieu, la trajectoire du rayon est une droite. Si le premier point (A) est dans l’air et le second (B) dans le verre, comme la lumière voyage plus vite dans l’air (selon Fermat), elle peut minimiser le temps de parcours en allongeant son chemin dans l’air et en diminuant son chemin dans le verre, plutôt que d’emprunter le chemin direct AB. On montre facilement que le chemin le plus court en temps (AOB) est caractérisé par la relation inverse de celle de Descartes :

sin r sin i =

vr

vi (5.2)

L’explication de Fermat est rejetée par les cartésiens parce qu’elle fait appel à un argument téléologique, c’est- à-dire qui suppose une fin bien précise. Comment, se demandent-ils, la lumière peut-elle connaître son point d’arrivée à l’avance pour ainsi calculer le chemin qui minimise le temps requis ? Les cartésiens considèrent plutôt que la lumière détermine à chaque instant la position où elle sera l’instant suivant, sans plus. En fait, le principe de Fermat est correct et il n’est pas besoin d’invoquer un principe téléologique pour le justifier, car il peut être démontré par la théorie ondulatoire de la lumière. D’ailleurs, on sait depuis le milieu du XIXe siècle que la lumière se propage effectivement plus lentement dans un milieu plus dense.

Dans le document Histoire des sciences (Page 109-112)