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9.A.3 Les échelles de distance en astronomie

Dans le document Histoire des sciences (Page 191-196)

La parallaxe On peut justement affirmer que le problème fondamental de l’astronomie est la mesure des distances. Comment évaluer la distance des différents objets célestes alors que nous sommes prisonniers de notre petite planète ? La plus simple de ces méthodes est la mesure d’une parallaxe, c’est-à- dire de la différence entre les positions angulaires d’un même objet, prises de deux endroits différents dont on connaît la distance relative.

La distance Terre-Soleil (l’unité astronomique, U.A.) fut évaluée à peu près correctement pour la première fois par Jean-Dominique Cassini (1625/1712) et Jean Richer en 1671, en mesurant la parallaxe de la planète Mars à partir de deux points différents sur Terre (Paris pour Cassini et Cayenne, en Guyane française, pour Richer). De leur évaluation de la distance Mars-Terre, ils purent remonter jusqu’à l’unité astronomique et obtinrent la valeur 140 × 106km, alors que la valeur acceptée aujourd’hui est de 149, 5 × 106km. Une dé-

termination plus précise de l’unité astronomique fut ensuite obtenue en observant le passage de la planète

7. W. Sheenan, Sky and Telescope, July 2003.

Vénus vis-à-vis du Soleil en 1761 et en 1769,9à partir de plusieurs endroits différents sur la Terre.10

α

β

γ

étoiles loin tain es C B A Figure 9.2

Schéma illustrant la méthode de la parallaxe. On mesure la position angulaire de l’objet C, c’est-à-dire les anglesα etβ (ou α et γ), à partir de deux points A et B. Connaissant la distance AB, on en tire la distance de l’objet (AC ou BC). Cette méthode suppose bien sûr la présence d’étoiles très éloignées qui servent de toile de fond et permettent de mesurer l’angleγ comme déplacement apparent de l’objet C sur la voûte céleste.

Or, rappelons que l’une des objections les plus sensées au système héliocentrique d’Aristarque et de Coper- nic est l’absence de parallaxe des étoiles fixes lorsque la Terre se déplace le long de son orbite. On expliqua ce fait en présumant que les étoiles étaient très lointaines. William Herschel tenta en vain de mesurer cette parallaxe à l’aide de ses grands télescopes. Les premiers à y parvenir furent les astronomes allemands Frie- drich Wilhelm Bessel (1784/1846) et Friedrich Wilhelm Georg Struve (1793/1864) en 1838. La précision de ces mesures est remarquable : la parallaxe de l’étoile 61 Cygni, mesurée par Bessel, est en accord avec la va- leur moderne de 0, 30′′(une fraction de seconde d’arc) à quelques centièmes de seconde près. En 1840, on

mesura la parallaxe de l’étoileα Centauri : la valeur moyenne est de 0,76′′, ce qui place cette étoile à 4,3

années de lumière du système solaire (environ 6000 fois la dimension du système solaire). Il est clair que la méthode des parallaxes ne fonctionne que pour les étoiles les plus proches. En 1997, la sonde spatiale Hip-

parcos (Hipparque) a effectué des mesures de parallaxe sur des milliers d’étoiles rapprochées, permettant

ainsi d’améliorer grandement la précision des échelles de distance astronomiques, qui reposent toutes sur les distances mesurées par parallaxe.

La magnitude absolue Au-delà de la méthode géométrique de la parallaxe, la physique des étoiles prend la relève pour nous aider à évaluer leurs distances. Rappelons d’abord que la ma-

gnitude apparente d’une étoile est un nombre m indiquant son éclat apparent, sur une échelle logarithmique

(plus ce nombre est élevé, plus l’étoile est pâle). La magnitude absolue M d’une étoile est son éclat absolu, indépendamment de sa distance et est proportionnelle à la quantité d’énergie que cette étoile émet dans le spectre visible. Plus précisément, M est la magnitude qu’aurait apparemment un objet s’il était situé à une distance de 10 pc (1 pc ou parsec est la distance d’un objet offrant une parallaxe de 1 seconde d’arc, et vaut environ 3,2 années-lumière). Sachant que la luminosité apparente d’une étoile diminue comme l’in- verse du carré de la distance, on peut calculer cette distance si on mesure la luminosité et si on connaît sa magnitude absolue. Or, au début de ce siècle, l’Américain Henry Norris Russell (1877/1957) et le Danois Ejnar

Hertzsprung (1873/1967) découvrirent une relation entre la température d’une étoile, reliée à sa couleur, et

9. Ce passage ne se produit qu’à des intervalles de 113 et 130 ans.

10. L’histoire retient surtout le voyage de l’astronome Guillaume Le Gentil aux Indes pour observer ce passage. Son voyage d’aller dure un an. Une fois arrivé près de la colonie française de Pondichéry, il constate qu’elle est occupée par les Anglais, en guerre contre la France à ce moment, et il ne peut observer le passage de Vénus qu’à bord d’un navire, ce qui ne lui sert à rien. Il décide alors d’attendre le passage de 1769, huit ans plus tard, et profite de l’intervalle pour faire une croisière dans l’océan Indien et l’océan Pacifique. Une fois revenu à Pondichéry pour observer le second passage, un nuage isolé gâche tout ! Le Gentil revient en France en 1771 pour constater que ces héritiers, qui le pensaient mort depuis longtemps, s’étaient partagé ses biens…

A. L’immensité de l’Univers 104 103 100 10 1 0,1 0,01

L

L

3000 6000 10000 30000 Température géantes rouges séqu ence pr incipa le naines blanches Soleil ph éïdes 0,2 M 10 M Figure 9.3

Diagramme de Hertzsprung-Russell. La plupart des étoiles se situent le long de la séquence principale. C’est la masse d’une étoile qui détermine sa position sur cette séquence. Quand une étoile comme le soleil a brûlé une grande partie de son hydrogène, elle sort de la séquence principale, devient une géante rouge pour ensuite devenir une naine blanche. Les étoiles plus massives (M > 1,4Mont un destin différent : elles explosent (supernovae) ce qui en reste devient éventuellement une étoile à neutron ou un trou noir.

sa magnitude absolue (ou luminosité). Voir à cet effet le diagramme de Hertzsprung-Russell schématisé à la fig.9.3. Cette relation ouvrit la porte à la mesure des distances, en se basant sur une population d’étoiles dont les distances sont mesurables par parallaxe. On en vint à conclure que la Voie lactée a un diamètre d’environ 100 000 années-lumière (ou a.-l.), une distance tout à fait inaccessible à la méthode des parallaxes.

Une autre méthode approximative permit bientôt d’estimer des distances encore plus grandes. Une astro- nome américaine, Henrietta Leavitt (1868/1921), découvrit en 1908, dans le nuage de Magellan (une galaxie irrégulière voisine de la Voie lactée et visible dans l’hémisphère sud) une catégorie d’étoiles dont l’éclat va- rie avec le temps de manière périodique. On les appelle étoiles variables ou céphéides. Elle s’aperçut que la période de cette variation de luminosité est fonction de la luminosité absolue. Hertzsprung perfectionna la calibration de ce type d’étoiles, mesurant la distance de quelques céphéides par la méthode dite des paral- laxes statistiques, basée sur le mouvement propre du Soleil. La comparaison des céphéides situées au centre de la Voie lactée à celles situées dans le petit nuage de Magellan permit de conclure que ce dernier est situé à l’extérieur de la Voie lactée, soit à 190 000 a.-l. de nous.

1 10 100 100 1000 10000 période (jours) Lu min osit é (soleil = 1)

Suite à ces découvertes, l’astronome américain Harlow Shapley (1885/1972) put cartographier la centaine d’amas globulaires qui appartiennent à notre galaxie. Un amas globulaire est une distribution sphérique d’étoiles pouvant en contenir de 10 000 à 100 000. Shapley découvrit que ces amas sont distribués de ma- nière à peu près sphérique autour d’un point de la constellation du Sagittaire qu’il conclut être le centre de l’Univers (en fait le centre de la Voie lactée). Une telle information ne peut être obtenue en observant les étoiles seulement, car la présence de poussière dans la Voie lactée en cache la majeure partie et peut faire croire, sur cette base seulement, que le Soleil est le centre de l’Univers (c’est à cette dernière conclusion qu’était parvenu l’astronome Kapteyn à la fin du XIX siècle). Par contre, les amas globulaires, très anciens, ne forment pas une distribution aplatie comme les étoiles, car ils se sont formés à une époque aussi reculée que la galaxie elle-même. De ce fait, on peut en voir la majeure partie, car ils ne sont pas masqués par les nuages de poussière galactique, étant situés pour la plupart en dehors du plan galactique. La conclusion des travaux de Shapley est que le Soleil n’est qu’une étoile très quelconque située à la périphérie de la Voie lac- tée, à environ 30 000 a.-l. du centre. Ainsi, Shapley nous fait passer d’un univers héliocentrique à un univers galactocentrique. Un autre coup dur est porté à la vanité humaine, mais à cette époque elle commence à s’y habituer !

Les galaxies Il faut maintenant revenir aux nébuleuses. À la fin du XIXe siècle, on avait dressé un cata- logue (le New General Catalog ou NGC) d’environ 15 000 nébuleuses ou amas d’étoiles. L’utili- sation de la photographie permit, par des temps d’exposition suffisamment longs, d’observer les nébuleuses avec beaucoup plus de clarté, ce que ne pouvait faire Herschel. Il était facile de distinguer les nébuleuses gazeuses (colorées) des nébuleuses blanches. Ces dernières ont des formes inusitées, souvent spirales. Au XVIIIe siècle, les philosophes Emmanuel Kant et Johann Heinrich Lambert avaient déjà émis l’hypothèse que les nébuleuses étaient des univers-îles, des mondes analogues à la Voie lactée et extérieurs à celle-ci.

B. Relativité générale et cosmologie

Cependant, il s’agissait d’une pure spéculation, ne reposant sur aucun fait. Au contraire, certains les consi- déraient, au XIXe siècle, comme des systèmes planétaires en formation, car leur forme rappelait l’hypothèse nébulaire sur l’origine du système solaire, hypothèse formulée par Laplace dès 1796. Or, en 1923, l’astronome américain Edwin Hubble (1889/1953) découvre une céphéide dans la nébuleuse spirale d’Andromède, et peut donc estimer la distance de celle-ci. Il conclut que cette nébuleuse est située à 900 000 a.-l. de nous, soit bien à l’extérieur de la Voie lactée.11Encore une fois, les limites de l’Univers sont repoussées.12On sait mainte-

nant que l’Univers compte des milliards de galaxies. Par la suite, Hubble élabora une série de critères visant à déterminer les distances des galaxies plus lointaines.

Ce qu’il faut retenir de ceci, c’est que la mesure d’une distance en astronomie n’est pas le résultat d’une observation directe, géométrique, sauf dans le cas des étoiles les plus proches et de notre système solaire. Au contraire, l’estimation des distances repose sur une chaîne d’hypothèses et de théories, certaines plus solides que d’autres. Cette remarque peut s’appliquer à toutes les sciences physiques et à tous les types de mesures : une théorie est toujours nécessaire pour interpréter les observations et celles-ci permettent en retour de vérifier ou d’élaborer de nouvelles théories, et ainsi de suite. La relation entre théorie et observation (ou théorie et expérience) n’est donc pas aussi simple qu’aimeraient le croire les positivistes radicaux.

Récession des galaxies lointaines

Parallèlement aux travaux de Hubble, les astronomes V. Slipher (1875/1969) et M. Humason découvrirent le phénomène du décalage vers le rouge des galaxies. Expliquons : comme décrit au chapitre précédent, chaque élément possède un spectre spécifique d’émission lumineuse qui permet de l’identifier dans la lumière d’une étoile. Lorsqu’une étoile s’éloigne ou se rapproche de nous, ce spectre est légèrement décalé en raison de l’effet Doppler-Fizeau, vers le rouge dans le premier cas et vers le bleu dans le deuxième. Le déplacement du spectre par rapport à sa valeur normale permet de mesurer la vitesse de l’étoile par rapport à nous. Pour que ce déplacement soit mesurable, il faut cependant que cette vitesse soit énorme (une fraction d’un pour cent de la vitesse de la lumière). Or, Slipher et Humason ont constaté que certaines galaxies affichaient des décalages vers le rouge appréciables et donc qu’elles s’éloignent de nous. Hubble compara ces données avec son échelle de distance et arriva à la conclusion très simple que la vitesse de récession des galaxies éloignées est à peu près proportionnelle à leur distance. La valeur de la constante de proportionnalité est relativement incertaine, mais fixée aujourd’hui à environ 100 km/s par mégaparsec.13

B

Relativité générale et cosmologie

Les observations de Slipher, Hubble et Humason convergent vers un Univers en expansion, expansion d’au- tant plus rapide que les objets nous sont éloignés. Or, un peu avant cette découverte, en 1915, un dévelop- pement théorique extraordinaire allait bouleverser notre vision de l’Univers, de l’espace et du temps : la théorie de la relativité générale, principalement développée par Albert Einstein.

11. Dans les années 1950, une nouvelle calibration des céphéides a multiplié cette distance par deux. Récemment (1997), la sonde Hipparcos [Hipparque] a encore augmenté cette distance. La galaxie d’Andromède est à environ 2,6 millions d’années-lumière de nous.

12. Les nébuleuses gazeuses et les amas d’étoiles, eux, sont bien à l’intérieur de notre galaxie.

13. Un parsec est la distance d’une étoile ayant une parallaxe de 1 seconde d’arc et vaut un peu plus de 3 années-lumière. Un méga- parsec est un million de parsecs, soit un peu plus que la distance de la galaxie d’Andromède. Les galaxies situées à 100 mégaparsecs de nous ont donc une vitesse de récession de 10 000 km/s.

Dans le document Histoire des sciences (Page 191-196)