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CHALEUR ET ÉNERGIE

Dans le document Histoire des sciences (Page 131-134)

A

Chaleur et température

La physique d’Aristote considère le chaud et le froid comme des qualités fondamentales. On ne fait pas vrai- ment de distinction sérieuse, avant le XVIIIe siècle, entre les notions de chaleur et de température, la tempé- rature étant en quelque sorte un «degré de froid ou de chaud», qui se définit essentiellement par les sens. Des notions plus claires à ce sujet pourront émerger suite à la mise au point d’instruments qui permettront d’in- diquer un changement observable d’une propriété d’un corps associé à un changement de température, par exemple la dilatation d’une colonne de liquide sous l’effet d’un chauffage. Mais, indépendamment des ins- truments utilisés pour l’évaluer ou la mesurer, la caractéristique fondamentale de la température est qu’elle caractérise l’équilibre thermique entre deux objets : deux objets mis en contact thermique (c’est-à-dire qui peuvent échanger de la chaleur) finissent par avoir la même température.

Depuis l’antiquité, le phénomène de dilatation des solides et des liquides lorsqu’on en élève la température était connu et utilisé dans la construction de thermoscopes indiquant le degré de chaleur. Ces instruments per- mettaient de donner une définition opératoire de la température, obtenue par exemple en mesurant la hau- teur du liquide sur une colonne graduée. Le liquide utilisé était principalement de l’esprit de vin, c’est-à-dire un mélange coloré d’alcool et d’eau. Ce mélange jouit d’une bonne dilatation thermique, mais en revanche souffre de fortes variations de ses propriétés thermiques en fonction de sa composition, et la distinction entre mélange et composé n’était pas nécessairement faite avant la fin du XVIIIe siècle. Indépendamment du fluide utilisé, on parle ici de thermoscopes et non de thermomètres, car on ne disposait pas de procédure infaillible pour imposer une calibration des instruments ; bref, on ne disposait pas d’une véritable échelle de température. On pourra élaborer de véritables échelles de température lorsqu’on aura découvert que la température d’un liquide ou d’un gaz est déterminée par certaines variables comme son volume, la pression, etc. Par exemple, dès qu’on se sera convaincu que l’eau pure, à une pression donnée, bout ou gèle toujours à la même température, on pourra songer à une échelle de température universelle basée sur ces deux points. C’est au XVIIIe siècle que ces échelles de température sont élaborées :

1. L’Allemand Daniel Gabriel Fahrenheit (1686/1736) adopta le thermomètre au mercure en 1714, en raison de la composition invariable de celui-ci, comparée à celle de l’alcool : il avait mis au point une technique de purification du mercure (par filtration au travers du cuir). En revanche, le coefficient de dilatation thermique du mercure étant plus faible que celui de l’alcool, il demande un travail du verre beaucoup plus minutieux, afin de réaliser une colonne de liquide beaucoup plus mince. Grâce à son thermomètre plus précis, il put confirmer que la température de l’eau pure en ébullition reste constante au cours du processus, mais qu’elle dépend de la pression atmosphérique. Il adopta comme

points de référence de son échelle de température un mélange de sel et de glace (0◦) et la température

d’un humain en bonne santé (96◦).

2. Le Genevois J.-A. Deluc introduisit une échelle de température dont le zéro correspondait à la glace fondante (à pression normale). La température d’ébullition de l’eau (à pression normale) était fixée à 80◦. Cette échelle fut popularisée par le naturaliste français R.A. Ferchault de Réaumur et porta son

nom. Elle fut utilisée jusqu’au XIXe siècle.

3. Le Lyonnais J.-P. Christin introduisit une échelle similaire en 1743, mais avec un point d’ébullition à 100◦. Cette échelle fut aussi utilisée par le savant suédois Anders Celsius et porte son nom, quoique

Celsius inversait le sens de l’échelle : congélation à 100◦et ébullition à 0. Celsius aussi avait noté que

la température d’ébullition de l’eau dépend de la pression atmosphérique, et donc que son échelle se définit à une pression standard.1

La chaleur On observa assez tôt que des objets de masses et températures identiques, mais de compo- sitions différentes peuvent faire fondre des quantités différentes de glace. Cette observation est la base de la notion quantitative de chaleur. La chaleur est conçue comme une quantité effective d’ac- tion thermique : par exemple, deux quantités de chaleur égales font fondre la même quantité de glace. Si deux billes de métal de masses identiques, l’une de plomb et l’autre de cuivre, sont chauffées à la même température et qu’elles sont ensuite déposées sur une plaque de cire, la bille de cuivre fera fondre une plus grande quantité de cire que la bille de plomb ; elle contient donc plus de chaleur. C’est le physicien et chimiste écossais Joseph Black (1728/1799) qui introduisit précisément la notion de capacité calorifique, c’est-à-dire la capacité qu’a une substance d’absorber la chaleur. Cette quantité est définie de telle manière que si deux corps de températures T1 et T2 et de capacités calorifiques C1 et C2 sont mis en contact, la température

finale de l’ensemble après l’échange de chaleur est

T =C1T1+ C2T2 C1+ C2

(6.1) On peut aussi lire cette relation comme

C1(T1− T ) = −C2(T2− T ) (6.2)

ce qui illustre plus clairement que la chaleur perdue par le premier corps est gagnée par le deuxième.2En

bref, la température est une mesure du «degré de chaleur», qu’il faut distinguer de la «quantité de chaleur». Substance ou mouvement ? Quant à la nature même de la chaleur, deux thèses contraires s’affrontèrent du XVIIe siècle jusqu’au milieu du XIXe siècle. Selon la première thèse, la chaleur est une substance, un fluide subtil qui peut passer d’un corps à un autre. Cette conception fut préco- nisée par le chimiste hollandais Hermann Boerhaave (1668/1738), et partagée par Black et Antoine-Laurent de Lavoisier (1743/1794). Ce dernier donna à ce fluide le nom de calorique et l’ajouta à sa liste des éléments dans son traité de Chimie. Considérer la chaleur comme un fluide n’est pas une mauvaise idée a priori, étant donné les phénomènes dûment observés de transfert de chaleur d’un objet à un autre. On croyait que la chaleur dégagée par une réaction chimique résultait simplement du dégagement d’une certaine quantité de calorique par les réactants. Après l’hypothèse atomique de Dalton, on croyait même que chaque atome

1. L’échelle de température Celsius en usage aujourd’hui est basée sur l’échelle de température absolue et sur le point triple de l’eau. Elle doit être distinguée de l’ancienne échelle centigrade, qui comptait exactement 100 degrés entre les points de fusion et d’ébullition. Dans l’échelle Celsius moderne, l’eau bout à 99,975◦, à pression normale.

2. En principe, la capacité calorifique d’un corps dépend de sa température. Les équations ci-haut ne sont donc qu’approxima- tives pour des différences de températures qui ne sont pas infinitésimales.

B. Les lois des gaz

était entouré d’une quantité déterminée de calorique, quantité variant d’un composé chimique à l’autre et pouvant être dégagée lors d’une réaction chimique, ou nécessaire à sa progression, selon le cas.

À la théorie du calorique s’oppose la théorie dynamique de la chaleur, qui considère plutôt la chaleur comme un mouvement microscopique. Robert Boyle (1627/1691), physicien et chimiste irlandais et père fondateur de la Royal Society de Londres, est partisan de cette thèse. Boyle base ses opinions sur l’observation que deux morceaux de glace fondent plus vite si on les frotte l’un sur l’autre et donc qu’un mouvement peut générer de la chaleur. Daniel Bernoulli aussi est un partisan de cette thèse, et démontre que le mouvement d’un gaz de particules peut expliquer la pression que ce gaz exerce sur les parois du contenant qui le retient ; Bernoulli est donc l’instigateur de la théorie cinétique des gaz. Pierre-Simon de Laplace, même s’il a réalisé de nombreuses expériences sur la chaleur en collaboration avec Lavoisier, est aussi d’avis que la chaleur est une forme de mouvement microscopique. Au tournant du XIXe siècle, le partisan le plus convaincant de la théorie dynamique de la chaleur est l’Américain Benjamin Thomson, comte Rumford (1753/1814) . En 1798, il avait observé que l’opération de forage des canons produit beaucoup de chaleur, qui doit être constamment évacuée par circulation d’eau. La théorie du calorique explique le réchauffement par le transfert de calorique du foret au canon (le foret s’use graduellement au cours de l’opération). Mais, comme remarqua Rumford, si on continue de forer avec un foret usé, la chaleur continue d’être produite indéfiniment, alors que la quantité de calorique que recèle le foret ne peut être infinie ! La seule chose qu’on peut générer indéfiniment est le mouvement ! Donc la chaleur est un mouvement et non une substance.

La théorie dynamique de la chaleur ne sera acceptée qu’après les travaux de Joule sur l’équivalent mécanique de la chaleur, dans les années 1840. Ceci est en partie dû au prestige de Lavoisier, mais aussi au mystère de la

chaleur radiante : il a été observé par le chimiste suédois Carl Wilhelm Scheele (1742/1786) que la chaleur d’un

feu se transmet de manière instantanée dans l’air et passe même au travers d’une paroi de verre. À l’époque, ceci est impossible à comprendre dans le cadre d’une théorie dynamique de la chaleur, car on conçoit mal que ce mouvement microscopique de la matière ordinaire se transmette aussi facilement et rapidement à travers l’air et le verre. Par contre, cette observation s’accommode de la théorie du calorique, si on suppose que ce fluide est suffisamment subtil pour traverser le verre et se propager rapidement. Ce n’est que plus tard qu’on réalisera que la chaleur radiante provient du rayonnement électromagnétique infrarouge.

B

Les lois des gaz

Les progrès réalisés au XIXe siècle dans l’étude de la chaleur sont indissociables des progrès techniques réalisés depuis le XVIIIe siècle dans la mise au point de machines susceptibles d’utiliser la chaleur dans le but de produire un travail mécanique. Comme les premières machines à vapeur reposaient sur l’utilisation de la pression atmosphérique pour effectuer un travail, il nous faut effectuer un bref retour en arrière pour relater comment la notion de pesanteur de l’air s’est imposée dans les esprits du XVIIe siècle. L’étude des propriétés des gaz sera par la suite essentielle au développement de la théorie de la chaleur.

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