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3.D.5 Roger Bacon et la méthode scientifique

Dans le document Histoire des sciences (Page 75-79)

Ce qui précède peut laisser croire que les intellectuels médiévaux étaient entièrement absorbés par des consi- dérations métaphysiques et qu’ils ne s’intéressaient que très peu au monde physique pour lui-même. Ceci n’est pas tout à fait vrai.

Signalons à cet effet l’Anglais Robert Grosseteste (1170/1253), maître à Oxford. Il s’intéressa beaucoup aux sciences physiques, surtout à l’optique. Il lut les ouvrages d’Aristote et d’Alhazen. Il conçut la possibilité de grossir et rapprocher les objets à l’aide d’instruments optiques. Il insista sur l’importance de l’observation et de l’expérience.

C’est cependant son élève, Roger Bacon (1214/1294), qui est surtout connu pour sa défense de la méthode expérimentale. Bacon enseigna à Oxford et à Paris et est considéré comme un «prophète» de la méthode scientifique, en particulier de la méthode expérimentale. Il fut un précurseur des scientifiques modernes en ce qu’il croyait en un Univers gouverné par des lois physiques, exprimées en langage mathématique. Selon lui, les mathématiques sont «la porte et la clef des sciences naturelles, la clef de la philosophie». Par contre, Bacon citait quatre obstacles à la connaissance :

1. Une autorité débile et incompétente. 2. De vieilles habitudes.

3. Une opinion publique ignorante.

4. La dissimulation de l’ignorance individuelle sous un étalage de sagesse apparente.

Cette analyse est encore d’actualité et démontre la clairvoyance de son auteur.

Citons le passage suivant, tiré de son Opus Majus, dans lequel il insiste sur l’importance de l’expérience : Il y a deux moyens par lesquels nous acquérons la connaissance, le raisonnement et l’expé- rience. Le raisonnement termine la question, et nous la fait terminer aussi ; mais il ne donne pas de preuve, et n’enlève pas le doute, et ne fait pas que l’esprit se repose dans la possession consciente de la vérité, à moins que la vérité ne soit découverte par l’expérience. Par exemple, si un homme qui n’a jamais vu le feu avait à prouver par des arguments satisfaisants que le feu brûle et détruit les choses, l’esprit de l’auditeur ne serait pas satisfait, de même qu’il n’évite- rait pas le feu ; jusqu’à ce que, plaçant sa main ou quelque combustible dedans, il prouve par expérience réelle ce que les arguments exprimaient ; mais quand l’expérience a été faite, son esprit est certain et repose dans la possession de la vérité, ce qui ne pouvait être donné par le raisonnement, mais seulement par l’expérience. Et cela est le cas même en mathématique, où il y a les plus fortes démonstrations. Car supposons que quelqu’un ait la démonstration la plus claire à propos du triangle équilatéral sans expérience de ce triangle, son esprit ne comprendra parfaitement le problème que quand il aura effectivement devant lui les cercles intersecteurs et les lignes tirées des points de section vers les extrémités d’un segment. Il acceptera alors les conclusions en toute satisfaction.

Voici un autre passage de l’Opus Majus, sur la «science expérimentale», par opposition aux autres sciences (c’est-à-dire aux autres domaines du savoir, comme la théologie ou les mathématiques) :

Cette science [expérimentale] a trois grandes prérogatives par rapport à toutes les autres sciences. La première est qu’elle vérifie ses conclusions par expérience. Car les principes des autres sciences peuvent être connus par l’expérience, mais les conclusions sont déduites des principes par voie de raisonnement. Si elles requièrent une conséquence particulière et com- plète de ses conclusions, l’aide de cette science peut être demandée. Il est vrai que les mathéma- tiques possèdent une expérience utile pour leurs propres problèmes de figures et de nombre, qui s’applique à toutes les sciences et à l’expérience elle-même, car aucune science ne peut être connue sans les mathématiques. Mais si nous souhaitons une connaissance complète et parfai- tement vérifiée, nous devons recourir aux méthodes de la science expérimentale.

Sur le plan des réalisations concrètes, Bacon prolongea les travaux de son maître Grosseteste en optique et entrevit la possibilité d’un instrument de grossissement à base de lentilles, mais il n’est pas prouvé qu’il en fabriqua un.

Le 7 mars 1277, l’université de Paris, qui jouissait d’une autorité suprême dans la chrétienté en matière de théologie, publia un décret lourd de conséquences. Ce décret condamnait un certain nombre d’«erreurs», dont les suivantes :

erreur 150 : «Qu’une personne ne se satisfasse pas de l’autorité pour avoir une certitude sur une question.» erreur 151 : «Qu’une personne doive se baser sur des principes connus par lui-même pour avoir une certitude

sur une conclusion.»

Il est clair que Bacon était visé par ce décret.10Il fut emprisonné, peut-être de 1277 à 1292, pour «enseigne- ment averroïste».

Bacon ne fut pas le seul à s’intéresser à la physique. Certains partisans de l’école nominaliste jetèrent un regard critique et éclairé sur la physique d’Aristote. Signalons le Français Jean Buridan (v. 1295/1366), un disciple d’Occam. Il fut recteur de l’Université de Paris, même s’il n’appartenait pas à un ordre religieux. Il

10. Le décret comportait aussi des points plus éclairés – mais aussi peu respectueux de la liberté de pensée – comme l’interdiction de l’astrologie.

D. Le moyen-âge occidental

est surtout connu pour la parabole de l’«âne de Buridan», mais son principal mérite est sa conception du mouvement. Il écrivit des oeuvres de logique dans lesquelles il s’oppose aux explications surnaturelles des phénomènes naturels. Il est un des auteurs du concept d’impetus.11Rappelons qu’Aristote affirmait qu’un

objet doit subir une force constante pour que sa vitesse demeure constante. Buridan opposa à cette idée l’expérience de la flèche lancée de son arc : pour qu’elle poursuive son mouvement, elle doit subir une force ; mais d’où vient cette force ? Elle ne peut venir de l’air, comme le supposait Aristote, car l’air est le milieu même qui éventuellement freine la flèche. Cet exemple est le plus clair échec de la théorie d’Aristote sur le mouvement. Buridan affirmait que la flèche continue son mouvement parce qu’elle a reçu au départ un certain «élan» (impetus) et qu’elle le perd petit à petit lors de sa course. Elle tombe au sol lorsque son impetus est épuisé. L’impetus est un concept proche de celui d’inertie, mais Buridan ne découvrit pas le principe d’inertie ! Il osa cependant appliquer la notion d’impetus aux planètes.

Signalons aussi le Français Nicole Oresme (1320/1382), élève de Buridan à Paris. Il émit l’hypothèse que d’autres mondes puissent être habités (pluralité des mondes). Il affirma (correctement) que la vitesse de chute des corps est proportionnelle au temps de chute et non à la distance de chute. Il considérait l’im- petus non pas comme une propriété des objets, mais comme une force qui accompagne l’objet et s’épuise d’elle-même. Oresme inventa aussi les coordonnées qu’on appelle cartésiennes, bien avant leur utilisation par Descartes. Oresme appliqua les mathématiques à la description du mouvement des projectiles et des planètes. Il croyait en une certaine indétermination numérique dans le mouvement des planètes, ce qui lui fournissait des arguments contre l’astrologie qui, selon lui, reposait sur une détermination rigide des mou- vements planétaires. Il admit presque que la Terre tourne sur elle-même (au lieu de la sphère céleste), mais conclut :

Je cuide que le ciel est meü et la Terre non…nonobstant les raisons au contraire, car ce sont persuasions qui ne concludent pas évidemment.

Chapitre

4

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