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7.B.2 La composition de l’air

Dans le document Histoire des sciences (Page 158-164)

Black et le gaz carbonique Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, on croit encore que l’air est une substance simple, un élément. Joseph Black (1728/1799), à la suite d’une série d’expé- riences sur les bases (1756), découvre une autre sorte d’air qu’il appelle air fixe : c’est le gaz carbonique (CO2).

Plus précisément, il chauffe de la magnesia alba (MgCO3) et trouve qu’elle se décompose en magnésie (MgO)

et en air fixe :

MgCO3+ chaleur → MgO +CO2 (7.1)

À l’inverse, quand la magnésie est placée en présence du même gaz, qui est plus rare dans l’air commun, elle redevient de la magnesia alba. Il trouve que cette réaction opère plus rapidement avec l’air provenant de la respiration et de la combustion. C’est le gaz sylvestre de Van Helmont que Black redécouvre, mais sa carac- térisation est plus précise : le gaz de Van Helmont était surtout, mais pas uniquement, du gaz carbonique. Black découvre aussi que l’air fixe forme un précipité (du carbonate de calcium) lorsque mis en contact avec la chaux morte :

Ca(OH)2+CO2→ CaCO3+ H20 (7.2)

Il observe que cette réaction se produit lorsqu’on souffle sur la chaux et en conclut que l’air fixe est un produit de la respiration.

Cavendish En 1766, Henry Cavendish (1731/1810), chercheur solitaire et excentrique, découvre un nou- veau gaz qu’il appelle gaz inflammable : c’est l’hydrogène (H2). Cavendish produit de l’hydrogène

en traitant des métaux (zinc, fer, étain) avec de l’acide sulfurique ou chlorhydrique, créant un sel métal- lique et un gaz. Il observe que ce gaz s’enflamme violemment. Plusieurs chimistes identifient alors ce gaz au phlogistique ! Cavendish étudie aussi l’air fixe, mesure sa densité, etc. Il étudie aussi les gaz provenant de la fermentation et de la putréfaction. Signalons les contributions de Cavendish à la physique : il mesure la constante de gravitation G à l’aide d’une balance à torsion et se trouve ainsi à «peser» la Terre et déduire sa densité moyenne. Il effectue aussi la même expérience que Coulomb sur les forces électriques, mais ses travaux demeureront inconnus pendant un siècle !

Priestley L’Anglais Joseph Priestley (1733/1804), pasteur anglican devenu chimiste amateur (il n’avait pas de formation de chimiste), va en quelques années isoler plus de gaz nouveaux que personne avant lui. Il montre que la respiration diminue le volume d’air, que la vie animale est impossible dans l’air «vicié» ainsi obtenu, mais qu’une plante finit par restaurer le volume initial d’air. Il découvre l’air nitreux (bioxyde d’azote NO2), l’air nitreux déphlogistiqué (protoxyde d’azote, ou oxyde nitreux N2O), l’air alcalin

(ammoniac), etc. En tout, il découvre une dizaine de sortes d’«air». Sa plus importante découverte est l’air

B. La naissance de la chimie

déphlogistiqué, qu’on appelle maintenant oxygène (O2). Il produisit ce gaz (1774) en chauffant, à l’aide d’une

loupe, de l’oxyde de mercure dans un récipient scellé. Il observa que cet air accélère la combustion. Sachant qu’une souris enfermée sous une cloche hermétique ne vit pas très longtemps, il observa que le même animal pouvait vivre deux fois plus longtemps quand l’air ordinaire est remplacé par l’air déphlogistiqué. Priestley adhérait à la théorie du phlogistique : il appela l’oxygène «air déphlogistiqué» parce qu’il croyait qu’il s’agis- sait d’air ordinaire auquel on avait enlevé une part de son phlogistique, de sorte qu’il était plus propre à enlever le phlogistique aux autres substances, c’est-à-dire à effectuer la combustion. Il découvre aussi que l’oxygène et l’hydrogène (air inflammable) se combinent pour donner de l’eau très pure.

Du côté politique et même religieux, Priestley avait des vues libérales et dérangeantes. Il supportait la Révo- lution française, contrairement à la majorité de ses compatriotes. Ses positions lui attirèrent l’hostilité de la population et des notables. Le 14 juillet 1791, deuxième anniversaire de la prise de la Bastille, une émeute se déclencha à Birmingham ; la maison et le laboratoire de Priestley furent la première cible des émeutiers, qui saccagèrent le tout. Priestley dut fuir à Londres et, en 1794, émigrer aux États-Unis.

Scheele La recherche sur les gaz est manifestement un sujet chaud en cette deuxième moitié du XVIIIe siècle. Parallèlement aux travaux mentionnés ci-dessus, le Suédois Scheele isole l’hydrogène en 1768, découvre l’oxygène en 1773 (avant Priestley), ainsi que le chlore. Il démontre, en plus, que le graphite est une forme de carbone. Il découvre l’acide fluorhydrique (1771), l’acide cyanhydrique (1782) et la glycérine (1779). Il étudie aussi la chaleur radiante, comme mentionné au chapitre précédent. Il appelle l’oxygène Feuer

Luft (air de feu), mais interprète quand même la combustion à l’aide de la théorie du phlogistique.

7.B.3

Lavoisier

Antoine-Laurent de Lavoisier (1743/1794) est souvent considéré comme le père de la chimie moderne. Les trois principales contributions de Lavoisier à la chimie sont les suivantes :

1. L’introduction de méthodes quantitatives précises et systématiques, en particulier les mesures de poids (et de volume, pour les gaz), de température, de pression, etc.

2. Une nouvelle théorie de la combustion, basée sur les combinaisons chimiques de l’oxygène, et le rejet de la théorie du phlogistique.

3. Le renouvellement de la nomenclature chimique.

Lavoisier, s’il n’est pas le premier à effectuer des mesures de poids lors de ces expériences, le fait de manière si précise et systématique qu’il mérite d’être considéré comme l’initiateur de la chimie quantitative. Après plusieurs expériences précises réalisées dans des vaisseaux permettant de mesurer les poids et volumes des réactants et des produits, il en vient à formuler le principe de conservation de la masse : «Rien ne se perd, rien ne se crée».7

Les expériences de Lavoisier sur la combustion

Lavoisier n’a pas découvert l’oxygène, mais en a élucidé le rôle dans la com- bustion. Mentionnons l’expérience suivante (l’appareil est illustré à la fi- gure7.1). Dans un premier temps, Lavoisier chauffe de l’oxyde de mercure (HgO) dans un ballon (A), en présence de charbon. L’oxyde, une poudre rougeâtre, se transforme graduelle- ment en mercure métallique et un gaz est produit et recueilli en (C). Ce gaz est caractérisé par Lavoisier, qui

7. Le Français Jean Rey (1583/1645) affirma, dans un ouvrage publié en 1630, que l’augmentation de poids des métaux qu’on calcine peut être attribuée à ce qu’une partie de l’air environnant s’y fixe. Il fait donc figure de précurseur du principe de conser- vation de la masse. Cependant, Rey n’ayant procédé à aucune expérience pour démontrer ses dires, on ne peut enlever à Lavoisier la paternité de ce principe.

A

C

B

chaleur

Figure 7.1

Schéma de l’appareil utilisé par Lavoisier dans ses expériences sur la combustion. Le ballon (A) contient le produit chauffé (Hg ou HgO selon le cas, avec ou sans charbon) et les gaz produits sont recueillis en C et leur volume peut être mesuré.

conclut qu’il s’agit d’air fixe : il est assez soluble dans l’eau, éteint une flamme, asphyxie des petits animaux et précipite la chaux morte, comme en (7.2). En langage moderne, la réaction étudiée dans ce cas-ci est

2HgO+C → 2Hg +CO2 (7.3)

En un deuxième temps, il répète l’expérience, mais en omettant le charbon. Le mercure retourne encore à l’état métallique, mais le gaz recueilli est radicalement différent : il est peu soluble dans l’eau, facilite la combustion et la respiration des animaux. Ce gaz semble être une forme «purifiée» d’air commun. C’est l’air déphlogistiqué de Priestley. La réaction étudiée est en fait

2HgO→ 2Hg + O2 (7.4)

Manifestement, le charbon se combine à cet air déphlogistiqué pour former de l’air fixe. Lavoisier procède à une troisième expérience, plus convaincante : il procède à un chauffage lent (sur une dizaine de jours) d’un ballon de mercure métallique (A), à l’aide du même appareil (Fig.7.1). Le mercure bout doucement, en présence de l’air initialement contenu dans le ballon. Or, il apparaît des grains rougeâtres d’oxyde de mercure (HgO) et le volume d’air du ballon diminue d’un sixième environ. Ceci se mesure à la hauteur de la colonne d’air C, étant donné que le bassin B est rempli d’eau. L’air restant ne peut entretenir la vie : Lavoisier l’appelle

mofette atmosphérique8mais on l’appelle bientôt azote, du grec zôè (ζοη) qui veut dire «vie», précédé d’un ‘a’ privatif. Lavoisier recueille ensuite les particules d’oxyde de mercure, les chauffe vivement, comme lors de la deuxième expérience ci-dessus, recueille le gaz produit et constate qu’il correspond au volume d’air perdu lors de l’étape précédente. Il constate de plus que la masse du mercure métallique produit est inférieure à celle de l’oxyde de départ, masse attribuée à l’air déphlogistiqué produit par la réaction.

La conclusion la plus immédiate de cette dernière expérience est que la formation de l’oxyde de mercure résulte d’une combinaison avec l’air déphlogistiqué qui constitue une partie de l’air commun, et non d’une émission de phlogistique par le mercure métallique. En effet, la théorie du phlogistique ne peut expliquer

B. La naissance de la chimie

pourquoi la réaction sature quand le volume de l’air a diminué d’environ 1/6, alors qu’il resterait amplement

de mercure (et de phlogistique) pour lui permettre de continuer. Il est beaucoup plus simple de supposer que le mercure se combine avec l’air déphlogistiqué pour former l’oxyde (2Hg+ O2→ 2HgO), ce qui explique

la saturation de la réaction, ainsi que l’augmentation de la masse de l’oxyde par rapport au mercure corres- pondant.

Dans ses expériences ultérieures, Lavoisier démontre que l’air déphlogistiqué est un constituant de nom- breux acides et pour cette raison le renomme oxygène (du grec oxus (οξυς), pour «vinaigre»). En fait, il croit que l’oxygène est un constituant obligé de tous les acides (ceci constitue l’une de ses erreurs).

En 1783, Lavoisier découvre, en faisant passer de la vapeur dans un tuyau de fer chauffé au rouge, que cette vapeur d’eau se décompose en oxygène et en air inflammable, qu’il renomme à l’occasion hydrogène (du pré- fixe grec hydro- (υδρο) pour «eau»). L’hydrogène s’échappe à l’autre extrémité du tuyau, alors que l’oxygène se combine au fer du tuyau pour former un oxyde. Les deux gaz (oxygène et hydrogène) se recombinent pour former de l’eau, comme observé auparavant par Cavendish. Notons cependant que Cavendish considérait le même processus comme un simple échange de phlogistique ; selon lui, l’oxygène est de l’eau déphlogistiquée et l’hydrogène de l’eau comportant un surplus de phlogistique, de sorte que la réaction 2H2+ O2→ 2H2O

est interprétée par lui comme

(eau −φ) + (eau +φ) → eau (7.5)

(φ désigne le phlogistique). Cavendish et Priestley n’accepteront jamais la théorie de Lavoisier sur la com- bustion et resteront jusqu’à la fin des partisans du phlogistique. Notons que la fabrication de l’hydrogène permit en 1783 au physicien Jacques Charles (1746/1823) de remplacer par ce gaz, très léger, l’air chaud utilisé dans les ballons des frères Montgolfier, récemment inventés. Les ballons purent alors s’élever plus haut et plus longtemps. En 1785, Jean-Pierre Blanchard put même traverser la Manche à l’aide d’un ballon à hydrogène.

Entre 1782 et 1784, Lavoisier procède, avec l’aide de Laplace, à une série d’expériences de calorimétrie qui tend à démontrer que la respiration est un processus de combustion. À l’aide d’un calorimètre à glace, ils me- surent la quantité de chaleur dégagée par un cochon d’Inde (cobaye) ainsi que la quantité de gaz carbonique dégagée par sa respiration. Ils refont les mêmes mesures en remplaçant le cobaye par la combustion directe de charbon et arrivent à la conclusion que, à volume égal de gaz carbonique produit, les deux processus ont dégagé la même quantité de chaleur, à 20% près (acceptable, compte tenu de la faible précision des mesures calorimétriques du temps). Ils concluent, correctement, que la respiration est un processus de combustion qui consomme de l’oxygène et produit du gaz carbonique.

Cependant, Lavoisier considère toujours la chaleur comme une substance et lui donne le nom de calorique. Il voit donc les changements d’état comme des transformations chimiques : la fusion est le résultat de la combinaison du solide avec le calorique, et la vaporisation est le résultat d’une combinaison additionnelle de calorique avec le liquide.

La nomenclature chimique L’absence de nomenclature standard et la diversité des noms traditionnels souvent portés par un même composé compliquaient énormément le tra- vail des chimistes et compromettaient la précision de leurs communications. En 1787, Lavoisier, à l’aide de ses collègues Claude Berthollet (1748/1822), Louis Bernard Guyton de Morveau (1737/1816) et Antoine de

Fourcroy (1755/1809), publie une nouvelle méthode de nomenclature chimique. Dans cette nomenclature, les

noms anciens des composés sont abandonnés, car ils ne contiennent que très peu d’information sur la na- ture du composé et plusieurs noms désignent parfois la même substance. Les terminaisons suivantes sont préconisées :

1. -ique pour les acides saturés d’oxygène. Par exemple, l’oxyde plombique PbO .

2. -ite pour les sels des <<-eux», qui contiennent moins d’oxygène. Par exemple, le radical sulfite SO3se

retrouve dans l’acide sulfureux H2SO3et dans le sulfite de sodium Na2SO3.

3. -ure pour un composé non acide, ne contenant pas du tout d’oxygène selon Lavoisier, tels le chlorure de sodium NaCl.

4. -ide pour les oxydes des métaux.

Par exemple, dans le tableau suivant, la nomenclature suit le système de Lavoisier et désigne les différents ions de chlore selon leur teneur en oxygène, de même que les acides correspondants :

ion acide

perchlorate ClO−

4 HClO4 acide perchlorique

chlorate ClO−3 HClO3 acide chlorique

chlorite ClO−

2 HClO2 acide chloreux

hypochlorite ClO− HClO acide hypochloreux

chlorure Cl− HCl acide chlorhydrique

Ainsi, la poudre d’algaroth devient un oxychlorure d’antimoine ; le colcotar, de l’oxyde ferreux (Fe2O3) ; le sel de

Glauber, un sulfate de sodium hydraté (Na2SO410(H2O)); le sel d’Epsom, un sulfate de magnésium hydraté;

l’huile de vitriol, de l’acide sulfurique (H2SO4) ; l’orpiment et le réalgar, des sulfures d’arsenic, etc.

En 1789, Lavoisier publie son Traité élémentaire de chimie, dans lequel il explique sa «nouvelle chimie». Il y donne la liste des éléments reproduite au tableau7.1. Il y publicise le mot «gaz» pour désigner les «airs». Ce traité aura une très grande diffusion et sera rapidement traduit en d’autres langues.

La fin de Lavoisier Lavoisier ne fit pas que de la recherche fondamentale, loin de là. En 1775 il fut nommé

régisseur des poudres, avec comme mission d’améliorer la poudre à canon française,

l’une des moins efficaces en Europe à l’époque. Lavoisier en fit la meilleure d’Europe. Comme il faut bien vivre, Lavoisier acheta des parts dans la Ferme générale. Cette compagnie privée procédait à la collecte des impôts pour le compte du roi et prélevait naturellement son pourcentage. Elle disposait d’un mur entourant la ville de Paris (le mur des fermiers généraux) qui lui permettait de contrôler le flot des marchandises. Les fermiers généraux s’attirèrent naturellement l’hostilité de la population et ils furent exécutés pendant la Terreur, en 1794. Lavoisier périt donc sur la guillotine, ce qui fit dire à Lagrange : «Il ne leur a fallu qu’un instant pour lui trancher la tête, mais une centaine d’années n’en produira peut-être pas une semblable.»

B. La naissance de la chimie

Noms nouveaux Noms anciens correspondants

Substances simples qui appartiennent aux trois règnes et qu’on peut regarder comme les éléments des corps.

Lumière Lumière

Calorique Chaleur – Principe de la chaleur – Fluide igné – Feu – Matière du feu et de la chaleur

Oxygène Air déphlogistiqué – Air empiréal – Air vital – Base de l’air vital Azote Gaz phlogistiqué – Mofète – Base de la Mofète

Hydrogène Gaz inflammable – Base du gaz inflammable Substances simples non métalliques, oxydables et acidifiables.

Soufre Soufre

Phosphore Phosphore Carbone Charbon pur Radical muriatique (inconnu) Radical fluorique (inconnu) Radical boracique (inconnu)

Substances simples métalliques, oxydables et acidifiables. Antimoine Antimoine Argent Argent Arsenic Arsenic Bismuth Bismuth Cobalt Cobalt Cuivre Cuivre Étain Étain Fer Fer Manganèse Manganèse Mercure Mercure Molybdène Molybdène Nickel Nickel Or Or Platine Platine Plomb Plomb Tungstène Tungstène Zinc Zinc

Substances simples salifiables terreuses. Chaux Terre calcaire – chaux

Magnésie Magnésie – base du sel d’Epsom Baryte Barote – terre pesante

Alumine Argile – terre de l’alun – base de l’alun Silice Terre silicieuse – terre vitrifiable

Table 7.1

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